Coûteux, compliqué à mettre en place et, au final, peut-être pas très efficace. Pour toutes ses raisons, l’embargo sur le pétrole russe suscite beaucoup d’interrogations parmi les membres de l’Union européenne (UE), partagés entre la volonté de ne pas financer la guerre menée par Vladimir Poutine et le souhait de ne pas pénaliser leurs économies.

→ COMPRENDRE. Guerre en Ukraine : les Européens restent divisés sur un embargo au pétrole russe

Entre la fin février, avec l’invasion de l’Ukraine, et début mai, l’UE a versé 20 milliards d’euros à la Russie pour ses achats de pétrole, auxquels s’ajoutent 30 milliards d’euros de gaz, estime Thomas Pellerin-Carlin, chercheur à l’Institut Jacques-Delors en rappelant que le budget annuel de l’armée russe avoisine les 60 milliards d’euros.

Une dépendance variable suivant les pays

La Russie est le premier fournisseur de pétrole brut de l’Union européenne, avec environ 30 % de ses importations. La dépendance de l’Europe aux produits raffinés est encore plus importante, puisque la Russie assure 40 % de ses besoins.

Mais tous les pays ne sont pas logés à la même enseigne, d’où la longueur des tractations à Bruxelles autour de l’embargo. La Hongrie est dépendante à 60 % du pétrole russe, alors qu’il représente 34 % des importations allemandes de brut et 8 % des importations françaises.

D’où l’idée, avancée par la France, de limiter l’embargo au pétrole venant par la mer (les deux tiers des livraisons) et d’exclure le brut transporté de Russie par l’oléoduc russe Drjouba (le « pipeline de l’amitié »), qui alimente notamment la Hongrie.

Négocier de nouveaux contrats

En tout cas, l’arrêt des achats de brut russe ne peut pas se faire du jour au lendemain. C’est ce qui explique que l’embargo ne peut se mettre en place avant la fin de l’année. D’ici là, il faut trouver d’autres fournisseurs et des navires pour faire venir le pétrole, mais aussi négocier de nouveaux contrats, alors que le marché est très tendu. Tout cela prend forcément du temps, même si les Européens s’y préparent déjà.

« Nous n’achetons plus de pétrole russe sur le marché spot et d’autres acteurs font comme nous », expliquait Patrick Pouyanné, le PDG de TotalEnergies, lors de l’assemblée générale des actionnaires, mercredi 25 mai, en rappelant que s’approvisionner ailleurs représente un prix plus élevé.

Le diesel russe acheté par TotalEnergies pour l’Europe va, quant à lui, être remplacé, par exemple, par celui fabriqué dans une raffinerie d’Arabie saoudite, dans laquelle le groupe a une participation. Là aussi la facture sera plus salée.

Modifier les raffineries

Tous les bruts ne se valent pas non plus. Ils sont classés en fonction de leur densité, avec, par exemple, le pétrole léger (comme le russe, dit d’Oural), le lourd et l’extra-lourd (comme celui du Venezuela). Les huiles légères permettent de produire du diesel, de l’essence, du naphta pour faire des plastiques. Les huiles lourdes, moins valorisées, donnent du carburant pour les bateaux et les avions, mais aussi du bitume.

Selon les gisements, le pétrole a également des teneurs en soufre différentes. « Les raffineries sont optimisées en fonction de leur approvisionnement en brut. Si l’on change de type de pétrole, il faut revoir tous les réglages, voire construire des unités de désulfuration, qui sont des investissements coûteux », souligne Olivier Appert, membre de l’Académie des technologies et conseiller du centre énergie de l’Ifri.

La crainte d’un nouveau choc pétrolier

Quel sera l’impact sur les prix d’un embargo prochain sur le pétrole russe ? Pour l’instant, les analystes se perdent en conjectures. Ceux de Bank of America estiment que le baril pourrait rapidement monter à 150 dollars, provoquant ainsi un nouveau choc pétrolier pour les économies européennes.

La Russie serait aussi touchée, car l’UE représente un débouché essentiel pour elle : 54 % de ses exportations de pétrole et 53 % de ses produits pétroliers. « Mais un embargo ne va pas mettre à mal fondamentalement la Russie, qui va réorienter ses ventes, notamment vers l’Asie. Les premiers bénéficiaires vont être la Chine et l’Inde qui l’achèteront moins cher », souligne Olivier Appert.

Les sanctions contre la Russie ont ainsi entraîné une chute des cours du baril Oural. « Il vaut environ 35 dollars de moins que le brent, alors qu’au début de l’année les deux étaient quasiment à parité. Mais compte tenu des niveaux actuels des prix, l’impact est limité pour les Russes », rappelle Lionel Ragot, professeur à Paris Nanterre et conseiller scientifique au Cepii.

Selon lui, la Russie pourrait d’ailleurs faire pression sur ses partenaires de l’Opep +, pour qu’ils n’augmentent pas leur production, maintenant ainsi les cours à des niveaux élevés.