Trump contre l'Europe : la guerre des taxes en 4 questions

par Matthieu JUBLIN
Publié le 1 juin 2018 à 15h34, mis à jour le 1 juin 2018 à 16h55
Trump contre l'Europe : la guerre des taxes en 4 questions

DOUANE - En imposant depuis ce 1er juin des taxes douanières sur l'acier et l'aluminium venant de l'Union européenne, du Canada et du Mexique, Donald Trump fait planer le spectre d'une guerre commerciale généralisée. Dans quelle mesure les européens peuvent-ils s'inquiéter ? Qui a le plus à perdre dans cet affrontement ? Elements de réponse.

Officiellement, l'UE "n'est en guerre avec personne", a assuré la cheffe de la diplomatie européenne Federica Mogherini, au lendemain de l'annonce, par Donald Trump, de taxes douanières visant l'acier et l'aluminium venant de l'UE, du Canada et du Mexique. Mais les Européens préparent déjà la riposte, tandis que le Canada a déjà annoncé 16 milliards de taxes douanières sur des produits américains en rétorsion.

Offensive, riposte... Est-on déjà en guerre commerciale ? Où s'arrêtera cette escalade qui pourrait faire des dégâts des deux côtés de l'Atlantique, et peut-on l'éviter ? Que nous enseigne l'histoire récente sur les expériences similaires ? Éléments de réponses en quatre points.

Qui va perdre le plus ?

Pour l'instant, les sommes restent raisonnables en ce qui concerne les pays de l'Union européenne. Les États-Unis ont mis en place à partir du vendredi 1er juin des droits de douane supplémentaires de 25% sur les importations d'acier et de 10% sur celles d'aluminium en provenance de l'Union européenne, du Canada et du Mexique. Mais tous n'exportent pas les mêmes quantités.

En 2017, les pays de l'UE ont exporté pour 5,3 milliards d’euros d’acier et pour 1,1 milliard d’euros d’aluminium aux Etats-Unis, soit 6,4 milliards d'euros au total. À comparer aux plus de 300 milliards d'euros d'exportations de l'UE vers les États-Unis chaque année. La France exporte pour sa part 700 millions d'euros d'acier par an (soit 2% de ses exportations d'acier) et d'aluminium aux États-Unis.

L'acier importé aux États-Unis vient d'abord du Canada, puis du Mexique. Les deux pays représentent respectivement 16% et 9% des importations d'acier des USA. Le premier européen dans ce classement - l'Allemagne - est en 9e position. Selon la compagnie d'assurance-crédit Euler Hermes, "le Canada pourrait perdre directement l'équivalent de 2 milliards de dollars d'exportations d'acier et d'aluminium en un an ; la Chine 500 millions et l'Allemagne 380 millions", rapporte Le Figaro.

Macron a dit que c'était "illégal". C'est vrai ?

"Cette décision n'est pas conforme au droit commercial international (...), donc elle est illégale", a déclaré Emmanuel Macron à propos de la décision de Donald Trump. Justin Trudeau, le premier ministre canadien, a utilisé les mêmes mots. Légal, pas légal... ces notions sont toutes relatives en droit international. Concrètement, l'Union européenne a porté plainte contre les États-Unis à l'Organisation mondiale du commerce (OMC), une structure qui réunit la quasi-totalité des pays du monde et qui est censée régir les règles du commerce mondial. Quelles sont ces règles en vertu desquelles les européens portent plainte ? 

L'économiste français Pascal Lamy, ancien directeur de l'OMC, explique sur Franceinfo que "Si vous êtes membre de l'OMC (...) vous prenez des engagements qui consistent, en gros, à ne pas recourir au protectionnisme, c’est-à-dire à ne pas indûment frapper le commerce international et notamment les importations. Dans un certain nombre de cas, vous avez la possibilité de le faire, par exemple si vos importations connaissent une évolution imprévue, très brutale, et que cela menace votre production nationale. Ce n'est pas le cas, en l'occurrence."

Jusqu'où ça peut aller ?

Face aux mesures protectionnistes américaines, le Canada a d'ores et déjà annoncé qu'il allait taxer des produits américains importés d'une valeur 12,8 milliards de dollars. Côté européen, on fait savoir que les contre-mesures sont prêtes : l'UE mettrait en place des droits de douane sur 2,8 milliards d'euros de produits américains, comme le bourbon, les Harley Davidson ou les jeans. L'acier, les haricots ou le riz américain sont aussi concernés. Ces contre-mesures sont permises par l'OMC et peuvent entrer en application à partir du 20 juin. Il suffit pour cela que les états de l'UE les valident une dernière fois.

Bruxelles veut ainsi réagir en évitant toute escalade, qui mènerait vers une extension généralisée des droits de douane. Mais même en l'absence de contagion, des effets pervers se font déjà craindre. "Le problème qu'on a avec ces droits de douane généralisés par les Américains, c'est que les 30 millions de tonnes d'acier qui devaient aller naturellement aux États-Unis vont se retourner vers le marché le plus ouvert, c’est-à-dire l'Europe", a indiqué Philippe Darmayan, président d'ArcelorMittal France et de l'Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM), interrogé sur Franceinfo, et qui appelle les états européens à mettre en place des quotas d'importation pour l'acier.

Le risque majeur, bien entendu, c'est que les États-Unis ne s'arrêtent pas là. Ainsi, selon l'hebdomadaire allemand Wirtschatswoche, Donald Trump aurait dit à Emmanuel Macron jeudi qu'il souhaite imposer des droits de douanes sur les voitures de luxe allemandes. Selon l’institut IFO, des barrières douanières à 25 % sur l’automobile coûteraient 5 milliards d’euros à l'Allemagne, soit 0,16 % de  son PIB.

Les États-Unis ont déjà essayé en 2002. Qu'est ce que ça a donné ?

Donald Trump est certes imprévisible, mais ce n'est pas la première fois que les États-Unis augmentent ainsi leurs droits de douane sur l'acier. En 2002, le président américain George W. Bush avait instauré des taxes douanières de 8 % à 30 % sur divers produits à base d'acier afin de "sauver" l'industrie sidérurgique américaine. Et il avait échoué.

Que s'est-il passé ? En réaction à la décision de George W. Bush, les autres pays avaient augmenté leurs droits de douane et porté plainte à l'OMC, qui avait fini par leur donner raison au bout de quelques mois. Entre temps, les producteurs américains d'acier avaient augmenté leur prix, ce qui a augmenté les coûts de toutes les autres industries qui utilisaient de l'acier, comme les constructeurs automobiles. "En neuf mois, cela avait coûté 200 000 emplois industriels aux Etats-Unis", indiquait en mars Lionel Fontagné, professeur d'économie à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, sur Franceinfo. Et les États-Unis avaient fini par rabaisser leurs droits de douane.


Matthieu JUBLIN

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