"Biden ne va pas manipuler l'arme tarifaire comme Donald Trump"
Le président chinois Xi Jinping n'a pas félicité publiquement Joe Biden. Les leaders européens le congratulent et semblent lui tendre la main, voire lui ouvrent déjà les bras pour discuter "business". Comment risquent d'évoluer les relations commerciales des États-Unis sous la présidence de Joe Biden ?
- Publié le 14-12-2020 à 10h44
- Mis à jour le 10-05-2021 à 21h22
Donald Trump était peu connu de la Chine au début de sa présidence. Joe Biden est, lui, bien connu des autorités chinoises, mais il est peu probable que cela suffise pour réenchanter les relations commerciales entre les États-Unis et la Chine, affectées par le "tout au protectionnisme" voulu par son prédécesseur. Pour l'instant, le ministère chinois des Affaires étrangères a juste annoncé qu'il espérait que la nouvelle administration "travaillerait dans la même direction que nous à l'avenir". Rien n'est moins sûr... Entretien avec Elvire Fabry, spécialiste des relations internationales à l’Institut Jacques Delors, pour tenter d'y voir plus clair sur les futures relations commerciales des États-Unis.
Joe Biden a critiqué à de nombreuses reprises la guerre tarifaire de l'administration Trump avec la Chine. Faut-il s'attendre à un changement d'attitude radical de la Maison-Blanche ?
Biden est critique de l'approche agressive unilatérale de Donald Trump et devrait préférer un jeu plus collectif pour peser avec d’autres pays alliés sur la Chine. Je pense, toutefois, qu'il faut rester prudent sur l'enjeu des tarifs (surtaxes douanières sur les produits d'importation, NdlR) que Donald Trump a mis en place. Il ne faut pas s'attendre à ce que Biden, en début de présidence, décide de supprimer les tarifs qui sont appliqués sur l'acier et l’aluminium pour les importations européennes ou sur le mur de tarifs imposé sur les importations chinoises.
Sans aucun doute, sa priorité sera la politique intérieure, notamment des investissements pour pousser la recherche dans l'innovation et développer le secteur manufacturier. Un domaine auquel Trump avait promis une importante création d'emplois et c'est un des principaux échecs de sa présidence.
De manière générale, il ne faut pas s'attendre à ce que Biden consomme beaucoup de capital politique sur des enjeux relatifs aux politiques commerciales.
Pour le moment, la balance commerciale Chine-USA penche en faveur de Pékin (excédent commercial de 19% sur un an en octobre). Comment Biden peut-il s'y prendre pour inverser la tendance ?
Biden ne va pas manipuler l'arme tarifaire comme Donald Trump, mais il va peut-être mettre un certain temps à alléger les tarifs qui sont en place.
L'objectif très clair de Washington reste de vouloir contenir l'émergence d'un leadership technologique de Pékin et donc le renforcement de la puissance chinoise. Sur ce point, il y a un véritable consensus entre Républicains et Démocrates.
Si l'objectif est le même, la question reste ouverte sur la méthode. S’il ne cherche pas à lever tout de suite les tarifs, en revanche, on peut s'attendre à ce que sa volonté de jouer plus collectif l’amène à réengager les Etats-Unis dans une réforme de l’organisation mondiale du commerce qui permette de renforcer les règles multilatérales afin de mieux encadrer et limiter les distorsions commerciales chinoises.
Toute la question pour les Européens, qui depuis deux ans proposent une coopération pour peser sur la Chine, est de bien évaluer la marge de manœuvre qu'ils auront. Est-ce que cette potentielle main tendue de Biden permettrait un véritable dialogue et une coopération entre alliés ou est-ce qu'il cherchera à peser sur ces partenaires pour qu'ils s’alignent sur les intérêts américains? Difficile à dire à ce stade.
Est-ce que les rapports entre les États-Unis et Huawei vont changer ?
Sur Huawei, il ne faut pas s'attendre à beaucoup de changements. Les restrictions sur les exportations de biens technologiques et la restriction de l'accès à des infrastructures stratégiques à des entreprises chinoises font partie des éléments structurels de la politique américaine, au-delà de l'approche partisane.
Comment l'administration Biden va-t-elle se positionner sur les taxations européennes envers les Gafa ?
On se souvient que Donald Trump n'était pas un fervent partisan de ces Big Tech américaines, mais il voulait absolument les protéger, étant donné qu'il s'agit d'un secteur important de l'économie américaine. Biden n'aura pas forcément plus d'appétence pour pénaliser ces entreprises et ne va probablement pas se démarquer fortement de la politique de Donald Trump. On s'attend davantage à ce qu'il cherche à peser sur ces grands groupes par un réaménagement de la politique de concurrence américaine, la politique anti-trust.
Il reste à savoir si les Américains n'ont pas intérêt à peser sur les modalités d'une potentielle taxe digitale qui se mettrait en place au sein de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques, NdlR), ou en dehors avec de grands partenaires commerciaux mondiaux. Biden pourrait peut-être se réengager de manière temporaire dans la négociation de l'OCDE, dont l'échéance est fixée à l'été 2021.
Lorsque Biden dit que son plan de relance comprend le fait "d'acheter américain", qu'est-ce que cela signifie exactement ?
C'est un renforcement du Buy American Act. C'est un objectif très clair de la campagne de Biden, qui entend renforcer la contrainte pour tous les marchés publics américains de privilégier les fournisseurs américains.
Obtenir une ouverture des marchés publics américains, c'était un objectif de la négociation du TTIP (ou Tafta). C’est un terrain sur lequel l'Europe est compétitive. C'est donc une mauvaise nouvelle pour les Européens.