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Le temps des tergiversations est révolu. Six ans après l’accord de Paris, il faut agir sans attendre pour limiter le réchauffement climatique, dont les effets n’ont jamais été aussi visibles. Entreprises, citoyens et décideurs politiques ont dix ans pour réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre.
Canicule au Canada et en Russie, inondations en Allemagne et en Belgique, pluie au Groenland, incendies gigantesques en Kabylie, aux États-Unis, en Turquie, en Grèce et en France… Le bilan de l’été devrait interroger les derniers climatosceptiques. Et ce n’est pas fini. « Les événements climatiques extrêmes seront plus fréquents et plus violents », a indiqué Hoesung Lee, le président du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) lors de la présentation, le 9 août, de la première partie du sixième rapport du groupe, qui a évalué le climat et ses changements à partir de la synthèse de 14 000 études scientifiques.
« En 2019, les concentrations atmosphériques [de gaz à effet de serre] étaient les plus hautes depuis 2 millions d’années. » Le rapport alerte aussi sur le rôle du méthane dans la hausse des températures. Le secteur agricole, particulièrement à la traîne sur sa transition en France, en est le premier émetteur, avec 40 % des émissions anthropiques, selon un rapport de l’ONU, devant les énergies fossiles (35 %) et les décharges (20 %).
Le cap des 1,5°C atteint dès 2030
« Tant qu’il n’y aura pas de neutralité carbone au niveau mondial, le réchauffement climatique continuera », rappelait Corinne Le Quéré, la présidente du Haut Conseil pour le climat, lors de la présentation de son rapport annuel le 30 juin. Tous les scénarios étudiés par les scientifiques du Giec – même le plus optimiste, avec une très forte réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) – démontrent que nous atteindrons + 1,5 °C dès les années 2030, puis un pic à + 1,6 °C pour redescendre à la fin du siècle à + 1,4 °C.
Ce sont les gouvernements qui doivent insuffler la dynamique.
Si la trajectoire actuelle n’est pas modifiée, des scénarios plus pessimistes se profilent, avec une hausse de température par rapport à l’ère préindustrielle de + 2,8 à + 5,7 °C et une élévation du niveau de la mer de 1 mètre. Il faut remonter plus de trois millions d’années en arrière pour retrouver une hausse supérieure à 2,5 °C. « Ce rapport est passé inaperçu pendant l’été, regrette Gérald Maradan, le cofondateur et directeur général d’EcoAct, cabinet international de conseil en stratégie climat. Il est surtout destiné aux politiques, avec des messages clés sur les dégâts irréversibles, car ce sont les gouvernements qui doivent insuffler la dynamique. »
Dix ans pour sauver la planète
Si l’on s’en tient à l’accord de Paris, les promesses des États nous mènent à + 3 °C. Il est donc urgent de revoir les contraintes. Il y a bien eu les tergiversations des États-Unis pendant le mandat désastreux de Donald Trump, mais pas seulement. L’Australie, la Russie, le Brésil avancent à reculons, et au sein même de l’Europe, souvent montrée en exemple avec le green deal et les annonces liées au plan Fit for 55, certains pays, comme la Pologne, ont du mal à abandonner le charbon.
En France, malgré une Convention citoyenne pour le climat pleine d’espoir, le gouvernement ne semble avoir fait que la moitié du chemin avec la loi climat et résilience. « Les décisions prises par l’Europe et par la France vont dans le bon sens, mais beaucoup trop lentement, regrette Emmanuel Guérin, le directeur des affaires internationales de la Fondation européenne pour le climat. Le rapport du Giec confirme qu’il faut aller beaucoup plus vite. »
Il reste dix ans pour agir et sauver la planète. C’est l’enjeu principal de la COP 26, qui se tiendra à Glasgow, en Écosse, du 1er au 12 novembre. « Le gouvernement anglais n’est pas très actif et les positions des uns et des autres sont tellement divergentes qu’il sera difficile d’arriver à un accord », craint-on chez EcoAct. Pourtant, de nombreux pays se sont engagés sur leur neutralité carbone en 2050 (2060 pour la Chine)… La première étape consiste à réduire fortement les émissions de GES à l’horizon 2030. Le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a appelé les pays à présenter des plans concrets pour les réduire de 45 % d’ici à dix ans.
Sources : rapport PNUE 2019, ONU, Net zéro tracker. Infographie : Florent Robert
« Un manque de courage politique »
La COP 26 ne pourra pas être un succès si la Chine ne relève pas ses ambitions.
« La COP 26 sera un moment très important de politique internationale pour faire vivre l’accord de Paris et pour qu’il y ait un relèvement des objectifs sur les émissions, mais aussi sur les financements afin d’aider les pays qui n’ont pas les moyens de mettre en place une politique ambitieuse, analyse Emmanuel Guérin. L’autre enjeu est de voir dans quelle mesure l’agenda n’est pas seulement celui de l’Europe et du G7. Il manque les ambitions à la hausse de la Chine et de l’Inde par exemple. La COP 26 ne pourra pas être un succès si la Chine, premier émetteur mondial, ne les relève pas, alors qu’elle en a les moyens. »
L’Europe va plus loin, en visant une réduction de 55 % de ses émissions de GES en 2030 si les négociations, qui doivent durer jusqu’en 2023, notamment sous la présidence française, aboutissent. En France, la loi climat et résilience – ajoutée à toutes les mesures précédentes – permettra au mieux d’atteindre une baisse de 40 %. C’est la moitié du chemin, voire moins si l’on se réfère aux 55 % qu’ambitionne l’Europe. Plus le temps passe et plus les mesures qu’il faudra prendre seront drastiques. L’augmentation du prix de l’essence, qui avait déclenché le mouvement des Gilets jaunes, ne sera rien à côté des sacrifices qu’il faudra accepter.
Emmanuel Guérin met en garde les responsables politiques sur « la transition énergétique, et notamment l’efficacité énergétique des bâtiments. Elle ne peut pas se faire sur le dos des ménages précaires ou de ceux qui habitent loin des centres-villes. Il faut la faire plus socialement. Mais plus on attend, plus elle sera brutale. Si les consommateurs, les épargnants, les collectivités et les entreprises doivent faire des efforts, nous avons besoin des effets multiplicateurs de la politique. Et on voit un manque de courage politique. »
D’après le rapport du Haut Conseil pour le climat, il faudrait réduire les émissions de GES de 3,3 % par an à partir de 2021. En France, en 2019, elles ont baissé de 1,9 %, malgré deux secteurs qui ne suivent pas cette courbe, les transports et l’agriculture. D’ailleurs, si le Syndicat des énergies renouvelables (SER) se réjouit des annonces de l’Europe, il fixe des objectifs nationaux. « Les énergies renouvelables [EnR] n’ont atteint que 19 % de la production d’énergie en 2020, quand l’objectif européen était de 23 %, a rappelé Jérémy Simon, le délégué général adjoint du SER. Si les propositions de l’Union européenne sont adoptées, notamment celles sur les EnR, il faudra qu’elles soient prises en compte dans la prochaine programmation pluriannuelle de l’énergie. Il faut libérer le foncier pour le solaire et éviter les contraintes sur l’éolien. »
Réduire notre consommation d'énergie
Dans l’Union européenne, les émissions de CO2 de la production d’électricité ont diminué de 12 % au premier semestre 2021 par rapport au premier semestre 2019, selon le think tank britannique Ember. Une baisse liée à une augmentation de 9 % des énergies éolienne et solaire, qui représentent désormais plus de 20 % de la production d’électricité dans l’Union. En revanche, la France a vu ses émissions augmenter de 4 %, avec un recours accru au charbon et une baisse de la production nucléaire. Chacun sait que la meilleure énergie est celle que l’on ne consomme pas. « Il faut baisser la consommation, prévient Samuel Leré, responsable du plaidoyer à la Fondation Nicolas Hulot. On ne fera pas la transition énergétique uniquement avec la décarbonation. Mais il y a un risque d’injustice, car l’extension du marché carbone dans le transport et les bâtiments touchera les ménages les plus précaires. Nous y sommes opposés, car c’est antisocial. »
On ne fera pas la transition énergétique uniquement avec la décarbonation.
Les entreprises – et plus particulièrement les industriels – ont un rôle primordial à jouer dans la décarbonation. Nombre d’entre elles se sont déjà engagées vers la neutralité carbone pour se conformer au cadre légal et parce que le marché européen du carbone va monter en puissance. Pour suivre ou anticiper les objectifs de l’accord de Paris, nombre d’entre elles ont pris des initiatives qui peuvent être montrées en exemple. « La prise de conscience est réelle dans les entreprises depuis deux ans. La demande de conseil et de compensation carbone s’est accélérée, précise Gérald Maradan. Malgré la crise sanitaire, cela ne s’est pas arrêté. Nous n’arrivons plus à répondre à la demande. Pourtant il y a de plus en plus de sociétés de conseil. La révolution est en marche. »
Une tendance que confirme l’Association française des entreprises pour l’environnement (EpE) : « La plupart des entreprises adhérentes de l’association se sont engagées vers la neutralité carbone sur une échelle de temps comprise entre 2030 et 2050, affirme Guillaume De Smedt, le directeur adjoint du développement durable d’Air Liquide et président de la commission changement climatique d’EpE. Dans l’industrie, Air Liquide vise par exemple 2050, avec pour objectif intermédiaire, en 2035, une réduction de 33 % de ses émissions mondiales sur les scopes 1 et 2. Au sein d’EpE, nous analysons comment articuler les ambitions individuelles des entreprises pour atteindre l’objectif commun de neutralité. »
Investir dans l’innovation
Pour avancer dans la bonne direction, l’innovation est indispensable. « Il faudra développer des solutions qui n’existent pas encore sur le marché, notamment après 2030, pour atteindre la neutralité carbone. Les Vingt-Sept ont réduit les dépenses publiques pour la transition énergétique entre 2013 et 2019, alors qu’elles étaient en hausse aux États-Unis et même multipliées par trois en Chine », indiquait Thomas Pellerin-Carlin, le directeur du centre énergie de l’Institut Jacques-Delors, à la veille de la présentation du plan européen Fit for 55, qui vise à réduire ses émissions d’au moins 55 % d’ici à 2030.
Nous attendons de la COP 26 qu’elles mette en place les cadres réglementaires et législatifs pour pouvoir investir massivement.
La nécessité de développer de nouvelles technologies est un leitmotiv dans le monde de l’entreprise. « Nous attendons de la COP 26 et des politiques climatiques qu’elles mettent en place les cadres réglementaires et législatifs pour pouvoir investir massivement, demande Guillaume De Smedt. Nous avons besoin d’investissements dans des technologies, qu’elles soient matures ou en développement. En tant que groupe électro-intensif, Air Liquide a besoin d’accéder à une électricité décarbonée. Il faut pouvoir s’approvisionner de plus en plus en EnR à un prix compétitif. Cela passe par la réalisation des politiques publiques. »
Avec le réchauffement climatique, une autre exigence, souvent ignorée ou insuffisamment prise en compte, se dégage : s’y adapter et en atténuer les effets. Ce qui demande une action importante des pouvoirs publics, mais aussi des entreprises. Tant que la neutralité carbone ne sera pas atteinte, les températures continueront à augmenter. L’eau, l’agriculture, les forêts, le tourisme de montagne sont déjà très touchés. Le Haut Conseil pour le climat réclame davantage d’ambition et des objectifs quantifiés : « Le plan national sur l’adaptation n’est pas assez directif, il faudrait passer dans une logique proactive. »
« Il y a des moyens pour faire plus et plus vite », estime Corinne Le Quéré, la présidente du Haut Conseil pour le climat
La courbe de la baisse des émissions nous mène-t-elle à l’objectif de -40% en 2030?
En France, la baisse s’est accentuée en 2019 pour atteindre 1,9%, au lieu de 1,1% lors du premier budget carbone – mettons de côté l’année 2020, dont la chute de 9% est liée à la crise sanitaire. Pour l’instant, ce n’est qu’une année et c’est insuffisant pour atteindre l’objectif. Mais on voit se mettre en place certains éléments positifs, avec trois secteurs, l’énergie, l’industrie et le bâtiment, qui avancent. Il faut devenir efficace dans les dépenses pour accélérer encore sur ces secteurs, qui sont sur la bonne trajectoire. Le plan de relance a montré qu’il y a des moyens pour faire plus et plus vite.
Certains secteurs, notamment le transport, restent à la traîne...
Le transport souffre d’un manque de vision au niveau français et européen. L’amélioration de l’efficacité énergétique des véhicules a été compensée par une demande toujours plus forte. Il n’y a pas de report modal. Mais on peut être un peu optimiste. En 2020, la part des voitures électriques vendues est passée de 3 à 11%. Il faut complètement électrifier le secteur. Quant à la loi climat, elle ne va pas assez loin sur l’interdiction des vols et, surtout, le secteur aérien est l’un des rares à ne pas avoir d’objectif cohérent avec la limitation du réchauffement à + 1,5°C.
Avec le rehaussement des ambitions européennes à -55% en 2030, l’agriculture, autre mauvais élève, peut-elle atteindre la cible?
L’agriculture n’atteindra jamais la neutralité carbone en 2050, c’est certain. Les ambitions de ce secteur sont beaucoup trop faibles par rapport à la stratégie nationale bas carbone, alors qu’il sera fortement affecté par le réchauffement climatique. Et que cela a déjà commencé.
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