Acier : Bruxelles et Washington prolongent la trêve pour résoudre leur conflit douanier
Les exportateurs européens d'acier et d'aluminium continueront pendant 15 mois de bénéficier de quotas sans droits de douane pour leurs ventes aux Etats-Unis. L'Europe suspend aussi ses mesures de représailles.
Par Richard Hiault
Les hostilités sont suspendues. Le temps de trouver un accord définitif sur la taxation par les Etats-Unis des importations d'acier et d'aluminium en provenance de l'Union européenne (UE). Européens et Américains ont décidé d'un commun accord de prolonger la trêve conclue en 2021 et dont l'échéance arrivait à la fin de l'année.
Ils se donnent jusqu'en mars 2025 pour résoudre leur différend né de la décision de Donald Trump, en 2018, d'instaurer des droits de douane sur les importations d'acier (25 %) et d'aluminium (10 %) pour des raisons de sécurité nationale. Par mesure de rétorsion, les Européens avaient imposé des taxes sur un éventail de produits américains importés, comme le whisky et les motos Harley-Davidson.
Avec l'arrivée de Joe Biden à la présidence, les deux blocs étaient parvenus à suspendre leur décision jusqu'à la fin de l'année 2023, le temps de trouver une solution.
Surcoût pour l'Europe
Bruxelles assure que Washington a accepté d'envisager de «nouvelles exclusions des droits de douane pour les exportateurs de l'Union européenne ». Dans un tweet, Valdis Dombrovskis s'est félicité de l'accord en espérant parvenir à une solution dans les prochains mois.
🇪🇺🇺🇸 NEW: We’re extending the suspension of our tariffs on US steel & aluminium.
— Valdis Dombrovskis (@VDombrovskis) December 19, 2023
This decision provides stability for our importers and exporters while we pursue negotiations for a full & permanent removal of Trump-era 232 tariffs on EU exports.
➡️ https://t.co/YCFAZ56xTd pic.twitter.com/yoc6ZRWw9w
« Dans les faits, le dossier est bloqué. Les Américains souhaiteraient créer une sorte de club des producteurs d'acier et d'aluminium vert, ce qui permettrait aux producteurs américains d'échapper au mécanisme d'ajustement carbone aux frontières mis en place par les Européens », explique Elvire Fabry, experte en géopolitique du commerce international à l'Institut Jacques Delors. « C'est une position qui ne convient pas aux Européens car elle crée une discrimination non conforme aux règles de l'Organisation mondiale du commerce et pourrait constituer un précédent pour les autres pays qui ne voient pas d'un très bon oeil ce mécanisme carbone », ajoute-t-elle.
A ce stade, les entreprises européennes exportant de l'acier et de l'aluminium peuvent le faire en franchise de droits de douane jusqu'à un certain volume (1,7 million de tonnes d'acier et 146.000 tonnes d'aluminium). Au-delà, les taxes devaient s'appliquer. Washington a toutefois fait preuve de bonne volonté en accordant respectivement 1,5 million de tonnes d'acier et 70.000 tonnes d'aluminium supplémentaires d'importations sans aucune taxe. Mais ces quotas s'avèrent trop faibles au regard des exportations totales européennes vers l'oncle Sam (3,8 millions de tonnes d'acier et 289.000 tonnes d'aluminium en 2022).
Dans l'immédiat, le prolongement de la trêve évitera aux exportateurs européens de devoir s'acquitter de 1,5 milliard d'euros de droits de douane par an. Les deux parties disposent désormais du « temps nécessaire » pour parvenir à cet accord, selon la Commission européenne.
Le risque Trump
« En acceptant de prolonger la trêve au-delà des élections présidentielles américaines, les Européens prennent le risque de devoir faire face au rétablissement plein et entier des droits de douane sur leur acier en cas de réélection de Donald Trump », analyse Elvire Fabry, ajoutant que « le rétablissement potentiel de ces taxes américaines ferait le jeu de la Chine ». Et ces droits ne résoudront pas le problème des surcapacités de production chinoise.
« Bruxelles et Washington sont d'accord pour lutter contre les surcapacités de production en Asie […]. Mais nous ne sommes pas sur la même longueur d'onde pour y parvenir. Les Etats-Unis veulent privilégier les droits de douane tandis que les Européens préfèrent leurs instruments de défense commerciale », indiquait le mois dernier une source diplomatique à Paris. Les positions n'ont pas varié depuis.
Richard Hiault