« Nous préparons le scénario du pire », a lancé, ce mercredi 20 juillet, Ursula von der Leyen, lors de la présentation du plan « Save Gas for a Safe Winter », qui pourrait se traduire en français par « économiser du gaz pour passer l'hiver sereinement ». La présidente de la Commission européenne redoute une rupture totale des livraisons de gaz russe dans le contexte de la guerre en Ukraine et craint que le géant Gazprom ne remette pas en service le gazoduc Nord Stream 1, actuellement arrêté pour maintenance.
Elle a ainsi demandé aux Etats membres de baisser de 15% leur consommation de gaz au cours des huit prochains mois (de août 2022 à mars 2023) par rapport à leur consommation moyenne enregistrée au cours des cinq dernières années.
Un objectif ambitieux et pertinent
Cette demande, dans un premier temps, n'est pas contraignante. En revanche, en cas d'alerte, elle le deviendra. Bruxelles pourra déclarer cette situation d'alerte si Vladimir Poutine ferme totalement le robinet de gaz vers les Vingt-Sept, ou si les livraisons se réduisent drastiquement et que cela s'accompagne d'une forte vague de froid.
« C'est un objectif ambitieux et pertinent en termes d'ordre de grandeur si nous souhaitons passer l'hiver le plus sereinement possible », estime Phuc-Vinh Nguyen, chercheur en politiques énergétiques européennes à l'institut Jacques Delors.
Selon la Commission, une diminution de 15% de la demande permettra d'économiser quelque 45 milliards de mètres cubes de gaz à l'échelle de l'Union européenne. Or, si la Russie venait à couper totalement ses livraisons de gaz, entre 30 milliards et 45 milliards de mètres cubes (dans le cas d'un hiver particulièrement froid) de gaz viendraient à manquer, en l'absence d'action pour réduire la demande. Et ce, malgré tous les efforts déjà entrepris pour diversifier nos sources d'approvisionnement en gaz, par gazoduc et par voie maritime avec le Gaz naturel liquéfié (GNL). En début de semaine, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) alertait justement sur ce point.
Une baisse dans le « champ des possibles » pour la France
A l'échelle de la France, cette diminution de 15% est-elle réalisable ?
« Baisser de 10 à 15% notre consommation du gaz cela fait partie du champ des possibles si chacun fait des efforts aux différents endroits de la chaîne », répond Jacques Percebois, économiste et directeur du Centre de recherche en économie et droit de l'énergie (Creden).
Dans l'Hexagone, le gaz représente 20% de la consommation énergétique finale. En 2020, la consommation annuelle s'est élevée à 484 térawattheures. Les principaux postes de consommation sont le résidentiel (c'est-à-dire le chauffage, l'eau chaude sanitaire et la cuisson). Ces usages représentent 31% de la consommation globale de gaz en France, devant l'industrie (28%), la production d'électricité et de chaleur (19%) et le tertiaire (17%), selon les chiffres du gouvernement.
Baisser le chauffage dans les logements
Le résidentiel et le secteur industriel sont donc les postes où les marges de réduction pourraient être les plus importantes en France. De par le droit européen, les ménages sont considérés comme des clients protégés. Cela signifie que le gaz ne peut pas leur être coupé. En revanche, cela ne veut pas dire qu'ils ne peuvent pas participer à l'effort collectif de sobriété, bien au contraire. « L'objectif sera de les inciter à changer de comportement en diminuant le niveau de chauffage et de climatisation par exemple », commente Phuc-Vinh Nguyen.
Olivier Véran, le porte-parole du gouvernement a d'ailleurs appelé aujourd'hui les Français à multiplier « les petits gestes du quotidien » afin d'économiser de l'énergie, mais sans contrainte car « ce n'est pas notre philosophie », a-t-il assuré. De son côté, Bruxelles encourage tous les Etats membres à lancer des campagnes de sensibilisation auprès du grand public pour promouvoir la réduction du chauffage et de la climatisation.
Inciter les industriels à moins consommer
Pour le secteur industriel, une approche volontaire pourrait d'abord être mise en place avec un système d'appels d'offres via lesquels les industriels s'engagent à baisser leur consommation de gaz à des moments stratégiques moyennant rémunération. Compte tenu de la flambée des prix du gaz, les sites les plus énergivores devraient se montrer plutôt enclins à ce type de démarches. En revanche, si la situation se corsait, une action coercitive serait nécessaire. « Cela signifie mettre en place une forme de rationnement vis-à-vis de l'industrie. Ce serait l'étape ultime parce qu'on a plus le choix », pointe le chercheur.
Privilégier le nucléaire et le charbon pour la production électrique
Par ailleurs, même si la production d'électricité à partir du gaz en France reste relativement marginale (entre 6 et 7%, contre près de 20% à l'échelle européenne) des économies peuvent être réalisées sur les usages électriques, estime Phuc-Vinh Nguyen. Dans cette optique, Thierry Breton, le commissaire européen au marché intérieur, encourage la prolongation des centrales nucléaires et au charbon, malgré leurs fortes émissions de CO2, afin de moins solliciter les centrales au gaz.
« Le chauffage et la climatisation pourraient aussi être limités dans les bureaux et de gros efforts de maintenance peuvent être conduits pour limiter le plus possible les fuites de gaz », ajoute Jacques Percebois.
La Commission européenne a choisi d'établir une règle uniforme : chaque pays doit réduire sa consommation de 15% par rapport à son propre historique de consommation. « Pour être efficace, une règle doit être simple », relève l'économiste. Reste que si les efforts sont proportionnels à la consommation, les économies marginales pourraient être plus coûteuses à réaliser pour un pays qui consomme déjà très peu de gaz.
Une règle uniforme mais des situations inégales
Un sentiment d'inégalité pourrait aussi naître de la part des pays qui sont très peu exposés au gaz russe, comme le Portugal qui s'approvisionne essentiellement via son voisin espagnol, très bien doté en terminaux d'importation de GNL. Comment, alors, convaincre un pays peu exposé au gaz russe de faire le même effort proportionnel qu'un pays beaucoup plus exposé, comme l'Allemagne, dont le gaz russe représente encore 35% de ses importations totales, contre 55% avant le début du conflit ? « Embarquer l'ensemble des Européens dans cette logique de solidarité sera l'un des principaux défis de Bruxelles », reconnaît Phuc-Vinh Nguyen.
Selon lui, le gouvernement hongrois pourrait être difficile à convaincre. Il reste toutefois confiant dans l'adoption de ces mesures par le Conseil, qui doit se réunir le 26 juillet prochain, en raison de l'interdépendance des différentes économies européennes.
La solidarité européenne, seul rempart contre la récession
« Si l'Allemagne tombe, le choc économique va se propager à l'ensemble de l'économie européenne », prévient-il. Par ce plan, Bruxelles entend justement éviter la fermeture des usines et limiter le plus possible les risques de récession. Les commissaires ne cessent de le marteler : seule une réponse unifiée et solidaire permettra à l'UE de passer l'hiver prochain.
« Des mesures unilatérales ne mènent à rien d'efficace et risquent d'affecter toute la sécurité énergétique du marché unique », met en garde Frans Timmermans, le vice-président exécutif de la Commission.
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