Le président Donald Trump descend de l'avion à la base aérienne Andrews le 26 septembre 2019

Donald Trump veut que l'Europe étende l'accord de libre échange avec les Etats-Unis au volet agricole.

afp.com/SAUL LOEB

La sentence a fini par tomber. Après quinze années de procédures, l'Organisation mondiale du commerce (OMC) a finalement donné raison aux États-Unis qui accusaient l'Europe d'avoir indûment subventionné Airbus. En réparation, l'institution genevoise autorise les États-Unis à surtaxer les produits européens pour une valeur de 7,5 milliards de dollars (6,9 milliards d'euros). A peine la nouvelle officialisée que l'administration américaine a listé les produits qui seront surtaxés (+10% sur les avions, +25% sur des produits agricoles et industriels), annonçant qu'elle avait demandé une réunion extraordinaire à l'OMC pour mettre en place ces nouveaux droits de douanes dès le 18 octobre. Les Européens qui espéraient encore un accord à l'amiable (étant donné que l'OMC devrait annoncer au printemps prochain une sanction similaire contre les Etats-Unis accusés d'avoir subventionné Boeing) en sont pour leur frais. Une telle escalade ne peut "que nuire à nos deux économies au moment où la Chine renforce son industrie aéronautique", a rappelé Bruno Le Maire.

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Tordre le bras des Européens

Qu'importe pour Donald Trump, qui y voit avant tout une opportunité en or pour mettre la pression sur Bruxelles, alors que se négocie, difficilement, un accord bilatéral entre les deux puissances. Le 15 avril dernier, l'Union européenne a en effet accepté officiellement de rouvrir les négociations sur le Tafta, le traité de libre-échange transatlantique, qui étaient gelées depuis 2016. Ou plus exactement sur une version allégée du traité originel, qui exclut notamment le volet agricole. De quoi irriter au plus au point le président américain, qui espère bien pouvoir ouvrir les rayons du vieux continent à ses agriculteurs.

"Il faut bien avoir en tête que la campagne électorale pour les présidentielles va commencer dans quelques mois, Trump a besoin d'accrocher un scalp à sa ceinture alors que l'accord avec la Chine patine", complète Elvire Fabry, chercheur senior, responsable de la politique commerciale à l'Institut Jacques Delors. Les deux premières puissances mondiales se livrent en effet depuis mars 2018 une guerre commerciale qui s'est traduite par des droits de douane mutuels sur des centaines de milliards de dollars de produits. Proche d'un accord en mai dernier, tout est depuis gelé, Trump accusant la Chine d'être revenu sur ses engagements.

Après les avions, les voitures européennes ?

Et la décision de l'OMC n'est pas le seul levier de pression dont dispose le président américain. Le 13 novembre prochain, ses services doivent également annoncer s'ils décident de relever de 2,5% à 25% les droits de douane sur les véhicules importés d'Europe. Une mesure de rétorsion censée compenser le fait que les 27 taxent, eux, les importations de voitures venues d'outre atlantique à hauteur de 10%. La menace est lourde, ces ventes représentant près du tiers de la valeur totale des exportations de l'UE. Le choc serait surtout violent pour les constructeurs allemands, qui écoulent nombre de leurs berlines outre-Atlantique. Renault est en effet absent du marché américain, et les ventes de PSA y sont dérisoires.

Mais le vieux continent ne compte pas se laisser plumer sans réagir. Les 27 ont déjà annoncé qu'en cas de nouveaux droits douaniers sur les exportations automobiles, ils appliqueraient des surtaxes équivalentes sur des produits Made in USA. Et dans le dossier Airbus, il se murmure que Bruxelles pourrait se montrer extrêmement offensif. "Plutôt que d'attendre la décision de l'OMC sur Boeing, nous pourrions utiliser d'anciennes décisions du régulateur du commerce mondial qui n'ont jamais été appliquées, afin de sanctionner immédiatement les États-Unis", glisse une source européenne. On parle d'une somme totale approchant les 4 milliards d'euros. La France, notamment, milite pour cette option, contrairement aux Allemands qui espèrent toujours que Trump annulera ou reportera sa surtaxe sur le secteur automobile européen.

La Chine grande gagnante du conflit

Seule certitude, la Chine pourrait bien être le grand gagnant de ce bras de fer américano-européen. "L'application des sanctions tarifaires risque de faire de très gros dégâts dans un secteur de l'aéronautique déjà fragilisé, et ce pour le plus grand bénéfice du champion chinois Comac", souligne Sébastien Jean, directeur du Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII). Plus largement, "cet affrontement pourrait faciliter l'ambition chinoise de devenir la première puissance mondiale en 2049, pour les 100 ans du régime", pointe Pascale Jouanin, directrice générale de la Fondation Robert Schuman.

Du côté de Bruxelles, on se veut néanmoins optimiste. "Sur les trois dernières années Trump nous a habitué à ses annonces et à ses contre annonces", rappelle une source européenne. Espérons-le, car une double guerre commerciale Europe/États-Unis et Chine/États-Unis pourrait faire plonger des échanges mondiaux déjà à la peine.

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