Agriculture : imposer les standards européens au reste du monde, un vœu pieux ?

Les discussions autour de l’accord de libre-échange entre l’UE et le Mercosur relancent le débat autour des standards européens de production en agriculture.

Les agriculteurs européens s’inquiètent des conséquences de l’accord de libre-échange entre l’UE et le Mercosur.
Les agriculteurs européens s’inquiètent des conséquences de l’accord de libre-échange entre l’UE et le Mercosur. (Lionel Le Saux/Le Télégramme)

Limiter l’importation de céréales ou de viande produites dans des conditions proscrites en Europe au nom de l’environnement, du bien-être animal ou de la sécurité alimentaire ? L’idée fait son chemin mais se heurte encore à de nombreux obstacles. Elle est de nouveau brandie alors que les négociations sur le libre-échange avec le bloc latino-américain du Mercosur semblent s’accélérer.

Les interprofessions françaises du sucre, de la volaille, des céréales et de la viande ont regretté dans une lettre diffusée jeudi que la Commission européenne propose un « addendum environnemental, n’intégrant, d’aucune manière, de clauses miroirs visant à conditionner l’accès des produits sud-américains à notre marché au respect des normes de production environnementales et sanitaires qui nous sont imposées ».

« Le poulet dopé aux antibiotiques, le bœuf engraissé en (parc) de 30 000 animaux, le maïs traité à l’atrazine [un herbicide interdit en Europe] et autres produits phares des exportations brésiliennes accéderaient sans restriction aux quotas d’importation à droits de douane nuls ou réduits tels que prévus dans l’accord conclu en 2019 », déplorent-ils. Une concurrence déloyale à leurs yeux.

La France a défendu les mesures miroirs

Il existe des contrôles aux frontières limitant par exemple les résidus de pesticides sur un fruit. Des viandes importées doivent être accompagnées d’un certificat sanitaire. Mais les garanties sur la protection de l’environnement et des animaux, sur les conditions de travail ne sont pas forcément les mêmes. « Je ne peux pas demander à nos agriculteurs, à nos industriels (..), de faire des efforts, de s’appliquer de nouvelles normes, pour se décarboner (…), et dire d’un seul coup, "j’enlève tous les tarifs pour faire rentrer des produits qui n’appliquent pas du tout ces règles, et ça va être formidable" », a déclaré samedi Emmanuel Macron. « C’est complètement incohérent », a-t-il ajouté.

Les « mesures miroirs » visent à soumettre les produits importés aux mêmes contraintes que celles imposées aux agriculteurs européens. Elles peuvent se décliner sous forme de « clauses miroirs » dans les accords commerciaux avec un ou plusieurs pays. Cette notion a longtemps peiné à s’imposer. Mathilde Dupré de l’Institut Veblen, qui promeut la transition écologique, se souvient de discussions en 2015 avec le ministère français du Commerce sur des négociations avec le Canada. « On pointait du doigt des divergences comme l’utilisation de l’atrazine, interdit dans l’UE depuis longtemps, et on nous répondait : "si vous imaginez cinq minutes qu’on va regarder les méthodes et les procédés de production, vous vous trompez complètement", ce n’est pas l’objet des négociations commerciales », raconte-t-elle.

Mais entre les fortes réticences à l’accord commercial avec le Canada (CETA) et l’implication de divers experts, l’idée a germé dans les esprits et, en 2022, la France a officiellement défendu les mesures miroirs lors de sa présidence de l’UE. Le principe ne s’est pas encore concrétisé. « Le sujet n’est pas d’avoir raison, c’est d’avoir une majorité » au niveau européen, a souligné l’actuel ministre de l’Agriculture Marc Fesneau lors d’une conférence sur les mesures miroirs organisée fin octobre par l’interprofession de la viande Interbev, l’institut Veblen et la Fondation pour la nature et l’homme. Une possible gageure au moment où plusieurs textes clés à Bruxelles sur les pesticides ou le bien-être animal viennent d’être rejetés ou vidés de leur substance.

Impact possible sur les prix

Imposer une clause miroir peut avoir un contrecoup. Si on interdit les importations de soja OGM brésilien par exemple, les éleveurs français devront débourser plus pour nourrir leur cheptel, au risque de voir les consommateurs se détourner de leur viande en raison de prix trop élevés, a relevé Aurélie Catallo de l’Institut du développement durable et des relations internationales au cours de la conférence.

Mettre en place un système de traçabilité européen dans toutes les fermes du monde ? « Dans la pratique, c’est compliqué », remarque par ailleurs Charlotte Emlinger, spécialiste du commerce au Centre d’études prospectives et d’informations internationales. Les normes peuvent aussi être culturellement différentes, dit-elle à l’AFP : les Américains n’ont pas de problème avec les OGM mais ne comprennent pas la tolérance des Européens pour les produits au lait cru.

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Il faut également ne pas séparer les questions agricoles d’un contexte géopolitique plus large, estime Elvire Fabry, spécialiste de la géopolitique du commerce à l’Institut Jacques Delors. Certains pays en développement commencent par exemple « à voir d’un mauvais œil ce qu’ils considèrent comme une forme d’impérialisme réglementaire », remarque-t-elle.

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