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Demandeurs d’asile : « Le paradoxe du projet de “l’axe” Vienne-Rome »

L’Autriche et l’Italie réclament que les 28 instruisent les demandes d’asile dans des pays extérieurs à l’Union. Or ce projet, défendu par des souverainistes, exigerait de confier à l’Union une partie des compétences régaliennes des États membres, estime Jérôme Vignon, conseiller à l’Institut Jacques Delors.

Après les diatribes entre la France et l’Italie au sujet de la tragique errance de l’Aquarius, les yeux sont tournés vers l’Allemagne, théâtre d’un psychodrame politique entre Angela Merkel et son ministre de l’Intérieur, Horst Seehofer, chef du parti CSU. Tous deux sont membres de la même coalition si laborieusement élaborée. L’exploitation par le chef du parti chrétien-social bavarois de la moindre faille de la politique migratoire de la chancelière s’inscrit dans la logique des critiques qu’adresse à Angela Merkel, depuis 2016, l’aile droite de sa famille politique. Que le ministre fédéral bavarois veuille pousser son avantage jusqu’à menacer de mettre en danger la coalition s’il n’obtient pas gain de cause sur un durcissement de la politique de retours des déboutés de l’asile, en dit long sur les craintes que lui inspirent l’AFD, extrême droite devenue premier parti d’opposition outre-Rhin, à l’approche d’élections régionales en Bavière. La chancelière en a vu d’autres mais sortira encore affaiblie par ce chantage politique.

D’un point de vue européen, il est plus significatif de s’intéresser à la démarche du même Seehofer, s’affichant aux côtés du jeune et nouveau chancelier autrichien, Sebastian Kurz, pour appuyer son initiative de constituer avec son nouvel homologue italien, Matteo Salvini, et pourquoi pas avec d’autres pays gouvernés par une majorité hostile à l’accueil des migrants, tels que les Pays-Bas et le Danemark, un «axe des volontaires dans la lutte contre l’immigration illégale». Si le concept d’axe réveille de sombres souvenirs, il masque en réalité le projet nourri depuis plusieurs mois par la prochaine présidence autrichienne du Conseil de l’Union européenne de «renverser la table» de la politique européenne de l’asile.

Approche australienne

Cette politique s’est construite progressivement depuis une dizaine d’années sur un socle de règlements dits de Dublin. Aussi imparfaits soient-ils, ces règlements garantissent, de manière homogène, que tout migrant en détresse arrivé sur le sol d’un pays de l’Union puisse y voir ses droits respectés selon les conventions internationales et les droits fondamentaux à la base de la construction européenne. Elles prévoient aussi un cadre commun pour le retour vers leur pays d’origine de ceux qui ne peuvent bénéficier d’une protection, dans le respect des mêmes droits fondamentaux. Ce socle juridique est aujourd’hui mis à l’épreuve par l’insuffisance des mécanismes de solidarité, autrement dit, en cas d’afflux, de «relocalisation» des demandeurs d’asile (transfert d’un demandeur d’asile du pays où il est arrivé, comme l’Italie ou la Grèce, à un autre pays de l’Union, NLDR). Renforcer cette solidarité en remettant en cause le principe de la responsabilité du «pays de première entrée» a pour corollaire le renforcement de la qualité des contrôles aux frontières extérieures de l’Union.

Toute autre est la perspective que semble vouloir dessiner la future présidence autrichienne. Inspirée de l’approche dite australienne, elle se donne pour objectif d’éviter que les migrants dépourvus a priori de visas ne puissent atteindre les frontières extérieures de l’Union. Les demandes d’asile vers l’Union seraient externalisées dans des pays de transit et les personnes inéligibles renvoyées vers des pays «sûrs». L’évocation des pays qui pourraient jouer ce rôle de tampon -Turquie, Égypte, Niger, Libye, Albanie – inspire toutes les craintes. Une telle approche ne supprimerait certainement pas les entrées illégales ; elle engendrerait plus de souffrances, ne résoudrait rien des causes profondes sous-jacentes aux migrations forcées et trahirait les fondements de la construction européenne.

Soulignons aussi combien cette approche nouvelle, destinée à conjurer la crainte des étrangers, est paradoxale. Émanant de partis devenus des plus eurocritiques, sinon «souverainistes», qui ne manquent pas une occasion de dénoncer l’autoritarisme bruxellois, elle nécessiterait une intégration sans précédent des outils de politique extérieure de l’Union. Pour établir des bases européennes de gestion du transit en amont, à la hauteur des flux qui traversent à haut risque la Méditerranée, actuellement de 150.000 à 160.000 personnes par an, il faudrait réussir une coordination des moyens de renseignement, des agences d’instruction de l’asile, voire de moyens militaires, sans commune mesure avec ce qui a été fait jusqu’à présent.

Autrement dit, pour s’exonérer de la solidarité face à l’accueil des demandeurs d’asile, les gouvernements autrichien et italien n’hésitent pas à franchir un pas de géant vers la fédéralisation de la sécurité européenne. Le prochain Conseil européen des 28 et 29 juin sera sans doute le premier révélateur de ce dilemme dont on peut espérer qu’il fera au moins apparaître une vérité incontournable: en matière migratoire, l’approche européenne est la seule, en raison des coopérations qu’elle suscite entre États membres de l’Union, à pouvoir définir une voie de maîtrise à long terme pour une Europe qui ne serait ni une passoire, ni une forteresse.

Jérôme Vignon
Tribune initialement publiée dans le Figaro, le 17 juin 2018

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