STRATEGIEDoit-on craindre «à tout moment» une guerre entre la Russie et l’Ukraine ?

Conflit en Ukraine : Pourquoi « l’incident à la frontière » pourrait déclencher une guerre avec la Russie

STRATEGIELa Russie semble être arrivée au point culminant d'une tension militaire avec l'Ukraine au sujet de sa possible entrée dans l'Otan
Un convoi de véhicules blindés russes se déplace le long d'une autoroute en Crimée, le mardi 18 janvier 2022.
Un convoi de véhicules blindés russes se déplace le long d'une autoroute en Crimée, le mardi 18 janvier 2022. - /AP/SIPA / SIPA
Marie De Fournas

Marie De Fournas

L'essentiel

  • La Russie a déployé ces dernières semaines des dizaines de milliers de soldats à la frontière ukrainienne, laissant craindre une invasion.
  • Le chef la diplomatie américaine Antony Blinken était en Ukraine ce mercredi pour demander à Vladimir Poutine de choisir la voie pacifique pour résoudre de ce conflit.
  • S’il n’est pas dans les intérêts russes d’attaquer l’Ukraine, le conflit armé n’est pas à écarter et pourrait être déclenché par un incident aux frontières, selon les experts interrogés par 20 Minutes.

L’escalade de tension entre la Russie et l’Occident à propos de l'Ukraine a-t-elle atteint le dernier échelon avant de basculer dans un conflit armé ? C’est en tout cas ce que craint le gouvernement américain après que la Biélorussie a annoncé, mardi, l’arrivée de troupes russes sur son territoire pour des exercices « de préparation au combat ». « Nous sommes à un stade où la Russie peut lancer à tout moment une attaque en Ukraine », a assuré la porte-parole de la Maison Blanche Jen Psaki. Dans la foulée, le secrétaire d’Etat Antony Blinken a rencontré en urgence le président ukrainien Volodymyr Zelensky, ce mercredi.

Il faut dire que Moscou n’en est pas à sa première manœuvre militaire. « Début décembre, la Russie a organisé sur son territoire à proximité de la frontière ukrainienne un grand exercice militaire qui a mobilisé 100.000 hommes », rappelle Cyrille Bret, chercheur à l’Institut Jacques Delors et professeur à Sciences Po Paris. Le gouvernement russe n’en avait pas averti ses partenaires occidentaux contrairement à l’usage. Enfin, début janvier, une intervention militaire russe s’est déroulée au Kazakhstan via l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), une sorte de petit Otan comprenant l’Arménie, la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan et la Russie.

La Russie fait monter les enchères

Pourtant personne ne semble avoir intérêt à ce qu’un conflit éclate. « Les Américains sont déjà occupés à contrer l’influence chinoise et ne veulent pas d’un conflit secondaire en Europe », explique Jean de Gliniasty, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). « Côté russe, globalement l’opinion ne souhaite pas de guerre », poursuit celui qui a été ambassadeur à Moscou il y a une dizaine d’années. Et dans l’hypothèse où le gouvernement russe voudrait régler l’affaire par la force, il sait que cela ne sera pas simple. « Le sentiment nationaliste est aujourd’hui très fort en Ukraine et les armements sont bien meilleurs qu’au moment de la guerre du Donbass il y a six ans. Si la Russie attaque, l’armée sait que cela ne sera pas une promenade de santé », assure l’expert.

Les Occidentaux, comme les Russes, seraient donc plutôt dans un rapport de force. Le gouvernement russe a remis mi-décembre un projet de traité sur la sécurité en Europe dit « à prendre ou à laisser ». Ce dernier a été étudié pour la première fois à Genève la semaine dernière et une nouvelle réunion est prévue la semaine prochaine. « On sait bien qu’à la veille d’un processus de négociations, les enchères montent de part et d’autre pour mettre l’adversaire sous pression. Ça s’est toujours passé comme ça », décrypte Jean de Gliniasty, également auteur de la Petite histoire des relations franco-russe.

Selon Cyrille Bret, les Russes « testent la détermination des Américains et des Européens à soutenir l’Ukraine ». Si la venue d’Antony Blinken en Ukraine a pour vocation de rassurer le pays, c’est aussi une façon de « montrer à la Russie que les Etats-Unis ne lâcheront pas l’Ukraine et que Vladimir Poutine ne doit pas aller plus loin dans la gradation des opérations militaire », analyse le professeur à Sciences Po. Lors de ce déplacement, le chef de la diplomatie américaine a d'ailleurs demandé à Vladimir Poutine de choisir la « voie pacifique » pour sortir de la crise ukrainienne.

Un débordement aux frontières pourrait tout faire basculer

Le souci, c’est que cela fait déjà deux mois qu’il y a des activités militaires constantes de la part des Russes et de leurs alliés à proximité des frontières ukrainiennes. Et que même si aucun gouvernement ne souhaite de conflit armé, ce scénario pourrait être déclenché par une mauvaise maîtrise des troupes sur le terrain. « Quand on accumule les troupes et que l’on a des exercices militaires pendant une si longue durée, c’est que l’on multiplie les risques d’incidents. Les soldats sont fatigués et commettent des erreurs », explique Cyrille Bret. Un tir non voulu ou décidé de façon autonome par un commandant d’unité obligerait la partie adverse à répliquer. « Ça peut vite dégénérer et, là, on ne sait pas où ça s’arrête », s’inquiète le chercheur à l’Institut Jacques-Delors.

Ce scénario de « l’incident à la frontière » est loin d’être écarté par les experts. D’abord parce que les négociations sur le fameux traité élaborant un nouveau statut de sécurité en Europe prendront du temps et seront difficiles. En effet, la Russie et l’Occident sont toujours dans l’impasse concernant l’inclusion de l’Ukraine dans l’Otan : l’Otan considère que sa politique de porte ouverte est une question de principe, tandis que la Russie refuse catégoriquement ce scénario.


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Ensuite parce que l’Ukraine compte le long du Donbass « des forces d’extrême droite nationalistes dont certaines unités militaires peuvent déclencher des opérations ponctuelles qui peuvent dégénérer », explique Jean de Gliniasty. Coté russe, « une petite partie de la droite nationaliste considère que la sécurité de la Russie ne peut être obtenue qu’au prix de la conquête de l’Ukraine », complète l’expert. Des minorités dont les actions armées pourraient entraîner des réactions en chaîne.

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