"Enfin, nous sortons de la guerre commerciale entre les Etats-Unis et l’Union européenne, qui ne fait que des perdants", s’est félicité le ministre français de l’Economie et des Finances Bruno Le Maire. Même si une hirondelle ne fait pas le printemps, la suspension, le 5 mars et pour quatre mois, des droits de douane punitifs mis en place par Washington et Bruxelles constitue une très bonne nouvelle pour les entreprises les plus touchées par ces sanctions. En France, ce cessez-le-feu a d’ailleurs été accueilli avec soulagement par les producteurs de vins, dont les exportations étaient surtaxées de 25% – un manque à gagner de 700 millions d’euros l’année dernière. Autre conséquence de cette volonté d’apaisement du président Joe Biden, après les vitupérations de Donald Trump, cette pause pourrait permettre de régler le contentieux Airbus-Boeing, qui pollue les relations transatlantiques depuis le début des années 1980.
Les deux avionneurs ont été sanctionnés par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) pour aides illégales. Conséquence, Washington a été autorisé par l’OMC à imposer, en octobre 2019, des droits de douane sur les importations européennes de vins et spiritueux, ainsi que sur les avions Airbus et d’autres biens industriels, pour un montant total de 11,5 milliards de dollars. Un an plus tard, Bruxelles obtenait le feu vert de l’OMC pour mettre en place une tarification punitive sur 4 milliards de dollars d’importations américaines dans l’Union européenne. Des surtaxes qui vont de 15% pour les avions Boeing à 25% sur certains produits agricoles (tabac, blé…) ou des biens manufacturés comme les tracteurs.
Realpolitik
Mais la volonté de négociation affichée par l’administration Biden sur le dossier Boeing-Airbus relève plus de la realpolitik que d’une aspiration irénique à la paix commerciale. Très prosaïquement, Washington et Bruxelles ont compris que la donne avait changé. "Lorsque le conflit s’est engagé, la dérégulation était la norme, donc le recours aux aides d’Etat passait pour un moyen de fausser la concurrence, analyse Sylvie Matelly, directrice adjointe de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). Aujourd’hui l’idée que cette industrie à très forts coûts fixes soit subventionnée est acceptée des deux côtés de l’Atlantique."
A cela s’ajoutent d’autres variables clés qui modifient l’équation entre les deux pays. Alors qu’Airbus et Boeing sont durement affectés par les conséquences économiques de la crise sanitaire, les deux mastodontes doivent faire face à la montée en puissance de l’avionneur chinois Comac, qui bénéficie de la reprise économique dans l’empire du Milieu mais également de subventions massives de la part de Pékin. "Dans ces conditions, ne pas chercher un accord reviendrait à se tirer une balle dans le pied pour les Américains comme pour les Européens, observe Elvire Fabry, chercheuse senior à l’Institut Jacques-Delors. L’enjeu est de se mettre d’accord sur le montant des subventions qui pourront être allouées par les Américains et les Européens à leurs avionneurs respectifs, sans contrevenir aux règles de l’OMC, le tout en quatre mois."
En outre, l’administration Biden pourrait être tentée d’en profiter pour arracher des contreparties sur d’autres dossiers, en imposant par exemple à Bruxelles de la soutenir dans sa politique de sanctions destinée à stopper la construction du gazoduc Russe Nord Stream 2. "Joe Biden donne des gages aux Européens, mais les intérêts de son pays restent sa priorité, ne soyons pas naïfs", prévient Sylvie Matelly.