Quand la Chine achète l'Europe, que fait l'Europe ?

Le président Chinois Xi Jinping (ici avec son homologue italien) entame une tournée européenne qui l'amènera ensuite à Monaco puis à Paris.  ©Maxppp - Ju Pen
Le président Chinois Xi Jinping (ici avec son homologue italien) entame une tournée européenne qui l'amènera ensuite à Monaco puis à Paris. ©Maxppp - Ju Pen
Le président Chinois Xi Jinping (ici avec son homologue italien) entame une tournée européenne qui l'amènera ensuite à Monaco puis à Paris. ©Maxppp - Ju Pen
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De 2.2 milliards d'euros en 2009, les investissements chinois dans l'UE sont passés à 37 Mds en 2016. Bruxelles pousse pour une stratégie commune et défensive vis à vis de la Chine, qui n'est que le 8ème investisseur dans l'UE. Devinez qui est troisième ? Les Bermudes.

A son arrivée au palais Quirinale, à Rome, le président Chinois Xi Jinping est accueilli avec faste par son homologue italien.    

Après des années de discussion, l'Italie sera le premier pays du G7 à s'associer aux nouvelles routes de la Soie, ce grand projet chinois qui prévoit des milliards d'investissements en Europe et en Afrique dans les infrastructures portuaires, routières, ferroviaires, et au delà.   

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A lire/ réécouter : Mythe et réalité des nouvelles Routes de la Soie (billet économique) 

En Italie, les Chinois vont notamment investir dans le port de Trieste. Et cela fait aujourd'hui grincer des dents en Europe.   Pourtant, quand les Chinois sont devenus propriétaires du port du Pirée en Grèce, pas un mot, il fallait privatiser pour alléger la dette.  Quand les Chinois sont devenus actionnaires à 49% du dernier terminal du Havre en 2013, pas un mot non plus, il fallait bien de l'argent pour accueillir de plus grands porte-containers. Idem à Anvers, Rotterdam, Valence... 14 ports d'Europe comptent déjà un actionnaire Chinois; dans 6 d'entre eux, il est l'actionnaire majoritaire.   

Infographie intéractive sur les investissements chinois dans l'Union Européenne
Infographie intéractive sur les investissements chinois dans l'Union Européenne
- Elvire Fabry

Contrôler majoritairement un port, cela peut avoir des incidences importantes, mais lesquelles ? Ce sont les bonnes questions à poser, mais pour le moment, nous n'avons pas de réponse, nous avons juste des inquiétudes. Elvire Fabry, chercheuse à l'Institut Delors, et co-autrice d'un rapport et d'une infographie (extrait ci-dessus) sur les Nouvelles Routes de la Soie.      

Les soupçons de sous déclaration d'importation de vêtement en provenance de Chine dans le port du Pirée alimentent notamment ces doutes.   

Pourquoi tant d'émoi ? Et pourquoi maintenant ?

Que s'est il passé pour que ce partenaire, autrefois si attirant, soit dorénavant qualifié de rival par la commission européenne ?   

L'Union Européenne serait-elle gagnée par les idées protectionnistes? Reconnaitrait-elle avoir été trop ouverte, et trop naïve?    

Quand vous posez ainsi la question à la commission européenne, on vous répond NON. Ce qui a changé, ce n'est pas l'Union Européenne, ni sa stratégie d'ouverture à la mondialisation (qui est intacte), ce qui a changé, c'est la CHINE.    

"La Chine ne doit plus être considérée comme un pays en développement" écrit la Commission européenne dans un rapport censé jeter les bases d'une nouvelle stratégie, plus réaliste, affirmée, et au final défensive envers la Chine.      

Américains et Européens n'ont pas les mêmes méthodes, mais ils font le constat, d'une Chine qui ne respecte pas les règles du jeu de l'OMC, force à des transferts de technologie, protège ses industries stratégiques, et subventionne ses entreprises d'Etat pour qu'elles fassent leur marché à l'étranger.   

A lire/ écouter : Guerre commerciale : quand la Chine respectera ses partenaires 

En 2017, les deux tiers des investissements chinois en Europe ont été faits par des entreprises financées par l'Etat Chinois... alors que les règles de concurrence communautaires interdisent aux entreprises européenne l'accès à l'argent public. Il y a comme un HIC.   

Augmentation vertigineuse des avoirs détenus par des entreprises controlées par l'Etat (Chinois et Russes) dans l'UE
Augmentation vertigineuse des avoirs détenus par des entreprises controlées par l'Etat (Chinois et Russes) dans l'UE
- Source Commission Européenne

Il y a aussi une accélération exponentielle des investissements chinois en Europe. Un peu plus de 2 milliards d'euros en 2009, ils sont passés à 29 milliards en 2017. 37 milliards en 2016 : une année record.   

Ces chiffres, on les tient d'un institut américain (Rhodium Group, ici leurs derniers chiffres), car personne alors en Europe ne recense officiellement les investissements Chinois dans l'UE.  Personne n'analyse encore les conséquences à long terme de ces investissements, il n'y a aucune photo d'ensemble. Aujourd'hui la commission européenne le fait, et elle vient de publier un long rapport sur la nature et la provenance de ces investissements.    

Mais en 2016, année du pic d'investissement chinois en Europe, chaque pays agit dans son coin selon ses intérêts. Ils sont même très peu (12 sur 28) à disposer d'un mécanisme d'alerte quand des secteurs stratégiques sont touchés.   

France, Allemagne, et Royaume Uni sont les trois pays où investissent le plus les Chinois. Source, Rhodium Group
France, Allemagne, et Royaume Uni sont les trois pays où investissent le plus les Chinois. Source, Rhodium Group
- Rhodium Group

En 2016, la commission européenne propose un mécanisme de surveillance des investissements étrangers (FDI Foreign Direct Investment), les États refusent. Ceux du Nord y voient une entorse au libre échange, ceux du Sud et de l'Est, ont besoin de l'argent chinois.... jusqu'à ce que les visées prédatrices chinoises s'attaquent, ô crime de lèse majesté, aux fleurons technologiques Allemands.   

L'Allemagne s'inquiète... et tout change

Kuka est un fabricant de robot industriel. Ce n'est pas la première entreprise de pointe allemande à passer sous capitaux chinois en 2016, avant, il y a eu Krauss-Maffei, WindMW, EEW, Ista, mais c'est celle de trop. L'opinion bascule, et  Berlin ne voit alors plus Pékin sous l'angle du partenaire commercial friand de ses voitures et ses machines-outils, elle comprend que c'est un rival, un rival systémique, s'inquiète le patronat allemand.    

Quand la commission remet sur la table son mécanisme de surveillance en septembre 2017, tous les pays acceptent, le parlement valide, et 18 mois plus tard, ce mécanisme entrera en vigueur le 11 avril, ce qui est un record de rapidité pour l'Europe.   

Il reste encore 18 mois aux États pour se mettre en conformité. Ils sont toujours souverains pour accepter ou bloquer des investissements sur leur sol, mais obligés de communiquer avec la commission et les pays qui en font la demande quand les secteurs concernés par des investissements hors UE sont stratégiques.   

Devant la Chine, il y a... les Bermudes

La Chine n'est pas la seule visée par ce mécanisme, et il ne faut d'ailleurs pas exagérer son emprise dans l'Union Européenne.   

En stock, les capitaux Chinois ne représentent que 3.4% des capitaux non européens investis dans l'UE. Loin derrière, les Américains 34%, les Suisses 12%, et en troisième position : devinez qui... les bermudes.   Ce paradis fiscal notoire de quelques 60 000 habitants est le troisième investisseur européen. Juste après on trouve Jersey, et en cinquième position, les Iles Caymans.     

Part des investissements directs étrangers détenus par des investisseurs hors UE, selon leur origine. Pris ensemble Bermudes, Iles Caymans et Jersey sont le deuxième investisseur extra-européen en Europe.
Part des investissements directs étrangers détenus par des investisseurs hors UE, selon leur origine. Pris ensemble Bermudes, Iles Caymans et Jersey sont le deuxième investisseur extra-européen en Europe.
- Eurostat

Et derrière ces investissements qui y a-t-il? Justement on ne sait pas. 

The relatively high ranking of OFCs, both in terms of number of companies and in terms of assets, is remarkable. When  the  nationality  of  the  ultimate  owner  found in  the Foreign  Ownership  is  OFC,  no further details  are  available despite  the  fact that most likely the actual ultimate  owner has  a different origin. European Commission

Les investissements en provenance des pays Off Shore (OFC) sont assez hauts (aussi bien en termes d'avoirs que de nombre d'entreprises concernées) pour que cela soit remarquable. Dans ce cas, la nationalité du bénéficiaire final des fonds n'est pas connue. En toute vraisemblance, la nationalité du bénéficiaire ne sera pas celle du pays Off Shore d'où il a investi. La commission Européenne dans son rapport (page 12) sur l'origine des investissements dans l'Europe.

Il y aurait matière aussi à discuter de ces investisseurs là, à qui on ne déroule même pas le tapis rouge faute de savoir qui ils sont et d'où ils viennent. Le temps de la naïveté n'est pas encore tout à fait révolu.   

Marie Viennot

L'équipe