Enrico Letta : “Le leadership d’Angela Merkel sera déterminant”

Après la victoire en demi-teinte d’Angela Merkel aux élections législatives allemandes, Enrico Letta, ancien président du Conseil italien et président de l’Institut Jacques Delors – think tank européen –, décrypte les défis de la chancelière pour relancer la construction européenne.

Par Propos recueillis par Juliette Bénabent

Publié le 27 septembre 2017 à 14h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 01h41

La courte victoire de la CDU et d’Angela Merkel aux élections législatives de dimanche 24 septembre 2017 ouvre une période d’incertitudes pour la vie politique allemande et, au-delà, pour l’Union européenne. L’extrême droite d’Alternative fûr Deutschland, loin de pâtir des récentes déclarations douteuses de son leader (Alexander Gauland s’est dit « fier des perfomances des soldats allemands pendant la Deuxième Guerre mondiale »), fait son entrée au Parlement avec plus de quatre-vingt-dix députés. 

Les sociaux-démocrates du SPD, eux, ont exclu de reconduire leur coalition avec la CDU de la chancelière, contrainte par conséquent de former une coalition avec les libéraux du FDP. Mais la CDU et le FDP ne sont pas majoritaires à eux seuls : il ne reste donc à Merkel que l’option périlleuse de former une coalition avec les libéraux du FDP et les Verts. Les lignes de fracture entre les Libéraux et les Verts étant nombreuses, un risque de blocage se profile.

Quelles conséquences pour l’Europe, qu’Angela Merkel et Emmanuel Macron assurent vouloir relancer ? Les réponses d’Enrico Letta, ancien président du Conseil italien, à la tête de l’Ecole des affaires internationales de Sciences Po Paris et président de l’Institut Jacques Delors.

“L’ascension d’un parti aux racines néo-nazies est une nouvelle terrible”

Ce résultat du vote allemand est-il une mauvaise nouvelle pour l’Europe ?

Oui, incontestablement, en ce qu’il marque l’entrée au Bundestag (Parlement allemand) de députés de l’AFD. Cette ascension d’un parti aux racines néo-nazies, qui assume et revendique une remise en cause des valeurs clés de l’Allemagne de l’après Seconde Guerre mondiale, est une nouvelle terrible, qui mine nos certitudes. Ces idées se répandent dangereusement dans certains pays de l’est de l’Europe – notamment la Hongrie et la Pologne –, et les voir ainsi percer en Allemagne est extrêmement préoccupant.

Cependant, vous voyez aussi le verre à moitié plein à l’issue de ce scrutin ?

Au moins pour deux raisons. D’abord, parce qu’Angela Merkel entame un quatrième mandat, vraisemblablement le dernier, et que c’est le moment ou jamais pour elle de chercher à laisser sa trace dans l’Histoire. La construction européenne est une formidable occasion pour elle, seul grand leader de son pays même si elle paraît plus faible qu’auparavant, de marquer son empreinte, et j’espère qu’elle va la saisir avec force.

L’autre aspect positif, c’est que la percée de l’AFD prouve que le statu quo n’est pas une option viable. Depuis des années, l’Allemagne joue en défense, elle est dans une position de prudence et d’immobilité vis-à-vis de l’Europe, par peur de cette montée populiste. Elle a ainsi bloqué toutes les grandes innovations depuis le mécanisme européen de stabilité de 2012, puis l’union bancaire de 2013. L’Allemagne s’est montrée attentiste, ces réformes sont restées inachevées, et les populistes ont tout de même prospéré. Ce vote nous démontre avec force qu’il faut agir !

“L’Union passe par une Europe à plusieurs vitesses : les pays de la zone euro ont la responsabilité de mener le jeu”

La coalition qui se profile semble très hasardeuse ; les négociations vont prendre du temps…

C’est terrible, car nous allons passer des semaines, des mois, sans qu’aucun dossier ne puisse avancer efficacement alors qu’il y avait une sorte d’alignement des planètes : Emmanuel Macron se montre volontariste, comme Paolo Gentiloni, le président du Conseil italien. Et il faut agir vite, car le Brexit va entrer en œuvre, l’Italie se prépare à des élections au printemps 2018… 

Je suis convaincu que l’avenir de l’Union passe par une Europe à plusieurs vitesses : ce sont les pays de la zone euro qui ont désormais la responsabilité de mener le jeu, en espérant être rejoints par la suite. Mais il n’y a plus, pour l’heure, d’interlocuteur outre-Rhin…

Angela Merkel peut-elle se sortir de cette ornière ?

Elle va devoir se livrer à un exercice extrêmement compliqué, et déployer tout son talent politique. Gérer une cohabitation entre les Verts et le FDP sera très difficile ; ils ont de nombreux désaccords, le FDP est méfiant envers l’Europe – en particulier hostile à un budget de la zone euro. Si les tractations pour une telle coalition à trois échouent, la toute dernière chance sera de convaincre les sociaux-démocrates du SPD de revenir dans la grande coalition qu’ils rejettent aujourd’hui. Je ne pense pas que cela soit impossible, mais il est trop tôt pour l’envisager.

Dans tous les cas, tout repose sur Angela Merkel, sa capacité à convaincre et à emmener derrière elle ses partenaires. Son leadership sera déterminant. Il y a douze ans, quand elle a pris la tête du pays, c’était une femme politique purement allemande, marquée par son passé à l’Est du pays. Aujourd’hui, elle est une véritable leader européenne, elle a maintes fois démontré que l’Europe est dans son cœur. C’est le moment pour elle d’empoigner l’héritage d’Helmut Kohl. Sera-t-elle assez forte ?

A lire 

Faire l’Europe dans un monde de brutes, avec Sébastien Maillard. Fayard, 195 p., 17€.

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