Le Brexit va-t-il faire exploser la contribution de la France au budget de l'UE ?

par Claire CAMBIER
Publié le 13 février 2020 à 19h18

Source : TF1 Info

À LA LOUPE - Le départ du Royaume-Uni - une perte de contributions de 12 milliards, selon la Commission - fait craindre une hausse conséquente de la participation de chaque membre. Qu'en est-il ?

Les négociations sur le nouveau budget de l'Union européenne entrent dans leur phase finale. Le Parlement européen se réunit cette semaine en plénière. Et la semaine prochaine, ce sont les dirigeants des 27 pays membres qui se retrouveront autour de la table pour un sommet extraordinaire. Un casse-tête débuté il y a maintenant deux ans pour déterminer comment financer les politiques européennes jusqu'en 2027. Il faut dire qu'avec le départ du Royaume-Uni, l'UE perd un contributeur net, c'est-à-dire un État membre dont la participation financière est plus importante que les aides qu'il reçoit en retour.

La Commission européenne a estimé fin janvier que le Brexit conduirait à un manque à gagner de 12 milliards d'euros en 2021 et de 84 milliards sur 7 ans, soit la durée totale du cadre financier pluriannuel, actuellement à l'étude. Comment combler ce trou ? Pour la secrétaire d'État aux Affaires européennes, Amélie de Montchalin, invitée de LCI mercredi, la France paiera "bien sûr" davantage à l'avenir. Parce que le Royaume-Uni quitte le navire, mais aussi car l'Union doit "assurer des nouvelles ambitions", comme "la défense européenne". 

Une sortie qui soulève plusieurs questions. Les contributions vont-elles exploser ? La France fera-t-elle partie des grands perdants ? Et à quoi correspondent exactement ces 12 milliards d'euros ? 

12 milliards de manque à gagner, un chiffre questionné

Selon les comptes de la Commission, l'UE perdra donc 12 milliards d'euros de revenus en 2021. Un manque à gagner qui peut paraître important. Lorsque l'on regarde par exemple les derniers chiffres disponibles sur la contribution du Royaume-Uni, on découvre que le pays a versé 10,6 milliards d'euros en 2018, soit moins que la somme annoncée. D'autant que dans le même temps, l'UE reverse une partie de ses revenus : le pays a ainsi bénéficié de crédits européens à hauteur de 6,3 milliards d'euros en 2018. En se basant sur cette dernière année, l'UE sans le Royaume-Uni ne perdrait "que" 4,3 milliards d'euros.

Alors comment expliquer ces 12 milliards d'euros ? Contactée par LCI, la Commission européenne nous indique préférer parler de fourchettes - "entre 10 et 12 milliards" par an. Ce 12 février, devant le Parlement européen, la présidente de la Commission a d'ailleurs évoqué une donnée un peu plus faible que les 84 milliards sur 7 ans. "C'est environ 75 milliards d'euros de moins pour toute la période de sept ans", a indiqué Ursula von der Leyen. L'institution le reconnait volontiers, il est très difficile de réaliser des estimations en milliards d'euros : "Il s'agit d'une projection sur 7 ans, tout dépend des hypothèses retenues en terme d'inflation et de croissance." Avec un nouveau budget proposé à hauteur de 1279 milliards d'euros pour 2021-2027, les 75 milliards d'euros britanniques représentent dès lors 5,8% du total.

Pour bien comprendre ces montants, il faut savoir que le budget de l'UE est financé principalement par trois ressources : celle indexée sur le revenu national brut des États membres, qui en constitue l'essentiel, celle provenant de la TVA, et enfin celle issue de taxes et de droits de douane. Les 10,6 milliards d'euros précédemment évoqués ne prennent en compte que la participation de l'état et la TVA. Il faudrait donc ajouter à ce montant les revenus issus des taxes et droits de douane (près de 4 milliards d'euros pour le Royaume-Uni dont 20% sont conservés par le pays au titre des frais administratifs, soit, au final, un peu plus de 3 milliards d'euros).

En 2018, la contribution nette du Royaume-Uni était moindre. Toujours est-il que Eulalia Rubio, chercheuse à l'Institut Jacques Delors, juge ces 12 milliards sont assez pertinents : "Il s'agit d'une moyenne sur les 7 ans, on ne peut pas se baser sur une année donnée. Notre institut avait réalisé des calculs sur la période 2010-2015 et en concluait que le Royaume-Uni versait 10 milliards d'euros de contributions nettes."

Les contributions vont-elles exploser ?

La Commission européenne préfère donc parler de pourcentage du PIB. "Si l'on souhaite conserver le même niveau de prestations, le budget qui correspondait à 1% du revenu national brut de l'Union augmente de 0,1% sans le Royaume-Uni". Elle estime qu'à 27, la taille du budget actuel correspondrait plus exactement à 1,13% du RNB, comme le détaille le graphique ci-dessous.

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Pour rentrer dans les clous, voire ne pas augmenter du tout le budget, il aurait fallu diminuer les dépenses. Une option rejetée car allant à l'encontre des ambitions de l'Union, qui, au contraire, souhaite être plus présente dans certains domaines comme les nouvelles technologies - pour concurrencer les Etats-Unis et la Chine - mais aussi le contrôle aux frontières ou encore la défense.

Pour Eulalia Rubio, ces nouveaux besoins couplés au Brexit conduisent forcément à une hausse des contributions. Or certains États - l'Allemagne, l'Autriche, les Pays-Bas ou les pays scandinaves - rejettent l'hypothèse en bloc et militent pour conserver un budget à 1% du PNB. Mais l'experte en budget européen estime que le contexte n'est pas le même aujourd'hui qu'il y a 7 ans. "Il faut se rendre compte que le cadre actuel (budget 2014/2020, ndlr) a été négocié pendant la crise économique, en pleine austérité. Les choses sont différentes aujourd'hui."

Comme solution, la Commission propose d'un côté de réaliser des économies, par exemple sur la politique agricole commune ou la politique de cohésion, tout en augmentant les ressources dans le même temps. "Il ne s'agit pas uniquement d'augmenter les cotisations de chaque État membre mais de s'appuyer sur les ressources propres à l'activité de l'Union européenne. Le meilleur exemple est la collecte des droits de douane", indique l'institution. Une autre proposition phare est de tabler sur les revenus liés aux quotas d'émissions de CO2. "Actuellement, ces revenus qui s'établissent à plusieurs milliards d'euros par an sont redistribués aux États membres. Nous pourrions les utiliser pour les investir dans le budget de l'Union." Dans un tel scénario, le Brexit ne représenterait plus qu'un huitième de la hausse des contributions.

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La France fera-t-elle partie des gagnants ou des perdants ?

La France pourrait tirer son épingle du jeu grâce à un aspect : la fin du rabais britannique. Un petit détour historique s'impose :
à la fin des années 70, Margaret Thatcher a entamé un bras de fer avec l'Union sur le thème "I want my money back" ("je veux récupérer mon argent"). Et la Première ministre a gagné. En 1984, elle a obtenu de verser moins de contributions que ses voisins. Une "perte" qui a été répartie entre les différents pays membres, principalement les plus riches.

"Deux tiers des contributions brutes du Royaume-Uni sont compensées par le reste des États membres. Mais quatre des États qui sont des contributeurs nets paient moins que les autres : l'Allemagne, l'Autriche, les Pays-Bas et la Suède. Ils ont obtenu des rabais sur le rabais. Leur participation en pourcentage du PIB est donc plus faible que les autres pays." Si la France n'en fait pas partie, c'est qu'elle bénéficie de crédits plus importants. En 2018, elle a ainsi reçu 13,5 milliards d'euros de crédits dont 9 milliards pour l'aide agricole. Elle paie donc la plus grande part du rabais (1,3 milliard en 2018).

Sans le Royaume-Uni, le rabais disparaît. Et avec lui la compensation versée par la France. "Le but, à terme, est que la contribution de tous les pays soient la même, en termes de pourcentage de RNB national." En clair, toutes les corrections - les rabais sur les rabais - seront peu à peu retirées. 

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