NordBalt converter station and HDVC cable pictured on November 21, 2015 in Klaipeda. Lithuania will soon begin importing electricity from fellow EU states Poland and Sweden to reduce the Baltic region's dependence on Russia.  AFP PHOTO / PETRAS MALUKAS (Photo by PETRAS MALUKAS / AFP)

Les pays baltes se sont dotés ces dernières années d'infrastructures les reliant à leurs voisins européens, comme ici le câble NordBalt (photographié en novembre 2015) entre la Lituanie et la Suède.

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Une nouvelle ère se dessine pour les Etats baltes. Les dirigeants de la Lituanie, de la Lettonie et de l’Estonie ont enfin synchronisé leur calendrier, jeudi 3 août, pour se rattacher au réseau électrique du bloc continental européen. L’enjeu est de taille : abandonner définitivement le réseau dont ils font partie, un héritage de l’Union soviétique piloté par le géant russe, et auquel appartient aussi la Biélorussie. "L’île énergétique" balte n’existera donc plus d’ici février 2025, selon la déclaration commune signée par les Premiers ministres, avec près d’un an d’avance sur le planning initialement évoqué. Il s’agit d’un énième rapprochement de ces trois pays vers l’Ouest et d’un pas supplémentaire pour s’affranchir de l’influence du Kremlin.

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La commissaire européenne à l’Energie, Kadri Simson, a salué "un accord historique". "Non seulement le projet apportera la sécurité énergétique dans la région et achèvera l’intégration européenne des trois Etats baltes, a-t-elle relevé, mais il soutiendra également la mise en œuvre du "Green Deal" en garantissant une énergie sûre, abordable et durable pour la région orientale de la mer Baltique et pour l’Union dans son ensemble".

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Ce mouvement, déjà dans les tuyaux depuis plusieurs années, a été accéléré par l’invasion de l’Ukraine. "C’est très clairement un signal sécuritaire, une volonté de rompre les liens avec Moscou et d’éviter tout type de manipulation russe sur la fréquence du système", analyse auprès de L’Express Phuc-Vinh Nguyen, chercheur en politiques énergétiques à l’Institut Jacques Delors. "L’annonce, symbolique, a aussi une importante portée politique, confirme l’économiste Jacques Percebois, professeur émérite à l’université de Montpellier et directeur du Centre de recherche en économie et droit de l’énergie (Creden). Elle signifie que ces Etats se libèrent de leur dépendance à la Russie."

"Fonctionner en bloc"

Cette émancipation est le fruit d’un processus entamé dans les années 2000, quand les nations baltes, indépendantes depuis 1991, ont amorcé leur ouverture vers l’Ouest : adhésion à l’Union européenne, à l’Otan… Mais sur le plan énergétique, leurs infrastructures, intégrées au réseau soviétique après la Seconde Guerre mondiale, restaient tournées vers l’Est. S’affranchir des câbles russes a nécessité des investissements, soutenus par l’UE. Des connexions ont été installées entre la Lituanie et la Pologne (LitPol Link), la Suède (NordBalt), et entre l’Estonie et la Finlande (Estlink 1 et 2). Un accord signé en 2018 a également permis de débloquer 1,6 milliard d’euros de financement européen pour moderniser les infrastructures existantes.

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Le choix d’une échéance en février 2025 a été motivé par des raisons techniques. "C’est comme pour une greffe : on doit avoir les mêmes standards et être certain que tout se passe bien, explique Laurent Rosseel, directeur adjoint du dispatching à RTE France et coordinateur à l’ENTSO-E, l’association représentant les gestionnaires de réseau de transport d’électricité à travers l’Europe. Les pays doivent remplir un catalogue de mesures techniques. Ils sont en bonne voie, mais cela demande du temps."

"Il faut fonctionner en bloc" et non déconnecter les Etats un par un, ajoute Phuc-Vinh Nguyen. Or, les trois pays, qui ont tous cessé d’importer de l’électricité russe en mai 2022, n’étaient pas sur la même longueur d’onde. Ayant adopté une attitude plus agressive envers Moscou, la Lituanie a poussé pour accélérer la cadence et se raccorder à l’UE début 2024 - l’opérateur national a même testé avec succès, en avril dernier, de se débrancher du réseau russe pendant une journée. La Lettonie et l’Estonie ont, eux, préféré temporiser. "Je comprends que la Lituanie veuille aller plus vite, mais le problème est que […] l’Estonie paierait le prix le plus élevé pour une telle démarche, en termes de coûts, mais aussi de risques de pannes de courant", justifiait mi-juillet la Première ministre estonienne Kaja Kallas, en marge d’un sommet de l’Otan.

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"Le coût sera certainement un peu plus important pour l’Estonie et la Lettonie, convient Jacques Percebois. De plus, la Lituanie est assez dépendante des importations en électricité, alors que les autres ont davantage de ressources nationales." Ce raccordement facilitera en effet les échanges et "légitimera d’autant plus les interconnexions des pays baltes avec les nations voisines, complète Phuc-Vinh Nguyen. Il permet également de s’aligner sur les objectifs climatiques de l’UE - la neutralité carbone en 2050 - car l’accélération des énergies renouvelables nécessite toujours plus d’interconnexions pour maîtriser leur variabilité". L’arrivée prochaine de la Lituanie, de la Lettonie et de l’Estonie apportera "une meilleure stabilité à la qualité de la fréquence du réseau européen. L’impact est positif, même si marginal étant donné le volume de production électrique des pays", résume Laurent Rosseel.

Une question subsiste : quid de l’enclave russe de Kaliningrad, coincée entre la Pologne et la Lituanie à laquelle elle est aujourd’hui raccordée ? Les experts consultés s’interrogent aussi. Dans une analyse publiée en juillet 2022 par le Center for European Policy Analysis (CEPA), l’auteure et journaliste Aliide Naylor notait que "Kaliningrad a déjà réussi à tester l’indépendance totale de son réseau électrique dans le passé". Preuve que Moscou avait anticipé de longue date le débranchage de la Lituanie, et de ses voisins.

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