«Pour faire baisser la facture d’énergie des Européens, on ne laisse pas le marché décider. (...) On ne peut pas laisser la prédation de grands groupes décider du prix de l’électricité». A l’occasion d’un débat consacré aux élections européennes, et diffusé par Public Sénat le 15 mars, la tête de liste de la France Insoumise, Manon Aubry, a réaffirmé sa volonté de mettre fin au marché européen de l’électricité. Thierry Mariani, candidat pour le Rassemblement national, estime quant à lui qu’il faut au moins s’en extraire de façon dérogatoire, c'est-à-dire en négociation avec les instances européennes.

Les deux partis reprochent à ce mécanisme européen sa propension à créer des prix volatiles, au grand dam des ménages et entreprises français. Car les prix sur le marché de gros européen fonctionnent sur le principe du «merit order», c’est-à-dire une hiérarchisation des moyens de production électrique selon leur coût (du moins cher au plus cher).

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Durant les jours ensoleillés avec peu de demande électrique, le nucléaire, et parfois les énergies renouvelables, aux coûts de production modérés, suffisent à satisfaire la demande. Les prix de l’électricité sont alors faibles. A l’inverse, les jours froids, il est nécessaire de faire appel aux centrales à gaz, charbon ou fioul (les énergies fossiles), aux coûts de production bien supérieurs. Les prix de l’électricité bondissent alors. Comme la plupart des centrales thermiques européennes fonctionnent au gaz, les opposants au marché européen ont donc beau jeu de dire que les prix de l’électricité français dépendent du prix européen du gaz, surtout en période hivernale.

Une crise énergétique multifactorielle

Ce système est-il pour autant l’unique fautif de la flambée des prix qu’ont connue les ménages français en 2022 ? Après tout, seulement 7,8% de la production électrique française était issue des ressources fossiles en 2023, d’après le gestionnaire de réseau RTE. Pour Phuc-Vinh Nguyen, chercheur en politique énergétique à l’Institut Jacques Delors, «on ne peut pas simplement blâmer le marché européen. Plusieurs facteurs ont contribué à cette situation. La raréfaction du gaz russe, qui est passé de 40 à 15% de notre approvisionnement européen, la sécheresse qui a affaibli la production électrique de nos barrages, mais aussi les problèmes de corrosion de nos centrales nucléaires.»

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La sortie pure et simple du marché européen ne ferait donc pas tout. Les opposants au marché, à l’instar de Thierry Mariani, prônent donc une solution intermédiaire en suivant les exemples portugais et espagnols. Mais, à y regarder de plus près, les résultats ne sont pas vraiment à la hauteur. Ces deux pays n’ont pas quitté le marché européen de l’électricité, mais ont réussi à obtenir une dérogation de l’Union européenne pour plafonner les prix de l’électricité. Sauf que dans le détail, cette protection n’était pas des plus efficaces, estime Nicolas Goldberg, expert énergie chez Colombus Consulting : «Les pays ibériques ont simplement mis en place un bouclier tarifaire moins efficace qu’en France. Les prix du gaz ont été bloqués, la perte pour les producteurs compensée financièrement, et le manque à gagner comblé par une taxation sur les factures d’électricité des ménages.»

Un réseau européen plus onéreux à exploiter

Et quand bien même la France sortirait du mécanisme européen, la marge de manœuvre pour faire baisser les prix serait limitée. Sur une facture, le coût d’achat de l’électricité ne représente qu’un tiers de la note finale du ménage ou de l’entreprise. Les deux autres tiers sont respectivement composés du coût de l’acheminement de cette énergie par le réseau ainsi que des taxes.

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C’est aussi un des points forts du marché européen de l’électricité : les interconnexions. Les Etats membres ont la possibilité d’importer et exporter de l’électricité. Ces infrastructures sont indépendantes du marché mais présentent l’avantage d’être «optimisées» par l’Union européenne. Le marché permet de planifier les échanges entre Etats au meilleur moment - et donc au meilleur prix. «Sur certains jours de l’année, la France dépend de ses voisins pour son abaisser le coût de son électricité. Quitter le marché européen implique donc d’acheter cette énergie à des prix plus élevés, et donc de renchérir donc la facture des ménages», avertit Phuc-Vinh Nguyen.

Mais un marché qui ne protège toujours pas les Français

Pour renforcer la stabilité des prix, plusieurs pistes, indépendantes du marché européen existent, s’accordent les experts. Notamment : déployer davantage de moyens de production décarbonés - centrales nucléaires et énergies renouvelables -, favoriser les contrats de long terme pour rendre les périodes de crise énergétique les plus indolores possibles, et multiplier les contrats d’électricité incitant à décaler sa consommation aux heures les moins onéreuses. En revanche, une chose est sûre : la réforme du marché votée par l’Europe en 2023 ne sera pas de nature à éviter une nouvelle crise énergétique, la méthode de fixation des prix étant restée identique. «Si l’hiver 2024 venait à être froid, que le gaz russe disparaît d’Europe et que le gaz naturel liquéfié ne compense pas cette perte, la hausse des prix qui en résulterait pourrait produire les mêmes augmentations de prix qu’en 2022», alerte ainsi Phuc-Vinh Nguyen.