Sur le port de Dunkerque, au petit matin, leurs hautes silhouettes ocre émergent au loin, entre les grues portuaires et les silos d’usines. Les trois hauts-fourneaux du groupe ArcelorMittal, premier aciériste au monde, sont en marche. A leur pied, des dunes de charbon et de minerai de fer acheminés par bateau d’Australie, du Brésil ou du Canada, prêtes à être englouties, avant d’en ressortir sous forme de coulées. « Ce sont près de 20 000 tonnes de fonte qui sont produites ici chaque jour, s’exclame Emmanuel Deneuville. En quantité de métal, c’est l’équivalent de trois tours Eiffel ! »
En pleine urgence climatique, cette prouesse a toutefois un sérieux revers. Le responsable de la décarbonation du site en a plus que conscience. « En Europe, la moyenne des émissions pour produire 1 kg d’acier est de 2,1 kg de CO2. ArcelorMittal est à 1,8 kg », détaille-t-il, en insistant sur les priorités du groupe : innover pour réduire d’ici à 2030 ces mêmes émissions de 35 % sur le Vieux Continent. A Dunkerque mais aussi à Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône), à Gand en Belgique, en Allemagne et en Pologne. « Nous allons mener à bien quelque chose que nous n’avions jamais fait depuis les “trente glorieuses” », promet Eric Niedziela, vice-président action climat d’ArcelorMittal Europe. A savoir : « Reconstruire la sidérurgie. »
Pour l’Union européenne (UE), deuxième puissance industrielle mondiale, où ce secteur représente près d’un quart du produit intérieur brut, cette quatrième révolution s’impose. A elles seules, la sidérurgie mais aussi la cimenterie et la chimie pèsent plus de 20 % des rejets de gaz à effet de serre du continent et restent loin d’être alignées sur les ambitions de Bruxelles de faire du continent le champion mondial de l’écologie. « Si leurs émissions ont diminué entre 1990 et 2015 du fait de l’amélioration de l’efficacité énergétique des procédés, mais également des fermetures de sites, délocalisations et importations, aucune réduction n’a été constatée depuis », atteste Léa Mathieu-Figueiredo, experte du sujet à l’association Réseau Action Climat.
« Le principal risque serait que l’UE rate le coche de l’émergence de cette “cleantech” à la faveur des Etats-Unis et de la Chine », Thomas Pellerin-Carlin, directeur du Centre énergie de l’Institut Jacques Delors
Au bord de la mer du Nord, sur le littoral dunkerquois, ces enjeux se font plus que jamais obsédants. Car, à lui seul, ce nœud industrialo-portuaire – véritable ville dans la ville – émet 21 % des rejets de CO2 industriels de tout l’Hexagone. Un record. A l’arrière-plan de la centrale nucléaire de Gravelines et des terminaux portuaires, se succèdent sur cette longue terre un chapelet d’entreprises très polluantes. ArcelorMittal en tête, mais aussi les sociétés minières Ferroglobe et Comilog (filiale du groupe Eramet) ; le numéro un européen de l’aluminium, Alvance Aluminium Dunkerque ; une poignée de chimistes.
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