A Bruxelles, l’Union européenne cherche à dessiner son futur industriel
Miser sur des fonds existants ou ouvrir la voie à des nouveaux financements ? C’est la vaste question sur laquelle se sont penchés les chefs d’Etat et de gouvernement européens réunis à Bruxelles le 9 février dans l’espoir de redresser la compétitivité du Vieux continent.
«Face à la nouvelle réalité géopolitique, l'Union européenne (UE) agira avec détermination pour assurer sa compétitivité et sa prospérité à long terme ainsi que son rôle sur la scène mondiale.» Dans ses conclusions du jeudi 9 février, le Conseil européen ne mâche pas ses mots. Le choix des termes employés en dit long sur le niveau d’inquiétude des 27 chefs d’Etat et de gouvernement : ils craignent pour leurs industries alors que la menace chinoise pèse de plus en plus lourd sur l’Europe et que les Etats-Unis, par le biais de l’Inflation reduction act (IRA), entendent inonder leurs entreprises d’aides et autres subventions pour faciliter la transition verte - quitte à fausser le jeu de la concurrence mondiale.
«Les Européens doivent éviter un détournement de l’investissement européen vers les Etats-Unis alors que le coût de l’énergie y est déjà bien moins élevé qu’en Europe, sans susciter une course aux subventions entre Etats membres de l’UE qui fragiliserait les règles de concurrence équitable sur lesquelles est bâti le marché unique», résume Elvire Fabry, chercheuse à l’Institut Jacques-Delors.
Alors, à Bruxelles, après avoir accueilli le président ukrainien Volodymyr Zelensky et évoqué l’épineux dossier de la migration, les dirigeants ont discuté "économie" et "industrie". C’était même pour cela, initialement, que ce sommet "exceptionnel" avait été convoqué par le président du Conseil européen Charles Michel. «Au sein de l’UE, il n’y a plus d’opposition frontale à l’idée de parler de politique industrielle européenne, et cela est nouveau», note une source européenne haut placée.
Vers une flexibilisation des fonds européens existants
Mais entre en "parler" et "s’entendre", il y a un monde, et pour cause : tous les Etats membres n’ont pas la même vision de la marche à suivre pour tenir tête à leurs rivaux commerciaux, loin de là. Il y a ceux qui réclament des financements nouveaux, ceux qui veulent utiliser différemment des enveloppes budgétaires déjà existantes, ceux qui ne jurent que par la flexibilisation des aides d’Etat, ceux qui pensent que cette option-là "fragmentera" à coup sûr le marché intérieur et ceux qui rêvent d’un fonds de souveraineté tout nouveau, tout beau, pour soutenir les projets industriels les plus respectueux de l’environnement…
La France est de ceux-là, mais elle a accepté de mettre cette doléance de côté, au moins un temps, afin de faire émerger un consensus sur des solutions de plus court terme. A l’issue de la grand-messe bruxelloise, le président Emmanuel Macron a ainsi admis que «flexibiliser les fonds existants, c’est ce qu’il faut faire». Les conclusions des Vingt-sept en témoignent : «Il convient de déployer de manière plus flexible les fonds existants de l'UE et d'étudier des possibilités permettant de faciliter l'accès au financement», écrivent-ils.
Quels fonds, à quel niveau et quelle échéance ? A la Commission européenne d’y répondre. L’institution devrait dévoiler des propositions législatives concrètes sur la table début mars, pour mettre en musique son "plan industriel du Pacte vert" dévoilé le 1er février.
L’idée d’introduire un fonds de souveraineté n’est pas totalement abandonnée pour autant, mais le Conseil européen s’est pour l’heure contenté de "prendre acte de l'intention de la Commission de proposer avant l'été 2023" un tel fonds qui serait "destiné à soutenir l'investissement dans des secteurs stratégiques". Les dirigeants ont d’ores et déjà pris rendez-vous dès les 23 et 24 mars pour poursuivre ces pourparlers.