La Croix : Que signifie le départ de Matteo Renzi du point de vue européen ?

Y. B. : L’Europe perd un allié, mais un allié turbulent ! D’un côté, il a été capable de se recueillir sur la tombe du grand partisan du fédéralisme, Altiero Spinelli, en présence d’Angela Merkel et de François Hollande. De l’autre, il a joué les intérêts particuliers de l’Italie de manière excessive, en mettant son véto aux discussions budgétaires ou en se plaignant de l’argent qui part et qui ne revient pas.

La perspective de plus en plus probable d’élections législatives anticipées mi 2017 mènera peut-être à une clarification très utile. L’Italie en peu de temps a vu défiler trois dirigeants qui n’ont pas été désignés par une élection (Mario Monti, Enrico Letta, Matteo Renzi). Cette légitimité purement formelle – qui existe aussi d’une certaine façon au Royaume-Uni avec Theresa May – n’est pas très bonne pour l’état de l’expression démocratique en général.

Quel impact a le « non » des Italiens sur le fonctionnement de l’Europe ?

Y. B. : La fédération des États d’Europe est forte lorsque les États-nations sont forts. C’est l’une des grandes convictions de Jacques Delors. Le scrutin italien affaiblit l’union, tout comme l’effet de fin de mandat de la France, et bientôt de l’Allemagne, qui elle aussi va rentrer dans sa campagne nationale.

L’Europe subit en ce moment des tremblements de terre politiques qui proviennent du déplacement de plaques tectoniques au niveau mondial, en Asie ou au Moyen-Orient. Des failles sismiques se créent dans les États qui avaient déjà des fragilités. L’Italie, qui a connu 63 gouvernements depuis la fin de la guerre mondiale, en fait partie. Londres avec le Brexit, mais aussi Vienne, Paris sont aussi des lieux de pouvoir sensibles.

Le mot « Italexit » (Brexit à l’italienne) est apparu, notamment dans la presse économique, pour évoquer une possible sortie de l’UE. Sur le modèle du « Brexit », on a parlé de « Grexit » ou encore d’« Öxit »concernant l’Autriche. La déclinaison de l’expression par pays est-elle pertinente ?

Y. B. : La théorie des dominos, après le Brexit, concernant d’improbables sorties en chaîne de l’Union européenne, est une fable. Parler d’« Italexit » est d’une grande paresse intellectuelle. Il ne faut pas tout confondre. Que les Britanniques se soient exprimés principalement par europhobie est une chose. Dans les autres pays, ce sentiment existe, mais il n’est pas majoritaire. Ce que l’on voit ailleurs, c’est plutôt des formes très diverses d’euroscepticisme en fonction des pays, qui peuvent même s’opposer les unes aux autres.

En Italie, par exemple, on doute de la capacité de l’Europe à organiser l’accueil des migrants, tandis qu’en Pologne, leur répartition inquiète. Les Grecs, à un moment, ont voulu refuser les politiques d’austérité, quand les Finlandais, eux, ont plutôt tendance à critiquer les politiques communautaires de solidarité. Les plus proches d’une sortie de l’UE sont sans doute les Danois.

Mais même le Parti populaire danois, populiste et xénophobe, qui soutient le gouvernement, n’envisage pas de référendum d’appartenance à l’Union dans l’immédiat. Ses membres préfèrent attendre l’application du Brexit, pour savoir à quoi s’attendre.