L’Union européenne a la responsabilité internationale d’interdire les subventions néfastes et d’accroître la protection des écosystèmes marins, estiment des économistes, chercheurs et experts sur les subventions à la pêche.
Certains votes entrent dans l’Histoire pour de bonnes ou mauvaises raisons. Le 4 avril, les membres du Parlement européen devront décider quelle voie choisir : la protection de l’océan ou sa destruction. Alors que tous les États membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) s’efforcent de parvenir à un accord sur l’élimination des subventions néfastes à la pêche, le prochain Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche constituera un jalon essentiel vers la protection de l’océan. Pourtant, le vote récent de la Commission de la pêche du Parlement n’augure rien de bon et envoie un signal délétère de l’Union européenne aux décideurs politiques internationaux.
Le vote du 4 avril déterminera l’allocation de plus de 6 milliards d’euros de subventions et façonnera le modèle économique des activités dépendant de l’extraction des ressources naturelles marines jusqu’en 2027. Cette date coïncide avec l’échéance fixée par le GIEC dans son dernier rapport pour transformer nos systèmes de production et de consommation en fonction des impératifs environnementaux. L’actuelle mobilisation des jeunes générations à travers le monde doit servir de signal d’alarme immédiat pour que tous les décideurs s’engagent sur cette voie.
Pourtant, la surpêche et la surcapacité – le fait d’avoir trop de bateaux chassant trop peu de poissons – sont toujours une réalité dans les eaux européennes. L’une des principales causes de cette absurdité est l’octroi de subventions néfastes, qui conduisent à une augmentation de la capacité de pêche déjà excessive et à une dégradation de l’environnement.
Alors que des écosystèmes marins sains sont nécessaires pour contrer les changements qui affecteront notre planète ; alors que 69 % des stocks européens de poissons sont encore surpêchés et que de nombreux emplois ont été détruits au cours des dernières décennies ; alors qu’il existe un consensus international pour « interdire les subventions à la pêche qui contribuent à la surcapacité et à la surpêche » d’ici 2020 (Objectif de développement durable 14.6) ; le récent vote de la Commission de la pêche du Parlement européen apparaît comme un déni brutal de réalité. C’est particulièrement irresponsable à l’heure des négociations en cours à l’OMC pour la mise en œuvre de cet Objectif.
En réalité, les membres de la Commission de la pêche du Parlement ont voté en faveur d’amendements et de compromis visant à réintroduire des subventions néfastes permettant le renouvellement de la flotte et la modernisation des navires de pêche dans le cadre du prochain Fonds. Ces subventions ont pourtant été interdites par l’UE en 2004.
Alors qu’une grande partie du Fonds devrait être allouée à la protection de l’environnement, à la connaissance, au contrôle et à la surveillance – comme le soulignent les ONG travaillant sur ce dossier – l’allocation votée favorise les investissements à bord pour un montant représentant jusqu’à 60 % du budget global. Cette décision n’est pas à la hauteur des enjeux et les membres du Parlement européen doivent prendre très au sérieux la mission impérative d’empêcher l’effondrement de l’environnement et de transformer nos économies à cette fin.
Nous, les économistes et scientifiques soussignés, demandons au Parlement européen de rejeter les dispositions qui aggraveront considérablement la dégradation des écosystèmes marins européens. L’UE doit envoyer un signal clair à la communauté internationale. Les subventions publiques ne doivent pas être utilisées pour soutenir le pire, mais pour protéger les écosystèmes marins et l’intérêt général. Mettez un terme à la course aux poissons et à la tragédie des biens communs.
Vous, députés européens, avez une responsabilité historique : vous avez le choix entre le passé et l’avenir. Choisissez l’avenir.
Signataires :
Megan Bailey – Professeure adjointe, Université Dalhousie – Canada
Andrés Cisneros-Montemayor – Associé de recherche au Programme Nereus de l’Université de la Colombie-Britannique – Canada
Robert Costanza – Professeur, Crawford School of Public Policy, Université nationale australienne – Australie
Sjur Didrik Flåm – Professeur, Université de Bergen – Norvège
Håkan Eggert – Maître de conférences, Université de Göteborg – Suède
Rudolf de Groot – Professeur associé, Université de Wageningen – Pays-Bas
Pascal Lamy – Ancien Directeur général de l’Organisation mondiale du commerce et Commissaire européen au commerce, Président honoraire de Notre Europe, Institut Jacques Delors – France
Rosamond L. Naylor – Professeure, Université de Stanford – USA
Unai Pascual – Professeur, Centre basque pour le changement climatique – Espagne
Charles Perring – Professeur, Université d’État de l’Arizona – USA
Geneviève Pons – Jacques Delors Institute – France
Rashid Sumaila – Professeur, Université de Colombie-Britannique – Canada
Thomas Sterner – Professeur, Université de Göteborg – Suède
Sebastián Villasante – Professeur, Université de Saint-Jacques de Compostelle – Espagne