Livres. Dans la grande Europe à vingt-sept, la présidence française ne revient que tous les quatorze ans. Malgré la cinquième vague de la pandémie et les impératifs de la campagne présidentielle, Emmanuel Macron compte bien saisir cette occasion pour affirmer l’Union dont il rêve, celle d’une puissance géopolitique souveraine, dotée d’une réelle autonomie stratégique. Autrefois quasi tabous dans le débat européen, ces thèmes sont désormais ouvertement discutés. S’ils divisent toujours les Européens, tous reconnaissent leur pertinence dans un monde plus incertain et conflictuel.
« Est-il si impossible de réformer les modèles, certes admirables mais conçus il y a soixante-dix ans, pour six pays, sur les décombres d’une guerre mondiale, autrement dit dans un monde définitivement révolu ? », s’interroge Nicole Gnesotto, titulaire de la chaire Union européenne (UE) au Conservatoire national des arts et métiers. L’historienne souligne la nécessité d’un changement de fond de l’UE pour qu’elle soit à même de faire face aux nouveaux enjeux qui sont les siens.
« Le dilemme est, en effet, limpide : soit les Européens choisissent de se diluer dans le camp occidental, afin d’affronter avec les Etats-Unis les défis majeurs de notre époque, dont la montée en puissance de la force et de la Chine ; soit ils inventent une seconde option : construire les éléments d’une Europe souveraine, évidemment membre loyale du camp occidental mais capable, si besoin est, de défendre seule ses intérêts, sa culture, son modèle de croissance et de société », note la vice-présidente de l’Institut Jacques Delors dans cet essai stimulant et lucide.
Les fragilités du projet communautaire sont évidentes. Européiste convaincue mais pas « eurobéate », Nicole Gnesotto les pointe sans angélisme. Avec ses 33 000 fonctionnaires à la Commission, ses trois capitales (Bruxelles, Strasbourg, Luxembourg) et ses cinq principales institutions (la Commission, le Parlement, le Conseil européen, la Banque centrale, la Cour de justice de l’UE), l’Union est une lourde machine volontiers conservatrice et, surtout, très technocratique.
« Il s’en est fallu de peu que le Covid-19 ne porte un coup fatal à l’Union européenne », note Jacques Delors en préface, rappelant la confusion, le chacun pour soi, les rivalités entre Etats membres, avant le sursaut, grâce à Paris et Berlin, avec l’achat en commun de vaccins. Et, surtout, un plan de relance financé par une dette commune, ce qui était encore inimaginable quelques mois plus tôt. « L’Europe se fait dans les crises et elle sera la somme des solutions que l’on apportera à ces crises », aimait à souligner l’un de ses pères fondateurs, Jean Monnet. Elles n’ont pas manqué, au cours de ces soixante-dix dernières années.
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