Plusieurs mois après le début de la crise de l'énergie, la question reste en suspens : l'Union européenne est-elle vraiment capable d'enrayer la hausse des prix du gaz, dont les niveaux restent anormalement élevés, ou ne peut-elle envisager que des mesures palliatives ? Convaincus qu'il faut agir, certains Etats membres font en tout cas pression pour que la Commission propose enfin des mécanismes d'encadrement du marché, selon eux nécessaires pour corriger les cours. Et pourtant, aucun accord ambitieux n'a encore émergé des négociations, lesquelles s'apparentent à un dialogue de sourds.
En témoigne la dernière trouvaille de l'exécutif bruxellois, présentée ce mardi. En effet, à la demande de l'Espagne et de la France notamment, la Commission a proposé de plafonner le Title Transfert Facility (TTF), un hub virtuel majeur où les expéditeurs et les clients négocient les approvisionnements en gaz sur le Vieux Continent. Mais cet outil ne serait activé que si le prix sur le TTF dépassait 275 euros le mégawattheure (MWh) pendant deux semaines consécutives, une condition quasiment impossible à atteindre. « Même quand Poutine a agité la menace d'une interruption des exportations de gaz vers l'Europe, ce n'est pas resté à ce niveau pendant autant de temps ! », souligne Phuc-Vinh Nguyen, chercheur au Centre Énergie de l'Institut Jacques Delors. Sans surprise, la nouvelle a déclenché l'ire de plusieurs Etats, encore une fois déçus par la grande frilosité de Bruxelles.
Obsession pour la sécurité d'approvisionnement
Il faut dire que la Commission doit composer avec des injonctions contradictoires : d'un côté, plusieurs Etats lui demandent de fixer une limite claire et efficace aux prix d'achat du gaz, afin de calmer une envolée déraisonnable sur les marchés. De l'autre, l'institution veut à tout prix éviter de braquer les fournisseurs de gaz en leur imposant des prix « artificiellement bas », au moment où ce combustible risque de manquer à l'Europe - laquelle doit déjà se passer d'une grande partie des hydrocarbures russe. En résulte une équation impossible, résumée par la présidente de la Commission européenne elle-même : « le plafond [du TTF] devra être assez flexible pour assurer la sécurité d'approvisionnement, et assez haut pour que le marché fonctionne », avait-elle souligné il y a un mois.
De fait, l'obsession de Bruxelles est de « minimiser le risque » d'un éventuel manque de gaz en Europe par rapport à la demande, plutôt que de chercher à tout prix à en baisser le prix, a répété jeudi la commissaire à l'Énergie, Kadri Simson. Déjà très souple, le plafonnement pourra d'ailleurs se voir carrément suspendu par la Commission à tout moment, même si les conditions déjà quasiment inatteignables étaient réunies, « dès lors qu'il y aurait un risque pour la sécurité d'approvisionnement », a-t-elle clarifié. Et d'ajouter que « l'idée est de continuer à attirer des livraisons de GNL [gaz naturel liquéfié, ndlr] pour substituer les volumes perdus de Russie ».
Marché dominé par l'offre
Et pour cause, l'Union européenne, qui produit très peu de gaz sur son sol, dépend de plus en plus de GNL acheminé par bateaux des quatre coins du monde pour s'approvisionner. Or, sur ce marché mondialisé et fortement concurrentiel, « il y a de gros risques que les fournisseurs envoient leur cargaison ailleurs, en Asie par exemple, à un meilleur prix, plutôt que de respecter un plafond imposé par l'UE », estime Xavier Pinon, fondateur du courtier en énergie Selectra.
« Il est toujours très difficile pour un acheteur en position de demande de gaz, et qui risque même une pénurie, d'expliquer à ses fournisseurs qu'il ne les paiera pas au-delà d'un certain plafond. Tant que le marché est dominé par l'offre, les producteurs risqueraient de se tourner vers d'autres acheteurs potentiels », note Jacques Percebois, économiste et directeur du Centre de Recherche en Economie et Droit de l'Energie (CREDEN).
Le phénomène se produit d'ailleurs déjà : la ruée du Vieux continent sur le GNL afin de se détacher des hydrocarbures russes a bouleversé le marché international et fait bondir le prix des cargaisons. Si bien que plusieurs pays qui en dépendent pour produire leur électricité, parmi lesquels le Pakistan, n'arrivent plus à surenchérir et enchaînent les coupures de courant.
Dans ces conditions, et alors que l'offre mondiale de GNL risque d'être insuffisante pour répondre à la demande de tous - du moins pendant plusieurs années -, les marges de manœuvre pour en négocier le prix devraient rester très réduites. Ainsi, la seule solution « sans regret » au choc d'offre qui secoue l'Europe serait de réduire massivement la demande. « Il n'y a pas d'autre issue pour faire baisser rapidement la pression sur le système », estime un connaisseur du secteur. Alors que tout plafonnement des prix du gaz risque, au contraire, de stimuler la consommation de cet hydrocarbure ou de détourner les fournisseurs, la Commission préfère donc temporiser, malgré la colère de l'Espagne, la Grèce, la Pologne ou encore la France face à cet attentisme.
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