Huit mois après l’invasion de l’Ukraine par les troupes russes, le conflit a changé de nature. Pour ceux qui en doutaient encore, le sabotage de trois des quatre tuyaux des gazoducs Nord Stream dans les zones économiques exclusives danoise et suédoise signifie que la guerre est désormais sur le sol européen. Du chantage à la livraison du gaz russe, qui constituait 45 % de notre approvisionnement pour 9 % aujourd’hui et probablement zéro demain, jusqu’aux bombardements récents contre les infrastructures électriques ukrainiennes, l’énergie est un point central dans cet affrontement dans lequel l’Europe doit rester « unie dans la diversité », comme le veut la devise de l’UE.

L’enjeu est désormais de savoir comment nous allons remplir nos stocks de gaz pour l’hiver 2023-2024 et comment nous allons procéder pour faire baisser la pression sur les prix auprès de nos « nouveaux » fournisseurs, la Norvège, l’Algérie ou encore les États-Unis. Jusqu’alors, le logiciel de pensée de la Commission européenne était de laisser agir les lois du marché. Sous la pression d’un grand nombre d’États membres, elle est en train d’opérer une révolution copernicienne au terme de laquelle nous irons probablement vers des mesures d’encadrement des prix.

La voie la plus efficace pour faire baisser notre facture énergétique reste de réussir à modérer significativement nos consommations d’électricité

Reste à savoir comment faire. Si l’on dit à la Norvège que l’on refuse d’acheter son gaz au-delà d’une certaine somme, elle peut être tentée de nous en livrer moins. Comme dans tout poker menteur, on ne sait qui craquera le premier. Certes, la Norvège a déjà maximisé ses gains, compte tenu de l’envolée des prix, et elle partage avec l’UE un certain nombre de valeurs, mais pourquoi se priverait-elle de revenus ? Il s’agit de rechercher un point d’équilibre entre acheteurs et vendeurs, « un corridor de prix » qui fixe un prix plancher et un prix plafond. Il faut néanmoins rappeler qu’un accord éventuel ne saurait concerner que le gaz naturel arrivant par les gazoducs. Avec le gaz liquéfié (GNL) livré par bateaux des États-Unis, la donne est différente. Nous sommes alors dans un marché mondial, le risque est de voir la Chine, le Japon ou la Corée du Sud surenchérir sur nos offres et détourner nos livraisons de GNL. Ce qui limite nos marges de manœuvre.

Si ces négociations échouaient, un plan B consisterait à généraliser l’exception ibérique négociée au printemps dernier par l’Espagne et le Portugal. Ces deux pays étant isolés du reste de l’Union, seulement interconnectés avec la France, ils ont obtenu des autorités pour une durée d’un an une réduction significative des prix du gaz utilisé pour produire leur électricité. Cet encadrement pourrait être généralisé à l’échelle européenne, mais une telle mesure n’est pas sans inconvénient : une ristourne de ce type constitue une incitation à utiliser du gaz, donc une énergie fossile, ce qui est de nature à déplaire aussi bien à l’Allemagne qu’aux experts du Giec. Elle comporte un autre biais, celui du passager clandestin. Jusqu’alors, la France pouvait importer d’Espagne de l’électricité produite à partir d’un gaz moins cher. Demain, des pays comme le Royaume-Uni ou la Suisse pourraient bénéficier de cette électricité à bas coût. On comprend qu’au-delà des divergences réelles entre la France et l’Allemagne, ces négociations sont d’une grande complexité ; elles prennent donc un peu de temps. Si l’on veut se rassurer, on dira qu’elles constituent un bon round de préparation avant les discussions qui doivent débuter l’an prochain au sujet d’une réforme du marché européen de l’électricité. En la matière, il n’y a aucune solution miracle. La voie la plus efficace pour faire baisser notre facture énergétique reste de réussir à modérer significativement nos consommations d’électricité. 

Conversation avec PATRICE TRAPIER

 

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