La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, lors d'une conférence de presse à Bruxelles le 10 juillet 2021

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, lors d'une conférence de presse à Bruxelles le 10 juillet 2021

afp.com/François WALSCHAERTS

Une coïncidence heureuse du calendrier ? Alors que les Français célèbrent le retour de leur fête nationale, Bruxelles pose en ce 14 juillet les jalons de sa révolution verte. La Commission vient de dévoiler les grandes lignes de son plan "Fit for 55" ("paré pour 55"), véritable feu d'artifice législatif censé mettre l'Union européenne sur la voie de son "Green Deal" et la réduction des émissions de gaz à effet de serre de 55% d'ici 2030.

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Cinq ans, et quelques, après les accords de Paris et en amont d'une COP26 de Glasgow qui s'annonce décisive, l'Europe veut affirmer son leadership sur la question climatique. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, l'a d'ailleurs indiqué ce mercredi : "L'Europe était le premier continent à déclarer qu'il parviendrait à la neutralité carbone, nous sommes à présent les premiers à présenter une feuille de route concrète".

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Comment atteindre les objectifs de l'Union ? C'est le sens de "Fit for 55", douzaine de directives et règlements visant à donner une traduction législative à cette ambition pour les dix prochaines années. "C'est un moment de vérité pour l'Union européenne, et sa capacité à mettre en oeuvre une politique climat ambitieuse", souligne Lola Vallejo directrice du programme climat de l'IDDRI (France). Voici les principales mesures dévoilées ce mercredi, qui feront l'objet d'âpres négociations pendant deux ans au moins avant une entrée en vigueur.

Marché du carbone bouleversé...

Pierre angulaire de la politique de l'UE en matière de lutte contre le changement climatique, le marché européen du carbone (ETS) va être profondément revu. Pour rappel, ce mécanisme créé en 2005 couvre les émissions de 10.000 installations du secteur de l'électricité et de l'industrie lourde (sidérurgie, ciment, raffinage pétrochimie) en Europe. Les compagnies aériennes, sur les vols intra-européens, sont également concernées. Le tout représente 40% des émissions de gaz à effet de serre de l'UE.

Chaque année, les États membres imposent un plafond d'émissions pour ces installations et allouent des quotas aux entreprises concernées (gratuitement ou via des enchères). A la fin de l'année, ces dernières doivent restituer chaque quota correspondant à leurs émissions. Deux cas de figure : si elle dépasse son plafond, l'entreprise doit se procurer des quotas via l'achat sur le marché ("pollueur-payeur") ou des crédits compensation, sous peine de lourde amende. Une installation moins émettrice que son plafond peut, au choix, garder ou vendre ses quotas. L'objectif de la Commission étant d'inciter les entreprises à réduire leurs émissions afin de réaliser des économies.

Problème, le marché du carbone n'a pas produit tous les effets escomptés. Jusqu'en 2012, la quasi-totalité des quotas était distribuée aux opérateurs de façon gratuite, avec des plafonds se réduisant de façon trop faible. La crise économique du début des années 2010, qui a débouché sur une baisse de l'activité et des émissions des producteurs par rapport à leurs plafonds, a également conduit à un excédent majeur de quotas disponibles. Résultat, le prix du carbone est resté scotché sous les 10 euros la tonne entre 2012 et 2018. Trop peu, pour inciter les acteurs à dépolluer leurs installations.

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C'est la raison pour laquelle Bruxelles compte accélérer. Sur les installations couvertes par le système ETS, l'objectif de réduction de gaz à effet de serre d'ici à 2030 va passer de -43% à -61%. L'arme de la Commission : une diminution bien plus rapide des plafonds, ainsi que la suppression des quotas gratuits pour de nombreux secteurs, comme l'aviation par exemple. Bien qu'en baisse tendancielle, ces derniers sont encore utilisés pour préserver certains secteurs sujets à une forte compétition internationale ou éviter la délocalisation de la production dans des pays hors-UE. L'ensemble des recettes générées par le marché du carbone devant être affectées par les Etats membres à des projets pour la transition ou pour le climat (ainsi qu'au fonds de solidarité, voire plus bas). Avec ces modifications, certains analystes tablent sur un prix du carbone à 75 dollars la tonne dès la fin de l'année.

Mais que les industriels se rassurent. Les quotas gratuits seront progressivement remplacés par un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF). Déjà très débattu, il vise à imposer aux marchandises produites hors Union européenne la tarification carbone en vigueur sur les mêmes produits européens de façon à compenser l'écart entre les normes écologiques de l'UE et celle des pays tiers. Une protection, là encore, pour éviter la perte de compétitivité de l'industrie européenne face à ses voisins. Reste que la mesure fait débat à l'intérieur comme à l'extérieur de l'UE. La Chine et d'autres, dénoncent une barrière protectionniste illégale. "Juridiquement, les avocats de l'Union européenne arriveront à trouver la parade. Le vrai enjeu, c'est de gérer l'atterrissage diplomatique, qui pourra être difficile", remarque Lucie Mattera, responsable de la politique européenne du think tank E3G (Third Generation Environmentalism). L'Allemagne, très forte à l'export, craint ainsi des représailles sur son secteur automobile.

...et élargi

Bouleversé, le marché du carbone va être élargi à d'autres secteurs. Le transport maritime y sera inclus, de même que le transport routier et celui du chauffage qui feront tous deux l'objet d'un marché parallèle en 2026. Et pour cause, le sujet est évidemment explosif, car il touche directement au portefeuille des particuliers. Malgré l'expérience de la taxe carbone française qui a débouché sur l'épisode des "gilets jaunes" et la faible adhésion des États membres (3 sur 27), Bruxelles s'accroche à ce dispositif. "Cette mesure peut faire voler en éclat l'adhésion forte pour la transition", s'inquiète Lola Vallejo de l'IDDRI.

"Sur une facture d'essence, cela représenterait un surplus pouvant aller de 6 centimes à 60 centimes le litre selon le prix de carbone," prévient Thomas Pellerin-Carlin, directeur du Centre Energie de l'Institut Jacques Delors (EU). Autant dire une potentielle fortune pour les ménages les moins aisés. Selon une étude polonaise, l'extension du marché carbone au chauffage et au transport routier pourrait représenter une charge de 1112 milliards d'euros en 15 ans pour les ménages, dans une hypothèse de prix élevé au carbone. "Cela peut représenter jusqu'à un mois de salaire par an pour les 20% ménages les plus pauvres dans certains pays", indique Thomas Pellerin-Carlin.

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Un fonds de solidarité pour redistribuer une partie de la recette aux populations moins favorisées est envisagé par Bruxelles d'ici 2028. Doté d'un budget estimé de 72,2 milliards d'euros sur 7 ans, il doit permettre aux populations les plus vulnérables de rénover leurs bâtiments ou avoir accès à des modes de transports bas carbone, voir des aides financières. Mais le dispositif est loin de faire l'unanimité, dans une Union européenne aux niveaux de vie et d'infrastructures de transport ou de bâtiment très hétérogènes. Désormais dans les mains des députés européens, ce volet "carbone" du pacte vert risque d'être l'un des plus débattus.

Fin des véhicules à essence à 2035 et ENR

Au-delà du marché carbone, l'Europe s'attaque directement aux émissions du transport, via la révision de directives existantes. Bruxelles envisage la suppression intégrale des émissions du secteur routier d'ici 2035, et une baisse de 55% en 2030 par rapport à 2021. Avec les nouvelles normes antipollution, les véhicules hybrides sont également visés par cette interdiction. Ce dispositif inquiète certains constructeurs. Devant l'Assemblée nationale la semaine dernière, le patron de Renault, Luca di Meo, a mis en garde contre une transition trop rapide, jugeant qu'elle pourrait détruire jusqu'à 50.000 emplois en France. "Notre position est de pouvoir (...) sauver pas seulement l'électrique, mais aussi l'hybride et l'hybride rechargeable", a-t-il indiqué.

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Côté aviation, la commission envisage également de taxer le kérosène pour les vols intérieurs à l'UE, mettant fin à l'exemption en vigueur, et d'imposer une part obligatoire de biocarburants dans le réservoir de chaque avion. Des biocarburants qui devront également être implémentés dans le transport maritime.

Du côté de la production d'électricité, la Commission propose également un objectif plus ambitieux à l'échelle de l'UE concernant la part des sources d'énergie renouvelables dans la consommation d'énergie en 2030. Celle-ci devra passer de 32 % dans les textes actuels, à 40 %. La France, qui avait déjà manqué l'objectif fixé en 2009 (avec seulement 19,1% de son mix d'origine renouvelable en 2020), est a priori en retard. Reste que sa production est largement décarbonée grâce au nucléaire. L'objectif fixé par Bruxelles n'a pas valeur de contrainte.

Forêt et puits de carbone naturels

Pour Bruxelles, les Etats membres sont aussi responsables du retrait du carbone déjà présent dans l'atmosphère. D'ici à 2030, la Commission estime que les Vingt-Sept doivent retirer près de 310 millions de tonnes de CO2 dans l'atmosphère d'ici à 2030 grâce aux puits de carbone naturels (les forêts notamment). Le précédent objectif était de 230 millions de tonnes. Chaque Etats membre devra fixer des objectifs en la matière. L'Europe compte également planter 3 milliards d'arbres d'ici 2030.

Répartition de l'effort

Dans les secteurs non-couverts par le marché carbone, soit 60% des émissions de l'UE (transports, l'agriculture, le bâtiment et les déchets), Bruxelles veut également renforcer ses ambitions. L'objectif de diminution de ce pan a été fixé à 40%. Pour y parvenir, la Commission table notamment sur des objectifs imposés aux États membres visant à la baisse de la demande énergétique. Celle-ci devra baisser d'au moins 36% d'ici 2030, contre 32,5% actuellement. Reste à répartir l'effort entre les pays membres, à travers le règlement du "partage de l'effort" (ESR), qui traduit l'ambition initiale selon les possibilités de chaque pays pour respecter l'équité. La Commission propose notamment que les Etats membres rénovent au moins 3% de leurs bâtiments publics chaque année, et que ceux-ci soient alimentés avec un mix disposant d'au moins 49% d'énergies renouvelables.

Si les négociations débuteront dès septembre, une chose est sûre pour Oliver Sartor d'Agora Energiewende, "il y aura un choc réel pour certains pays de l'Est, pour qui les objectifs précédents étaient relativement limités". Thomas Pellerin-Carlin relativise, lui, l'ampleur de la tâche. L'investissement "dans un futur vert ne coûte pas plus cher que le marron", explique-t-il, agitant le chiffre d'un effort inférieur à 1% du PIB. D'ailleurs, les pays membres pourront piocher dans l'énorme plan de relance européen (672,5 milliards d'euros) dont au moins 37% sera destiné à financer la transition énergétique.

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