Elections européennes : une opinion fragmentée par les crises successives
Au-delà du clivage gauche-droite, les électeurs de l'UE se positionnent surtout en fonction des crises qu'ils jugent les plus graves (climat, migration, Ukraine…). Une étude du think tank ECFR montre de profondes divergences entre les Etats membres quant aux priorités des citoyens.
Par Vincent Collen
A moins de cinq mois des élections européennes , l'opinion publique des vingt-sept Etats membres est façonnée par les crises qui se sont succédé ces dernières années. C'est la thèse défendue par le European Council on Foreign Relations (ECFR), un think tank, sondages à l'appui dans neuf pays de l'Union européenne.
Crise migratoire, réchauffement climatique, guerre en Ukraine, Covid-19, tourmente économique mondiale… Les « craintes concurrentes de la hausse des températures, de l'immigration, de l'inflation et des conflits militaires » constitueront l'affrontement central de la campagne en vue du scrutin du 9 juin, estime Mark Leonard, directeur de l'ECFR.
Ce n'était pas le cas lors des précédentes élections, en 2019. Il y a cinq ans, le scrutin était dominé selon lui par la lutte opposant « les populistes qui voulaient tourner le dos à l'intégration européenne et les partis traditionnels qui voulaient sauver le projet européen du Brexit et de Trump ».
Cette fois-ci, les Européens sont de plus en plus guidés « par leur attitude à l'égard des crises qui ont affecté leur vie au cours des dernières années », complète Ivan Krastev, coauteur de l'étude. Les citoyens des Vingt-Sept « s'éloignent des liens idéologiques de la droite et de la gauche », dit-il.
Climat, Covid et immigration
Le changement climatique est la première préoccupation des électeurs, montre le sondage, qui a extrapolé les résultats à l'ensemble de l'Union européenne. Plus de 73 millions de citoyens de l'UE (sur un total de 369 millions) citent ce sujet comme celui « qui a le plus d'impact sur leur avenir ».
Le Covid (73 millions) et les bouleversements de l'économie mondiale (69 millions) arrivent pratiquement au même niveau. Ils sont suivis par l'immigration, mais assez nettement derrière (58 millions des Européens classent ce sujet en tête de leurs préoccupations), et la guerre en Ukraine (49 millions).
Poussée de l'AfD en Allemagne
Ces cinq groupes ne sont bien sûr pas répartis de façon égale entre les pays : l'étude de l'ECFR dessine une carte de l'Europe où les sujets de préoccupation principaux varient fortement d'un Etat à l'autre. En France, c'est le climat qui arrive en tête des sujets cités par les citoyens sondés (27 %), très loin devant les autres (17 % pour le Covid et 16 % pour l'immigration).
En Allemagne, l'immigration arrive très nettement devant : 31 % des électeurs allemands citent ce sujet comme celui qui a « le plus affecté leur vie » ces dernières années. Une proportion bien plus élevée que dans les huit autres pays étudiés. Cette préoccupation se retrouve largement dans les derniers scrutins régionaux en Allemagne, marqués par une poussée du parti d'extrême droite AfD .
En Italie et au Portugal , ce sont les bouleversements de l'économie mondiale qui préoccupent le plus. « Dans ces pays, la crise de la zone euro a laissé des traces durables », commentent les auteurs de l'étude.
L'aide à l'Ukraine en question
Sans surprise, les Estoniens , les Polonais et les Danois considèrent la guerre en Ukraine comme la crise la plus importante pour eux. Logique, vu leur proximité géographique avec la Russie.
La guerre est en revanche étonnamment absente des préoccupations des Européens de l'Ouest et du Sud. Moins de 7 % des Français, des Italiens et des Espagnols placent l'Ukraine en tête de leurs inquiétudes. Une tendance qui a de quoi inquiéter Kiev, alors que les débats sur l'aide financière et militaire au pays envahi sont de plus en plus houleux au sein des Vingt-Sept.
Un intérêt accru
Pour Thierry Chopin, de l'institut Jacques-Delors, la multiplication des crises se traduit par « un intérêt accru des citoyens pour les prochaines élections européennes ». La participation pourrait en conséquence être en hausse par rapport à 2019, qui avait déjà connu un rebond après quatre décennies de baisse.
« Le débat européen n'est plus réduit au clivage pour ou contre l'UE, ajoute-t-il. Il est désormais davantage centré sur le projet politique, y compris pour la gauche et la droite radicales qui transposent au niveau européen leurs priorités politiques ».
Vincent Collen