Guerre commerciale : «Trump a une vision médiévale du commerce international»

Le Français Pascal Lamy, directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) de 2005 à 2013, tire à boulets rouges sur l’offensive protectionniste du président américain.

 La décision de Donald Trump de taxer l’acier et l’aluminium en provenance de l’Union européenne a provoqué une levée de boucliers.
La décision de Donald Trump de taxer l’acier et l’aluminium en provenance de l’Union européenne a provoqué une levée de boucliers. REUTERS/Leah Millis

    Donald Trump l'a fait. Et s'est attiré les foudres des dirigeants européens. Les taxes sur l'acier et l'aluminium en provenance de l'Union européenne (UE), et en direction des États-Unis, sont rentrées en vigueur ce vendredi. L'UE a annoncé porter plainte contre les États-Unis et promis une riposte. Pour certains, c'est le début d'une guerre commerciale. Joint ce vendredi par téléphone depuis Chypre, Pascal Lamy a violemment critiqué la décision américaine. Pour l'ex-directeur général de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), cette décision « absurde » fait courir un vrai « risque d'escalade ».

    Pourquoi les États-Unis ont-ils décidé d'augmenter fortement les droits de douane sur l'acier et l'aluminium en provenance de l'Union européenne ?

    PASCAL LAMY. Il s'agit d'une décision qui ne correspond à rien de rationnel. Surtout au motif que ces exportations européennes menacent la sécurité des États-Unis d'Amérique, l'argument légal invoqué par Trump… Du point de vue économique, cette décision est absolument absurde. Mais je crois qu'il faut en chercher l'origine dans la campagne électorale du président américain, au cours de laquelle il a prêché le protectionnisme, l'« Amérique d'abord ». Aujourd'hui, Trump veut consolider sa base à l'approche d'élections de mi-mandat qui s'annoncent difficiles. Et il sait que ses électeurs sont dans des régions qui ont perdu beaucoup d'emplois dans la sidérurgie.

    Peut-on appeler « mesures de rétorsion » la liste établie par l'UE pour taxer à son tour certains produits américains ?

    Oui, c'est cela. Il s'agit de dispositions qui visent à compenser le dommage que Trump fait subir à l'UE, dans la mesure où ce dommage est illégal et viole les règles de l'OMC.

    Est-ce la bonne stratégie ?

    Absolument, car c'est celle qui correspond à la loi internationale. Et c'est le seul moyen que nous avons de faire entendre raison à Trump en tapant sur certains endroits sensibles de la carte politique américaine. En taxant les jeans, les Harley-Davidson, le jus d'orange de Floride… L'objectif, c'est d'exercer une pression pour que le système politique américain fasse entendre raison à Trump.

    Avec un personnage comme Donald Trump, n'est-ce pas prendre le risque d'une escalade ?

    Bien sûr. Il y a un risque. Mais si nous ne bougeons pas, nous prenons aussi le risque d'une escalade. Parce que le président américain peut aller encore plus loin ! Le problème de monsieur Trump, c'est qu'il a une vision médiévale du commerce international. Il pense que c'est lui qui décide combien il y a de Mercedes à New York et combien il y a de Chevrolet à Berlin. C'est là qu'il est dangereux, et quand les gens sont dangereux, il faut mettre des limites à ce qu'ils sont capables de faire comme dégâts.

    Trump met-il en danger l'OMC elle-même ?

    En effet, il met gravement en péril le multilatéralisme et il faut s'assurer contre ce risque. Cela veut dire être capable d'imaginer une OMC sans les États-Unis, de même qu'il y a un accord de Paris sans eux. L'OMC, c'est une assurance contre le protectionnisme. Peut-être que ça ne dérange pas monsieur Trump de n'être plus assuré parce qu'il pense que son pays est plus fort que les autres, mais moi, je dis qu'il se trompe. Sortir les USA de ce système, c'est leur faire courir un grand danger.