POURQUOI C'EST IMPORTANT Crise diplomatique franco-italienne : des enjeux européen et domestique

La France a rappelé son ambassadeur en Italie jeudi, après une série de déclarations "outrancières" de responsables italiens, une rare escalade entre deux pays de l’UE, qui cristallise un peu plus les lignes de fracture en Europe, à quelques mois des élections européennes.
Frédérick MACÉ - 08 févr. 2019 à 07:42 | mis à jour le 08 févr. 2019 à 11:39 - Temps de lecture :
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Matteo Salvini veut marquer une ligne de démarcation politique entre la France et l'Italie, notamment sur les enjeux européens. Photo Andreas Solaro/AFP
Matteo Salvini veut marquer une ligne de démarcation politique entre la France et l'Italie, notamment sur les enjeux européens. Photo Andreas Solaro/AFP

La goutte qui fait déborder le vase

C'est un événement sans précédent depuis 1940, lorsque l'Italie avait déclaré la guerre à la France. Après avoir arrondi les angles puis joué l'indifférence afin d'éviter la surenchère, la France a changé de ton avec Rome, en rappelant l'ambassadeur de France qui a pris sans préavis l'avion pour Paris, jeudi après-midi.

La dernière provocation de Luigi Di Maio a été de trop. Le vice-président du conseil italien et ministre du Travail, accompagné d'une délégation de responsables de son parti le Mouvement cinq étoiles (M5S), a rendu une visite surprise à un rassemblement de gilets jaunes au sud de Paris, mardi, afin de nouer une alliance en vue des élections européennes du 26 mai.

Luigi Di Maio n’est pas venu voir "n’importe qui en France, il est venu voir Monsieur (Christophe) Chalençon, un séditieux qui appelle à la guerre civile", souligne-t-on de source gouvernementale. Pour Paris, la coupe est pleine. "Les dernières ingérences constituent une provocation supplémentaire et inacceptable", a martelé la porte-parole du ministère français des Affaires étrangères, rappelant la nécessité du "respect entre deux gouvernements démocratiquement élus".

L'escalade

Depuis leur arrivée au pouvoir italien en juin 2018, les deux vice-présidents du conseil italien, Matteo Salvini (Ligue, extrême droite) et Luigi Di Maio (Mouvement Cinq étoiles), réunis dans une coalition populiste au sein du gouvernement, ont multiplié les affronts à l’égard de l’exécutif français, saluant le mouvement social des gilets jaunes et appelant à la démission du président Macron. "Plus vite il rentrera chez lui, mieux ça vaudra!", lançait en janvier Matteo Salvini, évoquant le chef de l'État français, l’accusant de "gouverner contre son peuple".

Sur l’immigration, la Libye, les activistes italiens recherchés pour terrorisme depuis les années 1970 et réfugiés en France ou le projet de ligne ferroviaire Lyon-Turin, les différends entre Rome et Paris ont aussi conduit à des échanges vifs ces derniers temps.

Pourquoi c'est important

En toile de fond de ce différend franco-italien, se jouent en fait des enjeux électoraux européens. Les positions nationalistes du Hongrois Viktor Orban, qui entraîne dans son sillage plusieurs pays européens de l'Est (Pologne, Slovaquie, République Tchèque notamment), et l'arrivée d'un gouvernement antisystème en Italie, ont créé une bipolarisation politique au sein de l'Union européenne.

Entre les "progressistes" qu'Emmanuel Macron souhaite incarner, et les "populistes" emmenés par Orban, les pays européens sont priés de choisir leur camp entre deux modèles de société mais aussi des visions différentes de l'Europe.

C'est dans ce contexte que Matteo Salvini tente d’organiser un front européen de l’extrême droite contre les pro-européens incarnés par le chef de l’État français, en vue du scrutin européen du 26 mai.

La crise franco-italienne complique aussi un peu plus les ambitions européennes d’Emmanuel Macron, déjà contrariées par les déboires politiques de la chancelière allemande Angela Merkel, partenaire clé de la France, et par le Brexit. "Au-delà de ces escarmouches, provocations, c’est sûr que la relation franco-italienne sur le fond est en panne. Cela fait un allié traditionnel qui manque à la construction européenne", fait observer Sébastien Maillard, directeur de l’Institut Jacques Delors.

Luigi Di Maio ne veut pas être en reste par rapport à son allié gouvernemental et joue la surenchère avec la France. Photo Alberto Pizzoli/AFP
Luigi Di Maio ne veut pas être en reste par rapport à son allié gouvernemental et joue la surenchère avec la France. Photo Alberto Pizzoli/AFP

Une compétition au sein du gouvernement italien

Autre enjeu important à prendre en compte : cette tension diplomatique franco-italienne est la cristallisation de tensions au sein même du gouvernement italien.

Le gouvernement italien est une alliance hétéroclite entre deux mouvements que de nombreux sujets, jusqu'à leurs origines, respectives opposent. D'un côté, le Mouvement Cinq étoiles de Luigi Di Maio, un parti antisystème et populiste, dont la base électorale se situe plutôt au sud du pays dans les milieux populaires. De l'autre la Ligue, parti d'extrême droite, implanté dans le nord de l'Italie, à l'électorat composé de petits et moyens entrepreneurs.

L'équilibre est donc fragile et instable. Pour preuve, le désaccord porté sur la place publique au sujet de la ligne ferroviaire à grande vitesse Lyon-Turin. D'autant que la Ligue de Matteo Salvini, gonflée par les saillies provocantes de son leader, a le vent en poupe et s'affirme comme la première force politique du pays dans les sondages. À l'inverse, le Mouvement 5 étoiles de Luigi Di Maio s'essouffle dans l'opinion, comme pris de vitesse par le bouillonnant ministre de l'Intérieur.

"Les deux protagonistes sont en campagne et en compétition, c’est une coalition qui tient mal (...) Et Di Maio a trouvé là une façon d’exister par rapport à Salvini sur la scène européenne", estime Sébastien Maillard, directeur de l’Institut Jacques Delors.

Quelle sortie de crise ?

Les deux responsables italiens se sont dit prêts, jeudi, à rencontrer le président Emmanuel Macron et le gouvernement français.
"Nous ne voulons nous fâcher avec personne, les polémiques ne nous intéressent pas", a assuré M. Salvini, chef de l’extrême droite italienne.

Pour autant, les deux chefs d’orchestre de la politique intérieure italienne n’ont aucune raison de changer de registre d’ici aux élections européennes du 26 mai. Il en va du leadership pour l'un, de la survie politique pour l'autre.

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