Une visite délicate ! Le vice-président de la Commission européenne, Valdis Dombrovskis, entame samedi une visite de quatre jours délicate en Chine. Le responsable letton doit déminer le terrain avec les responsables communistes très irrités contre l’Europe. La présidente Ursula von der Leyen s’était en effet élevée le 13 septembre dernier contre "les pratiques déloyales" de la Chine, lançant une enquête sur les subventions chinoises présumées illégales à ses constructeurs automobiles. Pékin avait immédiatement bondi, dénonçant une mesure "protectionniste"» qui aurait un "impact négatif sur les relations économiques" bilatérales. Diplomate - ou pusillanime ? -, l’Union chercher à ménager la chèvre et le chou avec la Chine, qualifiée de "partenaire, concurrent et rival" ! Elle essaye de ne pas trop sacrifier sa propre industrie auto, laquelle se heurte de plein fouet à la maitrise chinoise de la filière électrique, sans se brouiller avec Pékin.
En décidant de passer au tout électrique en 2035, l’Europe a mis une croix sur plus d’un siècle de savoir-faire industriel des constructeurs du Vieux continent dans les moteurs à essence et diesel, tout en ouvrant un boulevard à la Chine qui a "dix ans d’avance" sur l’électrique, selon la Plateforme automobile française (PFA). Pourquoi une telle avance? Pressés par le Parti communiste qui voulait réduire la dépendance aux importations pétrolières, les constructeurs auto chinois ont fait une "impasse sur le développement des véhicules thermiques, car ils se sont rendus compte qu'ils n'allaient pas remonter le retard technologique vis-à-vis des constructeurs japonais, américains ou européens", explique Jamel Taganza, du cabinet d’experts Inovev. Le groupe SAIC (avec notamment la marque MG), BYD, se concentrent donc depuis les années 2010 sur la conception de véhicules zéro émission.
Totalité de la filière
Et les constructeurs s'appuient sur la maîtrise chinoise de la totalité de la filière électrique. La Chine, en effet, " contrôle 75% de la chaîne de production mondiale des batteries", alerte Luc Chatel, président de la PFA (Plateforme Automobile). Les batteries sont cruciales: elles représentent 35 à 40% de la valeur ajoutée d'une voiture dite zéro émission. Or, "les deux tiers des grandes usines de batteries seront en 2030 encore situées en Chine", prédit Philippe Varin, ex-PDG de PSA et auteur d’un rapport public sur la sécurisation des approvisionnements. Le numéro un mondial des batteries est d’ailleurs un Chinois, CATL. La Chine produit aussi "80% des aimants entrant dans les moteurs électriques et 90% de l'ensemble des moteurs électriques eux-mêmes", souligne Guillaume Pitron, auteur de La Guerre des métaux rares. La face cachée de la transition énergétique et numérique. Pékin est aussi à la manœuvre pour les métaux eux-mêmes nécessaires aux batteries et moteurs électriques. L'ex-empire du Milieu en contrôle 60% et en raffine 80% selon les experts. "Les Chinois ont mis cent milliards d’euros sur l’électrique", avertissait Luca De Meo, début septembre au salon de Munich. Le directeur général de Renault dénonçait une "compétition asymétrique".
Les marques auto chinoises bénéficient en outre des "coûts de production inférieurs de 20 à 25% à ceux de l’usine slovaque de Stellantis, de 30% par rapport à Renault Douai -Nord", explique le consultant auto C-Ways. En plus, la Chine est le "premier marché mondial de l’électrique", d’où des énormes économies d’échelle pour les constructeurs, insiste Marc Mortureux, directeur général de la PFA. Résultat : un avantage comparatif substantiel qui autorise les constructeurs chinois à pratiquer des prix de 15 à 20% moins élevés que les constructeurs concurrents, selon MG et BYD eux-mêmes. Les Chinois pourraient du coup prendre 10 à 20% de parts de marché en Europe, d’après C-Ways. Voire 25% sur le seul créneau de l’électrique, où leur part de marché atteint déjà 6,2%, selon Jato Dynamics. Et, au premier semestre, la Chine est devenue le premier exportateur mondial de voitures, dépassant pour la première fois le Japon....
Une longue pratique de subventions
Enfin, pour déséquilibrer encore davantage la balance, la Chine a une longue pratique d'aides massives, "subventions, réductions de taxes, marchés publics très généreux, accès à des terrains gratuits pour l'implantation d'usines...", assure Elvire Fabry, chercheuse en géopolitique du commerce à l'Institut Jacques Delors. L’Union pourrait du coup décider de taxer les véhicules importés de Chine, au-delà des 10% actuels, en sachant que la Chine, elle, taxe les véhicules étrangers à hauteur de… 15%. Mais à condition que cela s’inscrive dans la durée. On se souvient de l’échec cuisant face à Pékin sur le marché des panneaux photovoltaïques. Après avoir imposé des mesures anti-dumping, l’Union les avait retirées en 2018, abandonnant complètement le marché aux concurrents chinois !
Le hic, c’est que les Allemands, historiquement très présents en Chine où ils ont engrangé d’énormes bénéfices, ne veulent pas heurter Pékin. Ola Kallenius, PDG de Mercedes, a ainsi affirmé que "les marchés doivent rester ouverts"… Et, même si l'Union augmentait les taxes sur les autos chinoises, elle ne pourrait pas frapper les composants comme les batteries, indispensables pour équiper les véhicules européens à propulsion électrique. Pékin pourrait même très bien répondre en limitant les exportations de ces composants indispensables, paralysant du coup la transition "écologique" des constructeurs de l'Ancien continent. Quadrature du cercle?
Bonus auto anti-Chinois
A son échelle, la France essaye aussi de lutter par elle-même contre l’invasion des voitures chinoises. Bercy a annoncé officiellement lundi les nouvelles modalités du futur bonus écologique (5.000 euros en 2023) pour l’achat d’une auto électrique. "Grâce à cette réforme, nous allons arrêter de subventionner les véhicules électriques qui ont une mauvaise empreinte carbone. Nous allons favoriser les véhicules dont la production émet le moins de CO2", affirme le ministre de l’Economie Bruno Le Maire. En clair, le bonus tiendra désormais compte du type de production du véhicules. Et les véhicules assemblés en Chine dans des usines fonctionnant au charbon auront peu de chances d’être adoubés. Quels véhicules seront éligibles? La liste ne sera publiée que le 15 décembre prochain. Une politique contre les véhicules "made in China" peut avoir des effets pervers. La Dacia Spring, la moins chère des voitures électriques vendues en France (20.800 euros), perdra-t-elle son bonus, parce qu’elle est justement produite dans l’ex-Empire du milieu ?