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La crise institutionnelle de l’UE … Au fait qu’en pensent les nouveaux Etats-membres ?

Séminaire organisé par Notre Europe à Paris le 9 décembre 2005 avec la collaboration de l’Association France Pologne pour l’Europe, the Europeum, l’Institut d’Affaires Publiques de Varsovie, Providus et Euractiv.fr

Dès la fin du communisme (1989-1991), les ex-pays de l »Est (Pologne, République tchèque, Slovaquie, Hongrie, Slovénie, Lettonie, Lituanie, Estonie) ont été impliqués dans le processus de la construction européenne, et ce en vue de leur intégration. Ainsi, de fait, ils sont devenus des acteurs de la socialisation européenne. L »UE leur a permis à la fois une ouverture progressive au marché unique et, gr ce aux aides reçues comme celles au titre du programme PHARE, une mise à niveau juridique et une modernisation de leurs administrations. En même temps, ces pays se sont insérés dans les débats sur l »identité, les valeurs et la citoyenneté européennes. Les négociations autour de l »acquis communautaire, tout comme les travaux de la Convention pour l »avenir de l »Europe auxquels ils ont été associés à part entière, ont fait que des enjeux initialement idéologiques, abstraits et externes du type « Retour à l »Europe » sont devenus concrets et de plus en plus intériorisés par chaque pays. Ce fut pour eux la « domestication » de l »Europe. Tous ces moments ont été décisifs pour l »apprentissage communautaire des divers acteurs de l »Europe centrale et pour leur insertion dans le jeu européen.

Certains se sont plaints, à juste titre, de l »asymétrie du processus. Ceci était d »autant plus mal vécu que ces pays venaient de se libérer d »une puissance dominatrice, l »Union soviétique, qui les avait privés du droit à l »autodétermination. D »ailleurs, eurosceptiques, euro -réalistes et autres anti-européens, très actifs sur les scènes politiques de l »Europe centrale ont toujours recours à l »amalgame comparant l »UE à l »URSS et arguant que, comme cette dernière, on exigerait des nouveaux membres l »abandon volontaire de certains attributs fraîchement reconquis de souveraineté.

Des deux côtés, ce processus de reconnaissance mutuelle est loin d »être terminé. En témoignent notamment, du côté des anciens membres de l »UE, les dérapages symboliques autour de l »épouvantail du « plombier polonais » durant la dernière campagne référendaire en France. Ce dérapage n »est que la partie visible d »un véritable problème sémantique. Les acteurs politiques européens doivent apprendre que les mésusages des symboles jouent par leurs conséquences.

Cela ne concerne pas uniquement les démagogues, dont c »est l »arme politique routinière, mais, trop souvent, les Européens convaincus. Il est vrai que dans les nouveaux Etats membres, mais aussi chez ceux qui en font partie depuis plus longtemps, on perçoit un véritable déficit identitaire de l »Europe. Dans une telle conjoncture, le poids des mots est crucial. L »insouciance avec laquelle les hommes politiques font usage du bricolage métaphorique est un exemple parmi d »autres. On ne mesure en effet pas bien les dégâts engendrés par les métaphores empruntées à la géométrie (« cercles »), à la thermodynamique (« combustion du noyau dur ») ou à l »économie des transports (les « routes » et les « autoroutes »). Pour les Européens de l »Est, cela est lu comme une tentative de distinguer deux catégories de citoyens européens: ceux de première et ceux de deuxième zone.

Cette même sensibilité de nouveaux pays membres s »est manifestée le 1er mai 2004 autour d »une autre querelle sémantique : s »agissait-il de l »élargissement de l »UE ou de la réunification de l »Europe comme l »affirmaient Vaclav Havel et Bronislaw Geremek ? Pour ces derniers, les mots avaient une grande importance. C »est la raison pour laquelle ils préféraient parler de « réunification » comme s »ils voulaient bien souligner que leurs pays n »avaient jamais cessé d »être européens, nonobstant la division de 1945. La même importance des mots s »est révélée à l »occasion du débat sur les racines axiologiques, et notamment religieuses, du Préambule du traité. Ce n »est d »ailleurs pas un hasard si la Pologne, pays du pape Jean Paul II, en a fait un important cheval de bataille identitaire.

Depuis l »adhésion des 8 pays post-communistes à l »UE en mai 2004, le rapport à l »UE a profondément évolué. Malgré les craintes et en dépit de l »abstention massive, le vote pour l »adhésion a été largement majoritaire. Cependant, les dirigeants de l »Europe centrale, comme B. Geremek, ont souligné que “le manque d »enthousiasme des pays candidats n »est que le reflet du manque d »enthousiasme des Quinze”.

La situation asymétrique entre ces pays et les institutions de l »UE, ainsi qu »entre eux et les anciens Etats membres a évolué vers un rapport symétrique depuis leur adhésion en tant que membres à  part entière. L »adhésion a créé de nouveaux défis pour les administrations et les acteurs politiques de ces pays, passant d »une acceptation plutôt passive de l »acquis communautaire avant l »élargissement à une contribution active à la définition des politiques communautaires et à la négociation dans le cadre des institutions européennes.

Leur poids politique sur la scène européenne s »est d »ailleurs manifesté récemment à l »occasion du compromis sur les perspectives financières. Exception faite néanmoins des périodes de transition qui restreignent encore les droits de ces pays dans quelques domaines , comme l »accès au marché de travail.

Les pays de l »Europe centrale ont été aussi très actifs durant le débat sur le texte du Traité constitutionnel, que ce soit avant ou après l »élargissement (2002-2005). Outre la participation de délégations complètes et représentatives aux travaux de la Convention sur l »avenir de l »Europe, ces pays ont eu une influence remarquée jusqu’à la Conférence Intergouvernementale qui a finalisé le texte. A cette occasion, chacun de ces pays a reproduit d »intéressants clivages entre partisans et opposants de l »approfondissement, discussions qui ont ensuite été relayées par des forums et par les médias. Ce qui explique que, à l »intérieur de ces pays, la connaissance des enjeux était parfois plus importante que dans les anciens Etats membres. Les stratégies de ces pays lors des débats à la Convention étaient diversifiées et le réflexe de se constituer en groupe de pression issu de l »ancien bloc soviétique a été presque totalement absent. Ce sont plutôt d »autres clivages qui ont trouvé à s »exercer : entre grands pays et petits pays, entre anciens pays membres de la région de la Mitteleuropa, entre pays du quadrilatère de Visegrad etc.

Après l »échec des référendums en France et au Danemark, le débat sur l »avenir “constitutionnel” de l »Union européenne a été “gelé” et désactivé. Certains parmi les nouveaux membres comme la Hongrie, la Lituanie, la Slovénie, la Slovaquie ou la Lettonie, qui ont opté pour la voie parlementaire, l »ont ratifié entre décembre 2004 et juin 2005. La Pologne et, surtout la République tchèque, qui ont choisi la voie référendaire, semblaient soulagées de pouvoir reporter la décision de la date du vote, grâce à l »échec référendaire en France et aux Pays-Bas. On a d »ailleurs l »impression que ce débat n »est plus prioritaire au niveau gouvernemental, toute campagne d »information sur le texte du traité ayant cessé comme par enchantement.

La crise provoquée par le rejet du texte constitutionnel, mais plus généralement ce qui apparaît pour certains nouveaux Etats membres comme la crise de la “gouvernance européenne”, ne remet pas radicalement en cause le projet européen. Toutefois, la perception des symptômes de cette crise diffèrent entre anciens et nouveaux Etats membres. Par exemple, l »absence de solution dans le conflit autour de la directive de libéralisation des services, à laquelle la plupart de nouveaux membres, par essence plus libéraux, ont donné leur aval, perturbe la compréhension mutuelle. Ces pays ne comprennent pas non plus les diverses restrictions à la liberté de circulation de la main d »oeuvre, ni le débat sur les méfaits de délocalisations. Les obstacles récents à l »adoption du budget

2007-2013 ont été également ressentis comme une importante entorse au principe de solidarité européenne. Il va de soi que « l »Eurocrise » se reflète dans les débats partisans internes à chaque pays en versant de l »eau au moulin des eurosceptiques (« euroréalistes » comme ils aiment à se nommer en République tchèque). Toutefois, même pour ces tendances centrifuges, il est devenu urgent de changer de tactique, en passant du statut d »outsider européen vers le statut d »insider. Leur participation aux élections au Parlement européen de juin 2004 en témoigne.

La donne européenne a totalement changé depuis le 1er mai 2004. Malgré la crise de la « gouvernance européenne » qui en est indirectement la conséquence, les nouveaux pays membres et leurs élites ne désespèrent pas de l »Europe. Comme l »a dit un analyste polonais après le rejet français du texte du traité : « Ce vote est porteur d »une bonne nouvelle pour l »Europe : une Europe politique avec une autre définition, naîtra de toute façon. Une Europe, dont les lignes directrices seront données par les sociétés et non pas les technocrates ». Si on retranche de cette opinion un soupçon de démagogie, le message demeure fort. Pour gagner la prochaine tentative de constitutionnalisation de l »UE, celle qui approfondira les mécanismes de l »intégration, il faudra davantage associer à cet enjeu le citoyen européen.