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Décryptage

Climat : le fonctionnement du marché carbone de l'UE en 8 questions

L'UE souhaite réformer le mécanisme pour accélérer la transition écologique, mais plusieurs points continuent de faire l'objet de débats au sein de l'UE.

L'Union européenne est la première entité politique à avoir instauré un marché du carbone à grande échelle
L'Union européenne est la première entité politique à avoir instauré un marché du carbone à grande échelle (PHILIPPE DESMAZES/AFP)

Par Clément Perruche

Publié le 9 juin 2022 à 15:56Mis à jour le 16 févr. 2023 à 16:01

Que désigne ce marché carbone ? Et comment fonctionne-t-il ? « Les Echos » fait le point en huit questions.

1. Quel est l'objectif du marché européen du carbone ?

En 2005, l'Union européenne a mis en place un marché du carbone pour mesurer, contrôler et réduire les émissions en gaz à effet de serre (GES) des grands acteurs industriels du continent ainsi que celles des producteurs d'électricité. Le mécanisme est aussi appelé « Système d'échange de quotas d'émissions » (SEQE) ou « Emissions Trading Schemes » (ETS) en anglais.

L'Union européenne est la première entité politique à avoir créé un marché carbone. La Chine a lancé le sien en 2021.

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Concrètement, le mécanisme consiste à faire payer aux entreprises leurs émissions de CO2. Pour chaque tonne de CO2 émise, les industriels et électriciens qui sont soumis à ce marché doivent présenter un quota carbone. Et plus le prix du carbone est élevé, plus les entreprises sont incitées à réduire leurs émissions de GES.

Lors du lancement du marché carbone, l'UE avait pour objectif la réduction des émissions de GES de 40 % en 2030 par rapport à 1990. En 2020, les ambitions européennes en matière de climat ont été revues à la hausse, avec une réduction de 55 % des émissions de GES d'ici à 2030 par rapport à 1990.

2. Comment le marché du carbone fonctionne-t-il ?

Chaque année, l'UE fixe un plafond pour les émissions totales de CO2 et « distribue » des quotas d'émission à 11.000 sites industriels responsables de 45 % des émissions de CO2. Un quota carbone est un titre correspondant à une tonne de CO2 (ou d'équivalent CO2) émise dans l'atmosphère. En 2020, 2,2 milliards de quotas carbone ont été distribués.

A la fin de l'année, chaque entreprise doit restituer aux autorités publiques le même nombre de quotas d'émissions que le nombre de tonnes de CO2 qu'elle a émis. Pour se les procurer, elle peut soit les acheter aux enchères mises en place régulièrement par les autorités, soit les acheter sur le marché, où d'autres entreprises revendent ceux qu'elles ont en trop. Certains industriels reçoivent cependant encore une bonne partie de leurs quotas gratuitement. Les entreprises peuvent également conserver leurs quotas non utilisés pour l'année suivante.

Avec ce mécanisme, les industriels ont donc tout intérêt à réduire leurs émissions de GES. Si l'entreprise ne restitue pas, à la fin de l'année, le nombre requis de quotas aux autorités, elle encourt une amende fixée à 100 euros par tonne de CO2 excédentaire.

3. Comment sont distribués les quotas ?

Les quotas sont mis aux enchères auprès d'une plateforme commune aux Etats membres, appelée « European Energy Exchange » (EEX). Entre 2013 et 2020, 57 % des quotas ont été vendus aux enchères, et l'UE s'est fixée pour objectif d'augmenter progressivement ce niveau.

Pour la seule année 2020, la vente aux enchères des quotas a rapporté 19 milliards d'euros à l'UE. Les revenus des enchères sont redistribués aux Etats membres et 50 % de leur valeur doit être investie dans le développement durable.

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L'UE continue cependant de distribuer gratuitement des quotas aux industries soumises à une forte concurrence étrangère. L'objectif est d'éviter une « fuite de carbone », c'est-à-dire la délocalisation des activités hors de l'UE si la réglementation environnementale devient trop forte. En 2020, 837 millions de quotas ont été distribués gratuitement. A titre d'exemple, Arcelor Mittal a reçu, en France, plus de 83 millions de quotas carbone à titre gratuit.

Les centrales électriques, elles, ne reçoivent plus de quotas gratuits depuis 2013, car leur activité est très difficilement délocalisable.

4. Comment est fixé le prix du quota ?

Le prix du quota de carbone est fixé par la loi de l'offre et de la demande. Ainsi, le prix de la tonne de carbone augmente lorsque ces « droits à polluer » sont très demandés. Le prix des quotas est également censé augmenter lorsque l'offre diminue, c'est-à-dire lorsque l'UE abaisse son plafond d'émissions totales de CO2 pour l'année.

Entre 2012 et 2020, l'UE a réduit le nombre de quotas carbone de 1,74 % par an. Et à partir de 2021, le plafond a commencé à diminuer au rythme de 2,2 % par an. Ce faisant, l'UE incite les entreprises à réduire leurs émissions.

Conformément aux objectifs de l'UE, le prix de la tonne de carbone a fortement augmenté sur le long terme. En janvier 2014, les entreprises pouvaient acheter un quota de CO2 pour 5 euros en moyenne. Ces prix bas n'incitaient pas les entreprises à réduire leurs émissions. En 2020, la Commission européenne a annoncé l'objectif de réduction de 55 % de ses émissions de GES d'ici 2030 par rapport à 1990 , ce qui a entraîné une ruée sur les quotas et, mécaniquement, une hausse des prix.

En 2021, les prix du carbone ont atteint des sommets , en passant de 37,45 euros la tonne en février à 80 euros en décembre. En cause, la hausse du prix du gaz, qui a incité les électriciens à se remettre à brûler du charbon , moins cher, mais également plus polluant. Ca les a obligés à acheter davantage de quotas pour compenser leurs émissions, ce qui a mécaniquement fait monter les prix du carbone.

De quoi affoler certains industriels, qui tirent régulièrement la sonnette d'alarme expliquant que ces prix élevés réduisent leurs capacités d'investissement.

5. Quelles sont les entreprises concernées ?

Les règles de l'ETS sont applicables aux centrales produisant de l'électricité ainsi qu'aux principales industries. Sont concernées la sidérurgie, l'industrie du verre, les raffineries de pétrole, les usines chimiques et les cimenteries d'une puissance supérieure à 20 mégawatts. En 2012, le secteur de l'aviation a été inclus dans l'ETS, mais seuls les vols intra-européens sont comptabilisés pour les émissions de CO2 du secteur.

Le mécanisme est appliqué dans tous les Etats de l'Union européenne, mais également en Islande, au Liechtenstein et en Norvège. Les autorités européennes ambitionnent d'ici à 2030, d'intégrer à l'ETS le transport maritime et de créer un marché dédié au transport routier et au chauffage des bâtiments.

6. Le marché est-il efficace ?

Le marché européen du carbone a longtemps été inefficace du fait d'un important surplus de quotas. En effet, après la crise de 2008 et la baisse de la production industrielle qui en a découlé, la demande de quotas carbone a chuté. Le plafond des émissions fixé par l'UE était, de son côté, resté stable, ce qui a abouti à une offre trop importante. Ces deux phénomènes ont conduit à un prix assez faible de la tonne de CO2. Entre 2012 et 2017, ces « droits à polluer » ne valaient pas plus de 10 euros la tonne.

Avec ces prix extrêmement bas, les entreprises n'étaient donc pas incitées à réduire leurs émissions de GES. Certaines ont même tiré de larges profits en revendant leurs quotas gratuits. Afin de remédier au problème de surabondance de l'offre, les autorités européennes ont mis en place, en 2019, un mécanisme de réserve de stabilité du marché (MSR pour « Market Stability Reserve »), destiné à retirer automatiquement le surplus de quotas au-delà d'un certain seuil.

7. Les entreprises ont-elles réduit leurs émissions ?

Cela dépend des secteurs. Selon un rapport de l'Institut Jacques Delors , les émissions du secteur de l'électricité ont baissé de 27,7 % entre 2013 et 2019. Tandis que celles de l'industrie n'ont reculé que de 2,1 %. « La différence principale, c'est que les électriciens paient vraiment le prix du carbone : quand ils brûlent une tonne de charbon pour produire de l'électricité, ils doivent acheter une tonne de CO2 sur le marché. Tandis que les industriels, eux, reçoivent des quotas gratuits », explique Thomas Pellerin-Carelin, directeur du centre énergie de l'Institut Jacques Delors.

« La quantité de quotas gratuits qu'ils reçoivent est quasiment égale au nombre de quotas dont ils ont besoin chaque année. Et en 2020, ils ont reçu plus de quotas gratuits que les émissions réelles qu'ils ont émis. Donc le marché carbone est efficace pour la production d'électricité, mais on l'a rendu inefficace pour l'industrie avec le système de quotas gratuits », poursuit l'expert.

8. Quels sont les projets de l'UE concernant le marché du carbone ?

La distribution gratuite de quotas fait l'objet d'une âpre bataille au sein du Parlement européen. Les Verts et une partie de la gauche veulent y mettre fin à mesure que le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières est mis en place. En effet, en imposant un prix du carbone aux importations, cette « taxe carbone aux frontières » est supposée mettre les industriels européens sur un pied d'égalité avec leurs concurrents extérieurs à l'Union. La droite cherche cependant à maintenir temporairement les quotas gratuits en parallèle de la taxe carbone aux frontières, au nom de la protection de l'industrie européenne contre les délocalisations.

« C'est l'argument officiel donné par les lobbies de l'industrie polluante. Mais il n'y a aucun cas de délocalisation en lien avec l'ETS », avance Thomas Pellerin-Carelin. « Plus vous retardez la fin des quotas gratuits, plus vous favorisez l'industrie polluante », ajoute l'expert. Au total, l'industrie recevrait chaque année pour plus de 50 milliards d'euros de quotas carbone, gratuitement. Cela ne pousse pas les industriels à investir dans des méthodes de production plus vertes, avancent certains experts.

Un texte portant la réforme de l'ETS a été présenté devant le Parlement européen mercredi. Mais à la surprise générale, le Parlement a voté contre le texte en raison d'un amendement, poussé par le PPE (droite pro-européenne, première force du Parlement) prévoyant le maintien jusqu'en 2034 des quotas gratuits. Une ligne rouge pour les Verts et les Sociaux-Démocrates, qui ont voté contre le texte final, jugé pas assez ambitieux.

« Notre objectif, c'est d'aider l'industrie pour que ce ne soit pas trop brutal », a confié aux « Echos » l'eurodéputée Agnès Evren (PPE). « Or le texte défendu par la gauche, qui visait un arrêt en 2030, aurait fait baisser nos émissions au prix de nombreuses délocalisations. Nous voulons fixer des objectifs raisonnables », a-t-elle ajouté. Le texte va être renvoyé devant la commission environnement du Parlement pour être réexaminé dans les prochaines semaines.

Clément Perruche

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