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Adhésion à l’UE : la Géorgie, un enjeu moral autant que géopolitique

EDITORIAL - Alors que la Géorgie vient d’obtenir ce jeudi 14 décembre son statut de candidat à l’UE, les caméras se concentrent sur l’Ukraine. Pourtant, la Géorgie n’est pas bien loin de sa voisine et les enjeux géopolitiques sont tout aussi élevés. Notre éditorialiste Marc Semo revient sur l’histoire de ce pays assombri par l’ombre de Poutine et de ses propres dirigeants.

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Des Géorgiens défilent pour célébrer le statut de candidat à l'Union européenne du pays, à Tbilissi, le 15 décembre 2023.
Des Géorgiens défilent pour célébrer le statut de candidat à l'Union européenne du pays, à Tbilissi, le 15 décembre 2023.
AFP / GIORGI ARJEVANIDZE
Des Géorgiens défilent pour célébrer le statut de candidat à l'Union européenne du pays, à Tbilissi, le 15 décembre 2023.
Adhésion à l’UE : la Géorgie, un enjeu moral autant que géopolitique
Marc Semo
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C’est un pays entre deux mondes. Entre 80 et 85 % (selon les divers sondages) des 3,7 millions d’habitants veulent un avenir européen. Même s’ils vivent au pied des montagnes du Caucase, les plus hautes d’Europe, bien loin du territoire de l’UE. Le pouvoir, lui, contrôlé pendant une décennie par l’oligarque pro russe Bidzina Ivanichvili, regarde toujours plus vers Moscou dont l’emprise, notamment économique, sur le pays ne cesse de croître. « La Géorgie en tant qu’Etat indépendant pourrait disparaître si elle reste ou si elle est laissée dans une zone grise », a rappelé dans une interview écrite à l’AFP, l’ancien président réformateur et pro-européen Mikheïl Saakachvili, emprisonné depuis 2021 par l’actuel régime autoritaire pour une affaire d’abus de pouvoir qu’il conteste.

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La question de l’ouverture des négociations d’adhésion avec l’Ukraine et la Moldavie a focalisé toutes les attentions lors du sommet européen des 14 et 15 décembre. Malgré l’opposition de la Hongrie de Viktor Orban, qui s’est finalement abstenu en quittant la salle, les dirigeants européens ont donné un signal fort de leur soutien à ces deux pays menacés par la Russie. Mais ils ont aussi attribué le statut de pays candidat à la Géorgie, dont la Russie occupe 20 % du territoire. L’actuelle Présidente géorgienne et ancienne diplomate française Salomé Zourabichvili, pro-occidentale mais sans pouvoir, a salué « une immense étape » pour le pays. L’Union Européenne fait le pari de la Géorgie.

Une telle décision n’était pas acquise d’avance. « Rien n’est encore tranché même si la décision de l’UE qui reconnaît notre destin européen est importante car le pouvoir reste pro russe et il ne fera rien de concret pour nous rapprocher de l’Europe bien au contraire », résumait lors d’un colloque de l’IFRI (Institut Français des Relations Internationales) Thornike Gordadzé, ancien vice-ministre chargé des questions européennes de Saakachvili et chercheur à l’Institut Jacques Delors.

Le dilemme de l’Ukraine

En juin 2022, sous le choc de l’agression russe contre le voisin ukrainien, les « 27 » avaient accordé le statut de pays candidats à l’Ukraine et à la Moldavie. Mais le sort de la Géorgie, elle aussi parmi les impétrants, était alors resté en suspens. Notamment dû à l’ampleur de la corruption, des insuffisances de l’État de droit et plus en général du recul démocratique. Des dizaines de milliers de Géorgiens avaient alors manifesté pour montrer leur attachement à l’Europe et demander la démission du gouvernement accusé de saboter sciemment toute perspective d’un avenir européen pourtant inscrit dans la Constitution.

En novembre dernier, la Commission européenne avait estimé que la candidature géorgienne était recevable tout en posant un certain nombre de conditions et exigeant de profondes réformes institutionnelles. C’est donc une nouvelle chance qui s’ouvre pour la Géorgie qui représente à cet égard un cas emblématique des défis, des difficultés et des faux semblants du processus d’élargissement.

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L’UE se trouvait face à un réel dilemme. Accorder le statut de pays candidat revient à récompenser et à légitimer aux yeux de sa population un pouvoir toujours plus autoritaire et hostile dans les faits au projet européen même si les déclarations officielles disent le contraire. Mais le refuser reviendrait à punir les Géorgiens. « Il y a un risque réel que conforté par ce statut accordé par Bruxelles, le régime ne renforce encore la répression contre les derniers médias libres et que les prochaines élections en octobre 2024 soient à nouveau manipulées », explique Thornike Gordadzé. L’ancien vice-ministre espère des pressions très fortes de l’Union européenne pour garantir un scrutin équitable.

Les jeunes Géorgiens font partie de ceux qui souhaitent intégrer l'Europe.

Les jeunes Géorgiens font partie de ceux qui souhaitent intégrer l'Europe. Crédit: AFP / VANO SHLAMOV

Les aspirations européennes des populations des lisières de l’Union peuvent en effet être instrumentalisées par les pouvoirs autoritaires en place pour mener une politique qui n’a pas grand-chose à voir avec les valeurs et les objectifs de l’Union. C’est vrai en Géorgie mais aussi pour des pays qui ont déjà commencé les négociations comme la Serbie. Dirigée par le très autoritaire Aleksandar Vucic, le pays se refuse notamment à appliquer les sanctions contre la Russie et reprend en bonne part le narratif russe sur la guerre en Ukraine. Il sert aussi de cheval de Troie à la pénétration chinoise dans tous les Balkans.

En Turquie, Recep Tayyip Erdogan continue à clamer sa volonté de se rapprocher de l’Europe et de réouvrir un processus de négociations en coma depuis des années. Le tout en continuant à bafouer les principes européens, comme ceux de l’Otan.

Révolution et union

La Géorgie représente pour l’Europe un enjeu moral autant que géopolitique. Elle fut l’une des premières ex-républiques soviétiques à se dégager de l’influence de Moscou. Dès 2004, la « révolution des roses » renverse le vieil apparatchik Edouard Chevardnadze pour instaurer un pouvoir pro européen et réformateur, modèle de modernisation dans l’espace de l’ex-URSS.

Un partisan de l'opposition géorgienne grimpe sur un drapeau national géorgien lors d'un rassemblement devant le bâtiment du parlement dans le centre de Tbilissi, le 2 novembre 2007. Des dizaines de milliers de personnes avaient occupé le centre de la capitale géorgienne Tbilissi pour protester contre le président Mikheil Saakashvili, qui, il y a quatre ans, était le héros de la révolution des roses en faveur de la démocratie.

Un partisan de l'opposition géorgienne grimpe sur un drapeau national géorgien lors d'un rassemblement devant le bâtiment du parlement dans le centre de Tbilissi, le 2 novembre 2007. Des dizaines de milliers de personnes avaient occupé le centre de la capitale géorgienne Tbilissi pour protester contre le président Mikheil Saakashvili, qui, il y a quatre ans, était le héros de la révolution des roses en faveur de la démocratie. Crédit: AFP / VANO SHLAMOV

L’ancien président Mikheïl Saakachvili en fut le symbole. En 2008, ce dernier demanda en même temps que son homologue ukrainien une intégration dans l’Otan. Soutenue par le président américain George W. Bush lors du sommet de l’Otan à Bucarest, cette requête fut rejetée par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel. Ils estimaient qu’une telle mesure ne ferait que compliquer encore un peu plus les relations avec Moscou.

On se contenta donc de rappeler la vocation de ces deux pays à rejoindre un jour l’Otan tout en restant dans le flou. C’était la pire des décisions possibles. Deux mois plus tard, en août 2008, Vladimir Poutine envoyait ses chars contre Tbilissi et renforçait sa mainmise sur les républiques sécessionnistes pro russe d’Abkhazie et d’Ossétie du Nord-Alanie.

« Poutine a deux manières de soumettre ses voisins, explique Zurab Tchiaberashvili, ancien diplomate et poids lourd du Mouvement national unifié, la principale force de l’opposition. S’emparer des territoires par la force et s’emparer de l’État par des élections manipulées ».

Le marionnettiste

En 2013, le parti Rêve géorgien, créée par Bizdina Ivanichvili, gagnait les élections et prenait le contrôle de tous les rouages étatiques avec des hommes dont bon nombre avaient été ses employés. Quand la Commission européenne dans ses recommandations, évoque la nécessaire « déoligarquisation », elle pense évidemment à lui, même s’il n’est pas mentionné explicitement.

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Il est l’homme le plus riche du pays et a fait tout son argent à Moscou avec la bénédiction du Kremlin. S’il n’est plus en première ligne, il continue de tirer toutes les ficelles. Quand la présidente Salomé Zourabichvili dont il avait financé la campagne commença à prendre des positions ouvertement pro européennes il tenta sans succès de la destituer. Désormais elle est son adversaire.

Géographiquement cruciale

Le Kremlin via ses relais sur place ne cédera pas facilement. La Géorgie représente en effet un appui essentiel pour Moscou en mer Noire qui fut longtemps quasiment un lac soviétique. Seule la Turquie au sud, membre de l’Otan, échappait alors à l’hégémonie soviétique. Depuis l’effondrement de l’URSS, la majorité des pays riverains dont la Roumanie et la Bulgarie ont rejoint l’Otan. L’Ukraine le veut aussi et Kiev a réussi grâce à ses drones marins à mettre en difficulté la flotte russe de la mer Noire qui ne quitte plus ses ports d’attache.

La Géorgie occupe en outre une position clef en Transcaucasie où l’influence russe ne cesse de décliner. Le Premier ministre réformiste et pro européen arménien, Nikol Pachinian, a pris acte du lâchage russe lors de la guerre du Nagorno-Karabakh — reconquis par l’Azerbaïdjan — et négocie directement avec Bakou les conditions d’une paix qui permettrait le désenclavement de toute la région et l’ouverture des frontières terrestres avec la Turquie.

Vladimir Poutine avait lancé son agression contre l’Ukraine pour contrer l’avancée de l’Otan. Elle a eu jusqu’ici l’effet opposé aussi bien au nord avec l’adhésion de la Finlande et bientôt de la Suède, mais aussi au sud, si la Géorgie réussit sa longue route vers l’ouest. Pour toutes ces raisons, l’Europe ne peut ni ne doit oublier la Géorgie.

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