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Migrants : quand Emmanuel Macron fait mine d'envisager... de bouter la Hongrie hors de l'Europe
Macron aimerait-il bouter Orban hors de l'Union ?

Migrants : quand Emmanuel Macron fait mine d'envisager... de bouter la Hongrie hors de l'Europe

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Dans sa tribune publiée ce mardi 5 mars dans 28 pays de l'Union européenne, Emmanuel Macron envisage la création d'un nouvel espace Schengen, dans lequel la liberté de circulation des Hongrois serait conditionnée à l'accueil de migrants. Plus facile à dire qu'à faire.

Le combattant serait-il devenu conciliant ? Tel est en tout cas le ton de la lettre que publie ce mardi 5 mars Emmanuel Macron dans chacun des 28 pays de l'Union européenne. La missive, censée lancer la campagne des élections européennes de LREM, paraît au premier abord tourner la page de l'opposition entre le "progressisme" que le président français prétend incarner et les "populismes" illustrés par la montée des partis d'extrême-droite dans toute Europe. Cela étant, quand on y regarde de plus près, on trouve dans les propositions du fondateur d'En Marche... des menaces à peine voilées à l'égard de certains gouvernements. A commencer par la Hongrie de Viktor Orban.

Pour trouver trace de cette mise en garde sérieuse, il faut se reporter, non pas au texte de la tribune, mais à son analyse dans Le Monde de ce mardi. Il y est question d'une des propositions phares d'Emmanuel Macron, à savoir la réforme de l'espace Schengen, ce traité qui précise les règles de contrôle aux frontières dans vingt-deux pays de l'UE. Le président français aimerait convaincre la Hongrie d'accueillir un nombre significatif de demandeurs d'asile, ce à quoi aucun texte n'oblige actuellement le Premier ministre Viktor Orban. Auprès du quotidien du soir, son cabinet fait fuiter cette menace : "Lundi soir, l’entourage du président laissait en revanche clairement entendre qu’il serait prêt à conditionner le maintien de la liberté de circulation des personnes et des marchandises hongroises à un engagement du premier ministre ultraconservateur Viktor Orban à recevoir des demandeurs d’asile".

Cette indiscrétion livrée en "off" a de quoi surprendre. Parce qu'Emmanuel Macron affiche un intérêt nouveau pour l'idée de "frontière". Mais aussi parce que recréer un espace Schengen sans la Hongrie n'aurait... aucun impact sur la liberté de circulation des personnes et des marchandises hongroises au sein de l'UE. Pour empêcher les citoyens hongrois de circuler librement dans l'UE, il faudrait... exclure ce pays de l'Union. Et donc rédiger un nouveau traité.

Contraire au traité de Lisbonne

En effet, le traité de Lisbonne prévoit en son article 3 que "l'Union offre à ses citoyens un espace de liberté, de sécurité et de justice sans frontières intérieures, au sein duquel est assurée la libre circulation des personnes". Il n'existe pas d'exception possible à ce principe fondateur de l'Union européenne telle qu'elle existe. L'espace Schengen gère simplement les modalités de contrôle aux frontières : ne pas en faire partie peut susciter des tracasseries administratives mais en aucun cas limiter la liberté de circulation des citoyens de l'Union.

Dans un rapport sur la "liberté de circulation des Européens" publié en novembre 2016, l'institut Jacques-Delors rappelle cette distinction : "Un citoyen européen est soumis au contrôle aux frontières d’un État qui n’est pas signataire (des accords Schengen, ndlr.) mais il ne peut lui être refusé l’accès sans motif valable et une fois qu’il a eu accès au territoire, ce citoyen peut très bien y exercer les droits liés à la libre circulation des personnes". Les Britanniques en ont d'ailleurs tiré les conséquences : la fin de la liberté de circulation des citoyens européens au Royaume-Uni a fait partie des arguments des "brexiters", qui ont remporté le referendum de sortie de l'UE, le 23 juin 2016.

Pas sûr que la menace d'être boutée hors d'un nouvel espace Schengen effraie donc la Hongrie. Emmanuel Macron envisage-t-il de demander la sortie de la Hongrie de l'Union européenne ? Pas formellement, mais les propos de son entourage installent une ambiguïté. Surtout que, pour la première fois de son quinquennat, le chef de l'Etat évoque officiellement une éventuelle refonte des traités. "D’ici la fin de l’année, avec les représentants des institutions européennes et des États, mettons en place une Conférence pour l’Europe afin de proposer tous les changements nécessaires à notre projet politique, sans tabou, pas même la révision des traités", écrit-il dans sa tribune.

Et les critères de Maastricht ?

Cette brèche ouverte par Emmanuel Macron quant au respect des traités existants est une première à LREM. Elle résonne étrangement quand on découvre, dans la même édition du Monde le regard posé par Nicolas Hulot sur la gouvernance Macron : "Quand j’étais ministre, on me disait en permanence que, 'par principe', on ne pouvait pas sortir des critères de Maastricht". La révision des textes de l'UE ou même un écart dans son application, notamment concernant les critères de Maastricht, qui imposent un déficit maximum de 3% et donc certaines réformes douloureuses pour y parvenir, serait donc inenvisageable pour des motifs sociaux... mais désormais imaginée pour résoudre la crise migratoire.

Reste à savoir comment Emmanuel Macron compte s'y prendre : une révision des traités, même sans la Hongrie, impliquerait l'accord de tous les autres Etats de l'Union européenne. Plus facile à dire - ou à laisser entendre - qu'à faire.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne