Ça y est, après plusieurs semaines d’escalade des tensions, les troupes russes sont entrées en Ukraine dans la nuit du mercredi au jeudi 24 février. Dès 5h05, les premières explosions ont été entendues à Kiev, la capitale ukrainienne.
Cela n’est pas sans rappeler l’annexion de la Crimée en 2014. Les sanctions envers Moscou avaient eu des conséquences économiques considérables, entraînant entre autres une perte de 42 % de la valeur du rouble face à l’euro cette année-là.
Mais les experts sont unanimes : la situation n’est pas la même qu’en 2014. « La Russie est mieux préparée aujourd’hui. Sa stratégie économique actuelle paraît très construite », constate Cyrille Bret, chercheur associé à l’institut Jacques Delors. « Son appareil et ses élites économiques sont prêts à supporter de nouvelles sanctions. »
Plus d’échanges avec la Chine
Depuis 2014, les Russes ont appris à contourner et à maîtriser les sanctions. Le pays a par exemple dopé certaines de ses industries domestiques de substitution.
Échaudée par la crise de 2014, « la Russie a développé son potentiel agricole plus rapidement que si elle avait évolué dans un système de libre-échange normal », rapporte Fabien Parmentier, secrétaire général du Cevipof.
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Il fallait s’y attendre puisque « les sanctions ne sont efficaces que si elles arrivent à cibler des secteurs vulnérables à court terme. À long terme, le pays trouve des moyens de s’adapter ».
Industrialisation par substitution aux importations
Stratégie de développement économique qui consiste, pour un pays, à sortir de la dépendance aux importations, en produisant lui-même.
Après la crise de 2014, les Russes ont aussi établi de nouvelles alliances : Moscou s’est approvisionné en denrées alimentaires auprès du Maroc. Les Russes se sont aussi rapprochés de la Chine pour trouver des débouchés : les échanges entre les deux pays pèsent aujourd’hui plus de 100 milliards de dollars par an. Pékin représente le premier débouché pour les exportations russes et 23,7 % des importations du pays.
« Vu de Moscou, l’économie mondiale est entrée dans une phase post-occidentale. Les économies les plus dynamiques ne sont plus les États-Unis ou l’Europe. La Russie est donc moins sensible aux sanctions », analyse l’expert en géopolitique du Cevipof.
Débouché
Possibilité de vendre des produits.
Une exclusion de Swift, lourde de conséquences
Pour l’économie russe, le pire pourrait être d’être exclue du système Swift. Il s’agit d’un système de paiement international en dollars qui est central dans les échanges bancaires internationaux. Près de 300 banques et organismes russes y sont affiliés.
Or, une exclusion de Swift entraînerait des complications infernales pour réaliser le moindre règlement, y compris pour les ventes de gaz et de pétrole. « Les administrations fédérales ou les entreprises locales auraient énormément de problèmes pour acheter, se fournir et transférer de l’argent. Les échanges commerciaux seraient gravement entravés. Surtout lorsque l’on sait à quel point la Russie dépend de son commerce extérieur (hydrocarbures, minerais et armes) », détaille encore Cyrille Bret de l’institut Jacques Delors.
En 2018, l’Iran avait fait l’amère expérience de l’exclusion de Swift, avec pour conséquence « une perte de près de la moitié des recettes d’exportation de pétrole et 30 % de son commerce extérieur », rappelle l’économiste John Plassard, dans L’Opinion.
Mais la Russie n’est pas l’Iran. Les sanctions contre Moscou seraient aussi dommageables pour les Européens. L’insertion économique et les liens privilégiés que Moscou entretient avec l’Europe sont en effet très importants : en 2020, l’Union européenne restait le premier client de la Russie.
Vu de Moscou, l’économie mondiale est entrée dans une phase post-occidentale. Les économies les plus dynamiques ne sont plus les États-Unis ou l’Europe. La Russie est donc moins sensible aux sanctions.
Fabien Parmentier,secrétaire général du Cevipof.
Des répercussions pour les Européens
« Mais les sanctions économiques coûtent aussi à ceux qui les prennent. Il faut accepter dans ces cas-là de perdre une partie de sa propre richesse », insiste Fabien Parmentier. Les sanctions priveraient en effet plusieurs secteurs européens de débouchés. En 2014, l’agro-industrie française en avait déjà beaucoup pâti. Et on sait que depuis, la France a largement investi en Russie. Un certain nombre de grands groupes tricolores y sont présents, comme TotalEnergies ou Leroy Merlin par exemple.
À l’échelle européenne, les secteurs de la pharmacie, du luxe ou encore les machines-outils, particulièrement importantes pour l’Allemagne, subiraient les conséquences de nouvelles sanctions. « Chaque État aurait finalement des gagnants et des perdants parmi ses acteurs économiques. »
La question se pose moins pour les États-Unis puisque le commerce américano-russe est plus limité. « C’est pourquoi Washington pousse pour davantage de fermeté à l’égard de Moscou. »
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Un impact sur le gaz
Bien sûr l’étendue des conséquences à venir dépendra de la typologie des sanctions : « Elles peuvent être générales (l’accès aux terres rares, par exemple), ou ciblées (ne concerner qu’un certain nombre d’acteurs économiques - les oligarques proches de Vladimir Poutine par exemple). Mais après les sanctions, il ne faut pas sous-estimer l’impact que pourraient avoir les représailles », prévient finalement Fabien Parmentier.
À l’heure où les prix des énergies connaissent déjà une flambée, il est en effet à craindre que les factures augmentent un peu plus encore pour les ménages de l’UE : plus de 40 % des importations européennes de gaz proviennent de Russie.
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La hausse des cours des hydrocarbures, un avantage pour Moscou
Une grosse différence par rapport à 2014 : aujourd’hui, les prix des hydrocarbures sont au plus haut. Il y a huit ans, ces mêmes cours baissaient, nous rappelle Cyrille Bret, de l’institut Jacques Delors. « Pour Moscou, il n’y aura donc pas de double peine : baisse des recettes des hydrocarbures et sanctions économiques sectorielles. C’est un avantage pour la Russie, bien plus solide que lors de la récession de 2015-2016. »