François Mitterrand le 13 mars 1990 à Cercy-la-Tour

François Mitterrand, ici le 13 mars 1990 à Cercy-la-Tour, avait plaidé pour une autre forme d'alliance européenne avec les pays aspirant à rejoindre la CEE.

afp.com/GERARD CERLES

Comment répondre rapidement, et sans décevoir, au désir d'Europe de l'Ukraine et des autres pays qui frappent à la porte de l'Union européenne ? A Strasbourg, le 9 mai, Emmanuel Macron a proposé la mise en place d'une "communauté politique européenne". Cette antichambre de l'UE permettrait ainsi "aux nations européennes démocratiques adhérant à notre socle de valeurs de trouver un nouvel espace de coopération politique, de sécurité", a précisé le président français, à l'aube de son second mandat.

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Ce "lieu de partage des grands choix politiques, avec une grande visibilité symbolique" a également été suggéré, dans les colonnes de L'Express, par Enrico Letta, ancien Président du conseil italien. L'actuel secrétaire du Parti démocrate italien rappelait au passage qu'il s'agissait d'une "belle idée de (François) Mitterrand". Elle remonte en effet au 31 décembre 1989, alors qu'un vent nouveau souffle sur le Vieux continent : le mur de Berlin est tombé et l'Allemagne amorce sa réunification, tandis que les pays de l'Est tournent la page communiste de différentes manières : pacifique en Pologne, sanglante en Roumanie.

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Le président socialiste surprend alors tout le monde en annonçant, lors de ces voeux pour la nouvelle année, qu'il souhaite la création d'une "Confédération européenne". Voici le passage où il évoque cette ambition pour la première fois : "Je suis persuadé que [la Communauté économique européenne] a, par sa seule existence, puissamment contribué au sursaut des peuples de l'Est en leur servant de référence et de pôle d'attraction. La deuxième étape reste à inventer : à partir des accords d'Helsinki, je compte voir naître dans les années 90 une Confédération européenne au vrai sens du terme, qui associera tous les États de notre continent dans une organisation commune et permanente d'échanges, de paix et de sécurité. Cela ne sera évidemment possible qu'après l'instauration dans les pays de l'Est du pluralisme des partis, d'élections libres, d'un système représentatif et de la liberté d'information. A la vitesse où vont les choses, nous n'en sommes peut-être pas si loin."

Ce projet, Mitterrand y tient tant qu'il va occuper la diplomatie française pendant une année et demie. Mais un obstacle infranchissable va réduire ses chances : le président français souhaite que Moscou en fasse partie, et pas Washington. Or, comme l'a rappelé dans une interview Catherine Lalumière, alors secrétaire général du Conseil de l'Europe, "pour les pays d'Europe centrale, qui venait de se libérer de la tutelle soviétique, se retrouver au coude à coude avec l'URSS (sa dissolution n'intervient qu'en 1991) et sans les États-Unis" est de l'ordre de l'impossible. D'autant que la priorité est alors pour eux de rejoindre l'Otan, la meilleure assurance de sécurité pour le futur.

Washington opposé au projet

Déjà, François Mitterrand faisait valoir aux pays, comme la Pologne, cherchant à rejoindre au plus vite la CEE (à laquelle succède l'Union européenne en 1993), qu'une candidature prendrait une décennie pour aboutir. Mais ils sont alors nombreux à refuser ce qu'il estime être une CEE au rabais.

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De son côté, Washington regarde avec circonspection cette proposition française qui les exclut. Il existe déjà le Conseil de l'Europe et la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (devenu OSCE en 1994), instance de dialogue entre l'Ouest et l'Est, dont ils sont membres, avec le Canada. "Dès le début de l'année 1991, la diplomatie américaine lança une campagne diplomatique mais aussi financière - que pouvait la belle idée de Confédération face à la très concrète réalité de la puissance économique américaine ? - en direction des pays d'Europe de l'Est, rapporte le ministre des Affaires étrangères de l'époque, Roland Dumas, en 2001, dans la revue Politique étrangère. Une campagne où l'idée française était systématiquement dénigrée. (...) Ces critiques finirent par porter leurs fruits, Washington n'ayant de cesse d'affirmer que nous voulions, par ce biais, empêcher les pays d'Europe centrale et orientale d'entrer dans la CEE."

Loin de tenir compte des signaux négatifs qui s'accumulent, François Mitterrand maintient son projet. Et il obtient l'organisation, du 12 au 14 juin 1991, à Prague, des Assises de la Confédération européenne, regroupant des personnalités de tout le continent. Mais c'est à cette occasion que l'idée lancée un an et demi plus tôt est enterrée par le président tchécoslovaque, Vaclav Havel, qui déclare, en clôture, que "ces assises (...) ne prétendent pas à des attributions quelconques", avant d'ajouter, en conférence de presse : "je peux difficilement imaginer ce projet [de confédération] sans le concours des Etats-Unis et du Canada".

Pour autant, jusqu'à la fin de son second mandat, François Mitterrand continuera de défendre cette idée de Confédération européenne. Lors son passage à Paris, en octobre 1991, le premier président de l'Ukraine, Leonid Kravtchouk (décédé mardi), s'était d'ailleurs montré favorable à l'idée mitterrandienne. Plus de trois décennies plus tard, elle pourrait, sous une nouvelle forme, permettre à son pays de s'amarrer au club européen.

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