Le Premier ministre britannique Boris Johnson (D) avec l'ambassadrice de France Sylvie Bermann lors d'une réception à la résidence de la diplomate à Londres le 14 juillet 2016

Le Premier ministre britannique Boris Johnson (D) avec l'ambassadrice de France Sylvie Bermann lors d'une réception à la résidence de la diplomate à Londres le 14 juillet 2016

afp.com/Daniel LEAL-OLIVAS

Boris Johnson est un personnage - dans un sens shakespearien plus que churchillien, ne lui en déplaise - paradoxal. Nommé de manière contre intuitive par la Première ministre, Theresa May, au poste de Foreign Secretary (ministre des Affaires étrangères) en juin 2016, il était vu comme Falstaff s'installant dans le bureau de Gladstone.

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Je l'ai connu lorsque, charismatique maire de Londres, il vantait les mérites de sa ville ouverte, sur le modèle d'Athènes contre Spartes, dont les nombreux émigrés contribuaient à l'exceptionnelle prospérité et au dynamisme. On le croisait débraillé, hilare et apostrophant les passants sur son vélo. Il s'enorgueillissait d'être le maire de la quatrième grande ville française avec ses quelque 300 000 ressortissants. Il prenait plaisir à la provocation en déclarant dérouler le tapis rouge pour les entrepreneurs français échaudés par la fameuse taxe de 75 %. Son rapport avec la France est comme celui de nombreux Britanniques, ambigu : mélange de fascination, d'amour, de détestation et de jalousie. Ses plaisanteries parfois douteuses, inspirées par sa détermination à ne "jamais sacrifier un bon mot à la vérité", étaient nombreuses mais portaient peu à conséquence.

Du BoJo solidaire à l'opportuniste politique

Boris Johnson s'est montré très solidaire au moment des attentats contre Charlie Hebdo, illuminant les lieux les plus emblématiques de Londres aux couleurs du drapeau français. Il est venu le soir où l'ambassade a organisé avec la communauté française une veille à Trafalgar Square, où quelqu'un avait réussi à coller au beau milieu de la colonne Nelson une petite affiche : "Je suis Charlie". Il était venu spontanément lors du match de foot amical au stade de Wembley que le Premier ministre Cameron avait conçu comme un soutien à l'allié français. Boris Johnson y avait chanté La Marseillaise à tue-tête. Il adorait d'ailleurs parler dans un français assez coloré. Nos relations étaient alors très cordiales.

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Son engagement opportuniste en faveur du Brexit a changé la donne. Ses fonctions de Premier ministre dont l'obsession était de "réaliser le Brexit" et surtout d'administrer la preuve que c'était un formidable succès l'a opposé à l'Union européenne et surtout à la France, dans la mesure où Emmanuel Macron avait à l'inverse fait sa campagne sur un projet européen. Le président français a exprimé plus vocalement sans doute que ses homologues européens, qui n'en pensaient pas moins, son indignation face à l'attitude cavalière de Boris Johnson reniant sa signature en remettant en cause un traité qu'il avait lui-même négocié, signé et, dans son style hyperbolique habituel, qualifié de fantastique. Le protocole Nord irlandais doit être mis en oeuvre à la fois pour protéger le marché intérieur européen et préserver la paix instaurée par l'accord du Vendredi saint. Il n'était pas fatal que les difficultés bilatérales, réelles, sur la pêche ou l'immigration illégale se transforment en véritables crises envenimées par des opinions publiques éruptives. L'envoi au large de Jersey en mai 2021 de bateaux de la Royal Navy, des canonnières selon le Daily mail, contre des pêcheurs français fut un summum.

Réparer la relation

La question de l'alchimie personnelle entre dirigeants joue. Il ne pouvait y avoir de philosophie et de style plus divergents. En d'autres circonstances, le côté histrion de Bojo aurait pu amuser le président français, mais les enjeux européens sont trop importants. Des deux côtés de la Manche, les relations sont jugées comme étant au plus bas.

Le changement de dirigeant au 10, Downing street permettra-t-il le retour à une entente plus cordiale ? Cela dépendra évidemment du successeur et des positions relatives au Brexit. Il y a une volonté de réparer la relation de part et d'autre. Dans le contexte de la guerre en Ukraine, il est vital de revenir au partenariat étroit dans le domaine de la sécurité et de la défense dans l'esprit de l'accord de Lancaster house signé en 2010, plus ou moins tombé en déshérence, malgré l'existence d'un corps expéditionnaire conjoint de 10 000 hommes. La question du rapprochement avec l'Union européenne et d'une possible participation à des opérations reste posée. Le nouveau locataire du 10, Downing Street pourrait-il saisir au bond le ballon d'essai d'Emmanuel Macron sur la mise en place d'une Communauté politique européenne qui permettrait au Royaume-Uni de renouer avec son destin européen ?

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