Pascal Lamy : «Il faut intégrer davantage la zone euro»

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    Pascal Lamy : «Il faut intégrer davantage la zone euro»
Publié le , mis à jour
Propos recueillis par Serge Bardy
@sergebardy

Sur l'échiquier international, face aux tentations isolationnistes des USA, une certaine hostilité de la Russie envers l'Europe, la puissance de la Chine, quelle doit être selon vous la stratégie de l'Europe en matière économique ?

Pascal Lamy, ancien directeur général de l'Organisation mondiale du commerce. L’Europe se trouve aujourd'hui dans une position d'accusée : trop libérale, trop d'austérité. Faut-il selon vous la réinventer ?

Tout le monde ne partage pas ce diagnostic. Les positions anti-européennes ou eurosceptiques sont minoritaires dans tous les pays européens, sauf dans le cas de la Grande Bretagne pour des raisons qui tiennent beaucoup à la spécificité de sa relation avec l'Union. Ce qui par contre est vrai c'est que le soutien des opinions à l'intégration européenne a baissé depuis 10 ans. Ce que l'Europe devait apporter, c'est à dire davantage de prospérité et de sécurité, a été mis en doute depuis 10 ans à juste titre en raison de la grave crise économique que nous avons subie. En outre, ce qui s'est passé en Ukraine ou avec les migrants syriens a pu donner l'impression que l'Europe était incapable de stabiliser la situation à ses frontières. Si je relativise la critique, je ne la néglige pas pour autant.  Mais je ne crois pas qu'il faille redéfinir le principe ou les institutions qui ont été adoptés pour créer un espace politique supplémentaire au niveau de l'Europe. Je crois toujours qu'il faudra intégrer davantage l'Union européenne dans l'avenir au nom d'un principe, d'une ambition, peut-être dans un sens à réinventer. Mais nous devons être unis pour peser dans un monde qui autrement n'ira probablement pas, sinon, dans la direction de nos valeurs, de notre identité.

En matière fiscale, bancaire, quelles solutions devraient être mise en place pour soutenir la croissance européenne ?

Il faut davantage de discipline et de solidarité entre les pays et principalement entre les deux leaders de l'Europe à partir du moment où la Grande Bretagne entame un parcours de sortie. Les Français doivent accepter une plus grande discipline et les Allemands davantage de solidarité. Il faut intégrer davantage la zone euro, poursuivre dans la direction de l'union bancaire, harmoniser l'impôt sur les sociétés. Il est aberrant que dans un marché intérieur unifié comme celui de l'Europe, la concurrence fiscale continue de prévaloir.

Dans son livre blanc, la commission européenne évoque le scénario d'une Europe à plusieurs vitesses. Qu'en pensez-vous ?

L'intégration différenciée, c'est un peu comme le monstre du Loch Ness, une figure de style qui ressort périodiquement. On sait très bien que quand certains états veulent aller plus loin ensemble, ils peuvent parfaitement le faire. Sur l'impôt sur les sociétés par exemple, rien n'empêche les Français et les allemands de converger sur une imposition commune.

Si vous deviez résumer les principaux apports économiques et industriels de l'Europe aux différents pays, quels seraient-ils ?

L'essentiel, à mon sens, réside dans la paix et la démocratie. Dans les 70 années qui ont précédé la naissance de l'Union européenne, il y a eu trois guerres dont deux mondiales qui ont fait 70 millions de morts. Dans les années 80, 17 des 28 états membres d’aujourd’hui n'étaient pas des démocraties.  En matière économique et sociale, chacun sait que l'accession à l'union européenne a permis aux pays qui n'en étaient pas membres de se moderniser, de croître, et cela sans exception. Quand Jacques Delors a lancé le marché intérieur dans les années 80, cela a créé 9 millions d'emplois en 10 ans. L'union des européens a apporté pendant très longtemps davantage de prospérité, de paix, de sécurité, même si, le bilan de ces dix dernières années est moins bon.

Le Parlement européen a adopté le CETA avec le Canada. Quels avantages pour les consommateurs français ?

C'est l'avantage classique de l'ouverture des échanges, avec des produits canadiens moins chers. Comme le marché européen pèse, la Grande Bretagne non comprise, 450 millions, et le marché canadien 35 millions, ce ne peut pas être une mauvaise affaire. Quand au TIPP, il sera probablement gelé tant que M. Trump restera président. La partie du TIPP qui consistait à aboutir à une convergence vers le haut des normes de précaution en Europe et USA continue de faire du sens.

Marine Le Pen prône le retour d'une « monnaie nationale ». Vous en pensez quoi ?

Les épargnants perdraient du jour au lendemain 30 % de leur épargne en raison de la dépréciation de la monnaie pas rapport à la valeur de euro.

Votre livre, co-écrit avec Nicole Gnesotto (1), interroge sur l'avenir du monde. Où va-t-il ?

Ce livre est à deux voix. Nous ne donnons pas de réponse commune à la question que nous posons. Nicole Gnesotto a sa propre interprétation, géopolitique et à court terme plus pessimiste. La mienne est plus géo-économique et moins pessimiste. C'est aux lecteurs, à qui nous fournissons des faits, des lectures, des interprétations, de se faire une idée.

Comment interpréter l'élection de Trump, le Brexit, la montée des nationalismes ? Est-ce une déviation temporaire, un accident qui va être corrigé ?  On a vu aux Pays bas que la montée de ces forces xénophobes n'était pas inexorable. Est-ce le début d'un autre âge que celui de ma génération, marquée par  la globalisation et la construction européenne ? Personnellement, je pense que les forces d'intégration économique à la base des grands mouvements du monde contemporain sont des forces de rapprochement et de stabilisation. Si vous regardez cette planète de la lune, et que vous mettez des points rouges là où il y a des conflits, des guerres, de la famine et des morts, ce sont comme par hasard des endroits qui sont restés à l’écart de la mondialisation.

1. «Où va le monde, le marché ou la force». Ed. Odile Jacob. 240 pages. 19,90 euros.

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