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Consultations citoyennes : une ambition et une méthode à clarifier

C’est le 17 avril 2018, depuis le Parlement européen de Strasbourg, qu’Emmanuel Macron lancera un vaste processus de débats citoyens sur l’Union européenne, dont les contours comme les objectifs semblent louables mais restent malheureusement encore flous. Si tout acteur de la société civile européenne ne peut que se réjouir à l’idée que l’on promeuve davantage de débat citoyen sur le projet européen sur tout le territoire, il est essentiel de rester exigeant quant à l’objectif de cette initiative, la conduite de ces débats et leurs résultats.

En septembre 2017, le Président de la République française a appelé de ses vœux la tenue de « conventions démocratiques » destinées à « identifier les priorités, les préoccupations, les idées [des citoyens européens] qui nourriront notre feuille de route pour l’Europe de demain ». Devenues « consultations citoyennes » depuis décembre 2017, celles-ci se tiendront entre avril et octobre 2018 afin que des analyses, recommandations et conclusions puissent en être tirées lors du Conseil européen de décembre 2018. À la veille de leur lancement, vingt-six pays de l’Union européenne ont décidé de conduire ce débat sur leur territoire. À ce jour, seule la Hongrie manque à l’appel.

Ces consultations devraient, sous réserve de modifications par ces 26 États, prendre la forme d’une consultation numérique commune à tous les États, qui serait gérée par la Commission européenne ; de débats ouverts à tous les citoyens dans chaque pays participant, conduits à la fois par des autorités publiques européennes et nationales mais aussi par la société civile avec mise en place d’un processus de labellisation ; d’expériences de démocratie participative avec tirage au sort de citoyens et débats organisés dans une enceinte publique.

Le processus demeure néanmoins intergouvernemental et est donc contraint de respecter les spécificités de chaque pays ayant accepté de conduire des consultations. Cependant, si l’on veut pouvoir tirer des conclusions quant à l’opinion et aux idées des citoyens européens sur et pour le projet européen, il est nécessaire que les 26 États s’accordent sur des principes partagés et faire en sorte que les méthodes de consultation et d’analyse de ces dernières soient comparables.

S’ils sont en cours de discussion, il semblerait que les principes communs soient clairs : transpartisanisme, accessibilité et transparence doivent être au rendez-vous pour que ces consultations soient réellement citoyennes et permettent l’expression de tous les points de vue. Reste à savoir si les méthodes de consultations seront à même de prévenir toute récupération politique, qu’elle soit du fait des forces pro- ou anti-européennes. Ce risque existe et compromettrait l’intégralité du processus qui ne doit être ni une campagne de propagande pro-européenne, ni une tentative de récupération politique, et qui ne doit pas non plus permettre uniquement l’expression des eurosceptiques voire des europhobes.

Enfin, la comparabilité des résultats sera forcément liée à la mobilisation de chaque État membre dans ce processus. Or les ressources, notamment financières, qui seraient mises à disposition des acteurs censés s’en emparer sont encore à définir. L’initiative restant intergouvernementale, il se pourrait que l’on se dirige vers des méthodes de financements différentes dans chaque État, ce qui signifierait des moyens très inégaux en fonction des pays, nuisant à la comparabilité des analyses.

Ces questions sous-tendent une interrogation plus générale quant à la conduite des débats sur les territoires. Il s’agit là d’être capable de tirer les leçons de décennies de tentatives de mener des débats sur le futur de l’Europe dans toute l’Union afin d’être capable de libérer la parole citoyenne.

Il sera notamment nécessaire de clarifier qui organisera ces débats et s’il s’agira de réunions citoyennes avec présence de facilitateurs ou de débats avec des personnalités expertes de l’Europe ou politiques. La première option permet une parole plus libre et spontanée, mais peut demander un travail plus important de la part des structures qui porteront les débats afin de mettre en place les outils et méthodes permettant de libérer l’expression citoyenne et de la restituer au mieux ; la seconde, d’ores et déjà plus fréquente sur le territoire européen, peut conduire à des dialogues plus éclairés mais aussi plus contraints. Le risque serait alors que les citoyens qui souhaitent participer à ce type d’événement proviennent d’un cercle plus restreint et sensibilisé, mais aussi de susciter la frustration des prises de paroles spontanées en relevant trop facilement dans les idées et propositions ce qui est infaisable compte tenu des compétences de l’UE ou déjà fait. Ces derniers points doivent cependant impérativement être remontés dans la restitution afin que l’on puisse faire le bilan des idées que les citoyens trouvent bonnes et qui sont en réalité déjà en place, avec pour objectif d’en assurer une meilleur communication et diffusion.

Enfin, au-delà des enjeux de méthodes et moyens, c’est bien du côté des objectifs que résident les enjeux les plus cruciaux.

À l’exception des campagnes pour les élections européennes, dont l’Europe est de plus en plus absente, il ne faut pas perdre de vue que c’est en 2005, lors de la proposition de Traité constitutionnel, que l’avenir de l’Europe s’est invité pour la dernière fois quotidiennement dans les débats des citoyens européens. Ces débats ont alors suscité pour de nombreux Européens une immense frustration, d’une part parce que le projet qui leur était proposé alors leur a souvent semblé incompréhensible, mais aussi parce que nombre de ceux qui s’étaient prononcés contre ont, pour une large partie, eu l’impression que l’on contournait leur avis en 2007 avec le traité de Lisbonne. Que l’on partage ou non tout ou partie de ces idées et sentiments, ceux ayant eu cette perception il y a treize ans risquent d’être méfiants à l’égard du processus actuel. Il est donc nécessaire de clarifier ce à quoi sont vouées les conclusions qui seront tirées de ces consultations.

Le processus proposé ici tire, d’une certaine manière, les leçons de cet épisode en affirmant ne pas être un préalable à une renégociation des traités. Mais préciser ce que ne sont pas ces consultations ne clarifie pas ce qu’elles sont et ce à quoi elles sont destinées. Il est plus que jamais temps que les dirigeants européens qui se sont engagés à les tenir donnent des gages quant à la conduite de la restitution de ces consultations, et à l’impact qu’elles peuvent avoir sur les politiques européennes et les orientations du projet européen. Et cette exigence ne viendra pas que de la part des citoyens que l’on cherche à engager dans ce processus, mais aussi de la société civile. Pour la mobiliser, outre les moyens que chaque État consacrera aux événements liés aux consultations, il est impératif que les associations et organisations qui seront partie prenante du processus soient convaincues d’œuvrer pour permettre de libérer une parole citoyenne qui trouvera un écho chez les leaders européens et dans l’agenda du futur de l’Europe. Cet exercice, tout comme celui de la restitution de ces consultations, est indissociable des élections européennes à venir : ils peuvent tous deux constituer une excellente base sur laquelle construire les analyses, débats et propositions qui animeront toute l’Union à l’occasion de la campagne de 2019, pourvu que les exigences de transparence, de transpartisanisme, d’analyse transeuropéenne et d’engagement quant à leur impact réel soient respectées.

Claire Versini

Sur le même thème, voir le blog post de Maximilian Nominacher, « Let’s talk about Europe », sur le site du Jacques Delors Institut – Berlin.