Le siège du Parlement européen à Strasbourg, le 9 mai 2022

Le siège du Parlement européen à Strasbourg, le 9 mai 2022.

afp.com/Ludovic MARIN

Après plus de 17 ans d'attente pour la Macédoine du Nord et 8 ans pour l'Albanie, l'Union européenne a annoncé ce mardi 19 juillet l'ouverture des négociations d'adhésion des deux pays. "C'est un moment historique", a souligné la présidente de la commission européenne Ursula Von der Leyen au cours d'une conférence de presse à Bruxelles avec les dirigeants des deux pays des Balkans occidentaux. Et d'ajouter : "C'est ce que vos citoyens attendent depuis si longtemps et ce pour quoi ils ont travaillé si dur, et c'est ce qu'ils méritent".

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Néanmoins, "le chemin à parcourir avant une adhésion définitive à l'Union européenne est encore long", rappelle auprès de L'Express le chercheur à l'Institut Jacques Delors Cyrille Bret. Entretien.

L'Express : La Macédoine du Nord est candidate à une adhésion européenne depuis 2005, l'Albanie depuis 2014. Pourquoi la décision tombe-t-elle aujourd'hui ?

Cyrille Bret : Ces deux candidatures sont anciennes et leur reconnaissance l'est aussi. S'il y a du mouvement aujourd'hui précisément, c'est parce que le gouvernement de Macédoine du Nord a annoncé samedi avoir accepté un compromis pour régler son litige avec la Bulgarie, un Etat membre de l'Union européenne avec qui elle a des différends historiques et culturels de longue date. Il est absolument essentiel que ce compromis soit acté, dans la mesure où il est impossible d'admettre au sein de l'Union européenne un pays qui a des litiges avec un Etat membre.

La guerre en Ukraine a-t-elle pu être un accélérateur ?

Assurément. Elle est un révélateur des aspirations de pays à rejoindre l'UE et est un accélérateur de ces processus.

L'octroi du statut de candidat dans des délais records par l'Ukraine et la Moldavie a suscité des attentes de la part des autres candidats, notamment l'Albanie, la Macédoine du Nord, la Serbie et le Monténégro. Les négociations avec la Turquie étant au point mort. Ces processus sont très exigeants et longs. Et ces pays qui construisent leur candidature depuis dix ans, voire vingt ans, ne voudraient pas être dépassés par les derniers arrivés.

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Désormais, les deux pays rejoignent la Serbie et le Monténégro dans le parcours des négociations d'adhésion. En quoi cela consiste-t-il ?

Ces négociations ont pour objectif de préciser les critères de Copenhague que doivent remplir tous les Etats candidats. Le texte, établi en 1993, liste les conditions que doit réunir un pays qui souhaite présenter sa candidature pour adhérer à l'UE. Il s'agit de mettre en conformité la vie du pays candidat avec les acquis communautaires de l'UE (règles communes à tous les Etats membres). Cela va des législations sur le commerce aux normes alimentaires. Point par point, il s'agit de mesurer les écarts qui existent aujourd'hui entre l'acquis communautaire et la législation nationale. Ce processus est un vrai travail d'alignement normatif. C'est très long.

Combien de temps ce processus peut-il prendre ?

Il faut généralement une dizaine d'années pour remplir ce processus. Et si aujourd'hui l'Ukraine joue comme accélérateur, ce processus est assez incompressible. D'abord parce que les Etats membres n'ont pas les capacités administratives pour aller plus vite. Mais aussi parce que contrairement aux croyances, l'UE ne dispose pas d'assez de ressources non plus. C'est très long parce que c'est très exigeant. Il s'agit de l'incorporation dans la vie d'un pays de toutes les normes essentielles de l'UE. Les Parlements nationaux doivent adopter des lois, faire évoluer l'appareil législatif. Puis, les institutions européennes doivent vérifier que les changements requis ont eu lieu...

En Macédoine du Nord, il semble que la patience de certains vis-à-vis de l'UE se soit évaporée. Des manifestations ont éclaté ces dernières semaines contre les compromis pour prétendre à une adhésion à l'UE... Le pays est-il toujours motivé par cette candidature ?

Cela fait partie des difficultés des processus sur le long terme. L'impatience des Macédoniens est très grande, et son adhésion ne se fera pas du jour au lendemain, mais le pays n'a pas vraiment d'autres choix. C'est un état de deux millions d'habitants qui est très enclavé et peine à faire décoller son économie.

Les oppositions face aux compromis demandés par l'Union européenne risquent de ralentir encore le processus d'adhésion. Mais la vie parlementaire de ces pays n'est pas suspendue à l'adhésion. Il va y avoir des moments d'accélération de la procédure et de moments de retrait.

Toutefois, ce ne sont pas des processus qui se déroulent contre la volonté des peuples. Les pays candidats ont toujours le choix d'arrêter ou de continuer. On l'a vu avec l'Islande en 2015 ou encore avec la Suisse en 2016. Le processus n'est pas irréversible.

Au niveau des pays membres, peut-il encore y avoir des blocages ?

Les vieux différends de la Macédoine du Nord et de la Bulgarie pourraient refaire surface, ce qui retarderait encore le processus. En outre, il est aussi possible que des réticences naissent de la part d'autres Etats membres devant cette vague d'élargissement. Celle-ci va déboucher sur des redistributions des richesses vers ces pays candidats dans un premier temps, puis nouveaux membres dans un second temps. Ce qui implique que les budgets soient revus pour tout le monde.

L'élargissement de l'Union européenne dans les Balkans est-il absolument nécessaire ?

Pour les pays des Balkans, l'adhésion à l'Union européenne paraît indispensable en termes économiques et de solidité des institutions politiques. Ce sont des petits pays très enclavés qui dépendent déjà beaucoup d'aides extérieures, et notamment de leurs populations immigrées, pour se développer.

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Pour l'Union européenne, ce n'est pas vital, or c'est le dernier espace européen qui ne fait pas partie de l'Union et d'autres s'attellent à y déployer leur sphère d'influence. Il est important pour l'UE de faire jouer ses avantages, notamment la proximité avec ces territoires, face à la rivalité de la Russie, de la Chine et très légèrement celle de la Turquie. L'Union ne peut pas se permettre d'avoir cet espace de vulnérabilité, car les Balkans pourraient devenir une zone de risque en étant intégrés dans l'aire d'influence de rivaux de l'UE, avec des instabilités politiques.

Ces cinq candidatures des Balkans marquent un tournant dans l'histoire de l'Union européenne. Soit elle s'affirme, soit elle s'écrase et prend le risque de subir encore une attaque sur son propre sol.

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