Comment l'Europe résiste aux tentatives de division de la Russie sur le gaz

Gazprom a arrêté ses livraisons de gaz à la Pologne et à la Bulgarie. L'Union européenne promet une réponse immédiate et coordonnée pour y répondre. 

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Comment l'Europe résiste aux tentatives de division de la Russie sur le gaz
Gazprom a arrêté ses approvisionnements en gaz à la Pologne et la Bulgarie

La Russie est entrée dans un nouveau jeu avec l’Europe qu’on pourrait appeler : « Livrera, ne livrera plus ». Gazprom, l’énergéticien russe, a indiqué dans un communiqué qu’il suspendait ses livraisons à la société bulgare Bulgargaz et aupolonais PGNiG à partir du 27 avril « jusqu’à ce que le paiement soit effectué en roubles».

Le paiement en rouble, un prétexte pour Moscou

Ce sont donc des sociétés de deux pays très dépendants du gaz russe qui se voient couper l’alimentation sur une question de paiement suite à une décision annoncée par Vladimir Poutine le 31 mars dernier. La justification de la mesure de suspension paraît peu crédible.

En France, la société Engie dont 20 % de l’approvisionnement en gaz repose sur des contrats de long terme avec Gazprom a confirmé à l’Usine Nouvelle « ne pas avoir changé la modalité de ses contrats qui prévoient actuellement des règlements en dollars ou en euros et ne pas effectuer de paiements en roubles ». La demande de Vladimir Poutine avait été globalement rejetée par l’Europe. Pour l’instant, il semble donc y avoir une forme de deux poids-deux mesures dans le traitement des pays européens par le Kremlin.

Derrière les raisons officielles invoquées par Moscou, les choix relèvent à la fois de la politique et de la tactique. La Pologne se montre particulièrement virulente vis-à-vis de la Russie depuis le début du conflit et milite en faveur d’une taxe sur le pétrole et le gaz russe. Le pays est par ailleurs devenu la plaque tournante des livraisons d’armes vers l’Ukraine par les pays occidentaux.

Moins engagée contre Moscou, la Bulgarie est en revanche dans une situation politique délicate. En 2013, une hausse des prix de l’électricité avait poussé le gouvernement d’alors à la démission sous la pression de la rue. «Il y a une possibilité que cela menace la stabilité du gouvernement », reconnaît Thomas Pellerin-Carlin, directeur du centre sur l'énergie de l’Institut Jacques Delors. De quoi rendre le gouvernement sensible à la montée actuelle de l’inflation. S’ajoute pour Moscou une raison plus opportuniste. Les contrats long-terme de Bulgargaz et de PGNiG avec Gazprom ne courraient que jusqu'à fin 2022. Aucun des deux énergéticiens n’avait prévu de le prolonger au-delà. En les arrêtant tout de suite, le gazier russe ne se prive que de quelques mois de livraisons supplémentaires…

Failles de la solidarité entre Européens

La réponse de l’Union européenne a été très ferme et rapide. Dès le début de l’après-midi du 27 avril, la présidente de l’Union Européenne, Ursula Von Der Leyen organisait une conférence de presse dénonçant « une provocation du Kremlin et une tentative de faire du chantage » sur l’Europe. Elle a annoncé « une réponse immédiate, unie et coordonnées ». Les Etats-membres se sont déjà réunis dans le groupe de coordination sur le gaz, la Pologne et la Bulgarie reçoivent déjà du gaz de leurs voisins et le plan d’approvisionnement alternatif par rapport à la Russie se poursuit. « Aujourd’hui, le Kremlin a échoué une nouvelle fois dans sa tentative de semer la division entre les pays européens. L’ère des combustibles fossiles russes en Europe va arriver à son terme » a fustigé, glaciale, Ursula von der Leyen.

Reste que la solidarité pourrait connaître quelques failles sur le terrain. Selon des informations de Bloomberg obtenues auprès d’un proche de Gazprom, quatre énergéticiens européens ont déjà réglé leurs approvisionnements en roubles et dix autres ont ouvert des comptes chez Gazprom Bank pour régler leurs futurs approvisionnements dans cette monnaie selon la méthode imposée par le Kremlin. La Hongrie ne fait pas mystère de sa volonté de se plier aux nouvelles exigences russes. Lors de sa conférence de presse, la présidente de la Commission a pourtant réaffirmé « que payer en roubles contrevenait aux sanctions » actuellement en place. Le chancelier autrichien Karl Nehammer a dû lui démentir sur Twitter que l’énergéticien OMV avait accepté le paiement en rouble. Il a qualifié de « fake news » des informations en ce sens relayées par une agence de presse russe.

Pour Thomas Pellerin-Carlin, la décision de Gazprom de suspendre les approvisionnements à des pays européens est « inédite ». « Il n’y avait jamais eu d’arrêt des livraisons de gaz de la Russie vers un pays membre de l’Union européenne », reconnaît le chercheur. En 2009, plusieurs pays avaient déjà souffert de difficultés d’approvisionnement lorsque Moscou avait choisi de couper le robinet du gazoduc transitant par l’Ukraine.

La Pologne déjà bien préparée

Mais les conséquences de la décision de Gazprom devraient être absorbables par l’Europe pour l’instant. La Pologne et la Bulgarie représentent ensemble 8 % environ des approvisionnements en gaz russe de l’Union européenne, avec 10 millions de m3 environ pour le premier et 2 millions pour le second. Engagée depuis plusieurs années dans une diversification accélérée de ses approvisionnements, la Pologne était bien préparée. Ses stockages de gaz sont déjà remplis à près de 76 %, alors que la consommation de gaz a lieu principalement en hiver. Elle devrait pouvoir compter sur la mise en service à l’automne du gazoduc Baltic, qui la relie à la Norvège via le Danemark pour compenser la perte du gaz russe. L’énergéticien PGNiG a investi en direct dans des champs gaziers norvégiens, en 2021, en reprenant les parts d’Ineos pour 615 millions d’euros. Le pays projette aussi d’augmenter la capacité de son terminal GNL de Swinoujscie, d’ici 2023.

La situation pourrait être plus délicate pour la Bulgarie, dépendante à 90 % de la Russie pour son approvisionnement. Le pays dispose de moins d’interconnexions gazières avec ses voisins et avait encore peu rempli ses stockages, pleins à seulement 17 %. Retardée à plusieurs reprises, l’interconnexion avec la Grèce devrait être achevée à l’été. Elle faciliterait l’acheminement du gaz en provenance d’Azerbaïdjan, qui transite via le pipeline trans-adriatique en service depuis 2021.

D’autres pays européens pourraient par ailleurs connaître le même sort que la Pologne et la Bulgarie dans les semaines à venir. La Commission européenne doit finaliser d’ici fin mai son plan RePowerEU, qui prévoit de réduire des deux-tiers d’ici fin 2022 l’approvisionnement en gaz de l’Union. Il devrait être au centre des discussions du prochain Conseil européen des 30 et 31 mai prochain.

Les Européens discutent d'un embargo sur le pétrole

D’ici là, l’Europe travaille aussi à un sixième round de sanctions contre la Russie. Celles-ci pourraient inclure un embargo contre le pétrole russe, après celui déjà décidé contre le charbon. L’Allemagne n’y est plus réfractaire. « Il y a deux mois, j’aurais dit qu'on ne sait pas ce que cela va donner pour l’Allemagne. Ce n’est plus le cas », a assuré Robert Habeck, le ministre de l’Economie dans une vidéo diffusée par son ministère. L’Allemagne a réduit de 35 % à 12 % son approvisionnement en pétrole russe. Une de ses raffineries, dans l’Est du pays, qui approvisionne également la Pologne, est cependant contrôlée par le groupe russe Rosneft. Berlin et Varsovie ont trouvé le 26 avril un accord pour contourner l’approvisionnement en pétrole russe de celle-ci. Un embargo « se traduira certainement par une augmentation des prix du pétrole, peut-être par des ruptures d’approvisionnement au niveau local. Mais il ne conduirait plus à une catastrophe totale », estime le ministre, dont le pays dépend encore à 35 % du gaz russe, contre 55 % en février. De quoi inciter Moscou à accélérer sa pression sur les Européens.

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