Interloquée. Choquée. Estomaquée. Véronique Trillet-Lenoir hésite. Quel terme choisir pour décrire ce qu’elle ressent depuis le « raz-de-marée » du Qatargate, le scandale de corruption qui éclabousse le Parlement européen ? L’élue, membre du groupe Renew Europe (RE), finit par trancher : « Je suis sidérée. Cette affaire jette l’opprobre sur toute la classe politique. On m’en parle jusqu’à Lyon, d’où je viens. »

Alors que la Commission européenne présentera le 26 avril une nouvelle mouture de la législation pharmaceutique de l’Union européenne (UE), côté Parlement, Véronique Trillet-Lenoir est bien décidée à s’impliquer dans les pourparlers, pour faire avancer le vaste chantier de « l’Union de la santé ». Peut-être est-ce une manière, aussi, de tenter de redorer le blason de son institution.

Clarté et simplicité

Née en 1957, Véronique Trillet-Lenoir a exercé à plein temps, durant trente-cinq ans, la profession d’oncologue médical dans la capitale des Gaules. « Un oncologue médical n’est pas chirurgien, ne s’occupe pas des rayons, mais des traitements médicaux des cancers », précise-t-elle, avant de les lister – chimiothérapies, injections d’anticorps monoclonaux, immunothérapies… – et de les décrire, rapidement, clairement, avec des mots simples.

C’est l’une de ses forces : elle est capable d’expliquer des concepts complexes au plus grand nombre. « Avec la crise sanitaire, Véronique Trillet-Lenoir a été propulsée parmi les personnalités qui comptent à Bruxelles, grâce à ses compétences médicales et sa capacité à allier technicité et pédagogie », estime Isabelle Marchais, spécialiste de la santé à l’Institut Jacques-Delors.

Pourtant, au Parlement, où certains députés enchaînent les mandats (l’un de ses confrères médecins, le chrétien-démocrate allemand Peter Liese, y siège par exemple depuis 1994), Véronique Trillet-Lenoir est encore novice. Inscrite sur la liste Renaissance aux élections de 2019 (à la 17e place), catapultée à Bruxelles dans la foulée, cette ancienne conseillère régionale a dû intégrer les codes d’une immense maison où les semaines de travail se partagent entre sessions plénières (en Alsace), réunions en commissions (elle siège notamment dans celle qui traite de santé publique) et passages en circonscription.

Ils lui permettent, chaque vendredi ou presque, de se rendre à l’hôpital Lyon Sud, où elle suit une poignée de patientes en rémission après un cancer du sein (cinq ans de consultations de surveillance sont nécessaires) et participe à des réunions avec la trentaine de spécialistes du service d’oncologie. « J’ai tenu à garder un ancrage hospitalier pour ne pas me couper de la réalité », souligne-t-elle, consciente que le Parlement est une « bulle », parfois dure à percer.

Non aux lobbyistes

Dans cette bulle, Véronique Trillet-Lenoir « écoute beaucoup ». Mais sait aussi se faire entendre. Désignée « rapporteure » (comprendre : négociatrice en chef) d’une résolution portant sur la lutte contre le cancer votée en février 2022, la députée a milité pour établir un lien entre consommation d’alcool et risque de cancer. Le socialiste Éric Andrieu, lui, tenait à ménager le secteur viticole. « Alors, on a discuté, relate l’élu. Véronique a des convictions, mais fait partie de ceux, trop rares, capables d’écouter la position des autres et d’agir avec compétence, sagesse et discernement. »

Finalement, la formulation jugée convenable par une majorité de députés et retenue dans la résolution est la suivante : il « n’existe pas de niveau de consommation d’alcool sans danger quand il s’agit de prévention du cancer ».

Car le travail parlementaire repose avant tout sur la recherche du compromis, une notion familière pour Véronique Trillet-Lenoir : « À l’hôpital, mes patients étaient souvent dans la négociation pour décider de la marche à suivre pour les soigner, nous discutions longuement, parfois sur la base d’extraits de recherches faites sur Internet par les malades. Avant de la pratiquer au Parlement européen, cette culture du compromis, je l’ai largement vue à l’hôpital. »

Mais ceux que la députée écoute moins, indique-t-elle, ce sont les lobbyistes privés. C’est simple, elle a refusé de les rencontrer pendant la rédaction de sa résolution sur le cancer. « Les pages d’amendements glissées en douce aux parlementaires, c’est une réalité en 2023. Moi, j’estime que personne n’a à me tenir le stylo », lance-t-elle. Les représentants d’intérêts sont prévenus.