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Europe

Le cri d'alarme d'Enrico Letta sur l'état de l'Europe

INTERVIEW 5.000 garde-frontières européens, un FBI et FMI à l’européenne, un système d'apprentissage à l'étranger doté d'un budget de 5 milliards d'euros... Enrico Letta, ancien premier ministre italien et Président de l'institut Jacques Delors, propose des solutions concrètes pour redonner du souffle à l'Europe.

 

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Enrico Letta, ancien ministre italien

La priorité absolue est de créer dans les six mois un corps de garde-frontières européens, doté de 5.000 hommes, selon Enrico Letta, ancien Premier ministre italien.

JACQUES DEMARTHON / AFP

Doyen de l’École des affaires internationales de Sciences Po, Enrico Letta explique comment redonner du souffle à l’Europe. Comment "ranimer l’Europe", thème de la conférence organisée les 6 et 7 octobre à Paris par l’Institut Notre Europe-Jacques Delors, dont l’ex Premier ministre italien est le Président.

Jacques Delors a été omniprésent dans les discours de la conférence –ceux de François Hollande, de Manuel Valls, de Jean Claude Juncker…- mais empêché par des problèmes de santé. Vous même lui avez rendu hommage. Qu’incarne l’ancien président de la Commission européenne?

Une volonté d’agir. De ne pas rester spectateur des difficultés que vit l’Europe. Un mix entre le cœur et l’action, la pensée et les valeurs. Delors, c’est d’abord le tournevis, l’Europe des résultats concrets, qui changent la vie des citoyens. Delors c’est ensuite la chaleur, l’Europe sociale qui se penche sur les faiblesses de notre société. Delors, c’est enfin la pensée, le regard qui porte au loin, pour continuer à bâtir l’Europe et laisser des traces. Autant de caractéristiques et d’images qui composent son portrait et tracent la seule feuille de route possible pour l’avenir de notre continent.

Vous militez pour des initiatives qui, en ces temps de montée du populisme, montrent aux citoyens que l’Europe se soucie d’eux.

On peut et on doit adopter rapidement des mesures qui les rassurent, qui leur signifient clairement que l’Europe les protège, que l’Europe s’occupe d’eux et de la jeunesse.

Que proposez vous face à la crise des migrants?

La priorité absolue est de créer dans les six mois un corps de gardes-frontières européens, doté de 5000 hommes. Sorte de "casques bleus" européens, il concentrerait sa mission sur les frontières les plus sensibles, comme celles de la Grèce, de l’Italie, de la Hongrie et de la Bulgarie… Ce service devrait également être présent et visible dans les grands aéroports européens, car il doit être perçu par les citoyens comme une force qui les défend, qui les rassure.

Attention, il faut réaliser ce projet tout de suite. Les leaders européens ont bien compris la nécessité et l’urgence d’une telle initiative, ils l’ont formellement actée. Il ne faut pas traîner pour la mise en application. Sinon nous serons, une fois encore, confrontés à une décision qui recueille l’approbation générale, mais qui ne se concrétise pas, ce qui met les citoyens en rage. Comme ça a été le cas par exemple pour la relocalisation des réfugiés... En six mois l’Europe doit pouvoir constituer cette force de 5000 hommes.

Vous affirmez également que l’Europe a besoin d’un FBI. Pourquoi?

Pour lutter efficacement contre le terrorisme et assurer la sécurité des citoyens, il faut unir deux choses: le corps des gardes-frontières européens et ce FBI à l’européenne. Ce serait une sorte de super Europol qui partage les moyens, les informations, les écoutes. Qui arrive à une vraie coopération. Les appareils de police et les services de renseignement comprennent tout de suite si leurs chefs veulent vraiment coopérer ou s’ils font semblant…

Après les attentats, je n’ai pas eu le sentiment qu’il y ait eu une vraie volonté de partager. Entre le 13 novembre à Paris et le 22 mars à Bruxelles, le manque de coordination a été tellement flagrant et tragique! Il est essentiel de faire un pas en avant.

Pour la jeunesse, vous militez pour mettre en place un "Erasmus Pro", un système depuis longtemps dans les limbes européennes. En quoi consiste-t-il et comment le faire décoller?

Ce système permettrait à chaque jeune qui termine ses études secondaires ou universitaires, de passer neuf mois, financés par l’Union européenne, au sein d’une entreprise située dans un autre pays européen. Cela constituerait une formidable opportunité pour apprendre une langue et un métier.

Pour réussir, ce projet doit d’atteindre un seuil critique. L’Europe doit investir 5 milliards d’euros, de façon que d’ici à cinq ans un million de jeunes aient bénéficié d’Erasmus Pro. Car si un million de jeunes sont concernés, automatiquement 20 millions d’Européens sont associés à cette expérience: les familles des jeunes, les entreprises qui les accueillent, les collègues qui les forment… C’est un projet gagnant-gagnant qui ne doit surtout pas rester dans des dimensions marginales comme cela a été le cas pour la garantie jeunesse.

Quelles mesures d’urgence proposez-vous pour protéger l’Europe?  

L’Europe est dans un tel état de faiblesse que si une nouvelle tempête arrive -elle peut arriver dans un mois, dans six mois, dans un an- elle fera des ravages. Qu’elle vienne de Grèce, d’Italie ou même d’Allemagne, via une de ses banques, elle mettra l’avenir de l’euro en péril.

Vraiment?

Oui. Il y a extrême urgence. Parce que le toit que l’Europe a construit pendant la dernière tempête n’est pas assez solide. Il faut sortir la trousse de premier secours, en retirer le tournevis et réparer, consolider. Concrètement, afin d’éviter tout risque d’implosion de la zone euro, il faut transformer le Mécanisme européen de stabilité (MES), mis en place pour fournir une aide financière aux Etats membres en difficulté, en faire un super Fonds monétaire européen, doté de vrais moyens.

Vous appelez aussi à compléter l’Union bancaire, à renforcer les politiques économiques.

Oui, il ne faut pas laisser Mario Draghi seul! Il faut répondre à son appel. Il faut, à côté de la politique monétaire, mettre en place des politiques économiques suffisamment performantes pour que le toit résiste à la prochaine tempête. 

Gardes-frontières, FBI et FMI à l’européenne, Erasmus pro... Ces mesures doivent entrer en action le plus vite possible, dites-vous. Concrètement, à quelle échéance?

Il faut mettre ces mesures en œuvre tout de suite, avant les élections allemandes. L’idée selon laquelle il faut attendre le nouveau président de la République française en mai et les législatives allemandes de septembre prochain peut être fatale à l’Europe. Il faut proposer des solutions rapides, concrètes, que les citoyens perçoivent comme utiles. Un immobilisme de 12 mois serait une immense erreur.

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