Enrico Letta appellera l’UE à adopter une stratégie industrielle rivalisant avec l’IRA américain

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Selon une ébauche du rapport, vue par Euractiv, M. Letta n’hésitera pas à aborder les questions les plus controversées de l’agenda économique de l’UE : comment financer la transition verte de l’Union tout en stimulant son autonomie stratégique, son industrie, son commerce et sa compétitivité sur les marchés. [Shutterstock/Alexandros Michailidis]

L’Europe doit adopter d’urgence des mesures pour promouvoir une « stratégie industrielle compétitive » rivalisant avec la loi américaine sur la réduction de l’inflation (Inflation Reduction Act, IRA), y compris par le biais d’un mécanisme de contribution aux aides d’État à l’échelle de l’Union. C’est ce que devrait déclarer Enrico Letta jeudi (17 avril) lorsqu’il présentera son rapport aux 27 dirigeants de l’UE qui se réunissent pour un sommet européen.

« Face à une concurrence mondiale féroce, l’UE doit intensifier ses efforts pour développer une stratégie industrielle compétitive capable de contrecarrer les instruments récemment adoptés par d’autres puissances mondiales, tels que la loi sur la réduction de l’inflation », devrait indiquer l’ancien Premier ministre italien dans un rapport sur l’avenir du marché unique de l’UE.

Selon une ébauche du rapport, consultée par Euractiv, M. Letta n’hésitera pas à aborder les questions les plus controversées de l’agenda économique de l’UE : comment financer la transition écologique de l’Union tout en stimulant son autonomie stratégique, son industrie, son commerce et sa compétitivité sur les marchés.

Cela signifie qu’il faut s’attaquer à un déficit de financement que la Confédération européenne des syndicats (CES) a récemment estimé à environ 300-420 milliards d’euros par an, soit 2,1 à 2,9 % du PIB de l’Union européenne.

« La question n’est plus de savoir si l’Europe les poursuivra, mais comment elle le fera », indique le projet de rapport. « Il s’agira certainement d’un débat houleux. »

Face aux craintes grandissantes d’une éventuelle désindustrialisation de l’Europe, M. Letta semble avoir pleinement adhéré aux appels de l’industrie en faveur d’un accord sur la compétitivité industrielle à mettre en œuvre au cours de la prochaine législature (2024-2029), étant donné que les taux d’intérêt élevés, les prix élevés de l’énergie et les subventions massives des gouvernements américain et chinois constituent une menace grandissante pour la base industrielle de l’Europe.

« Soutenir les emplois et les industries en Europe, plutôt que de financer le développement industriel de nos partenaires ou rivaux, doit être l’objectif principal lorsque l’on dépense l’argent public », notera M. Letta.

« En outre, il n’a jamais été aussi urgent de développer nos propres capacités industrielles afin d’être autonomes dans le domaine stratégique. »

« L’Europe ne peut pas, et ne doit pas, céder son rôle de leader de la fabrication à d’autres. Au début du siècle et pendant une bonne partie de la décennie suivante, ce changement était largement considéré comme une option réalisable et même bénéfique. Cependant, il est désormais évident que ce n’est plus le cas .»

Un investissement public à l’échelle de l’UE est nécessaire

Pour répondre au « comment », le rapport suggère d’aborder trois sujets très controversés et étroitement liés qui ont récemment divisé les décideurs politiques et les milieux d’affaires : le financement public au niveau de l’UE, la politique industrielle et les aides d’État au niveau national.

« Nous devrions développer des solutions audacieuses et innovantes pour trouver un équilibre entre, d’une part, la nécessité de mobiliser rapidement des aides publiques nationales ciblées en faveur de l’industrie et, d’autre part, la nécessité d’empêcher la fragmentation du marché unique », déclarera M. Letta.

Le responsables politique italien devrait ajouter dans son rapport que « si l’assouplissement progressif des aides d’État en réponse aux crises récentes a contribué à limiter les effets négatifs sur l’économie réelle […], il a également entraîné des distorsions de concurrence ».

Le projet de document met aussi en garde contre le risque, s’il se prolonge dans le temps, d’amplifier « les distorsions des règles du jeu au sein du marché unique en raison de la différence de marge de manœuvre fiscale dont disposent les États membres ».

« Un moyen de surmonter ce dilemme pourrait être de trouver un équilibre entre une application plus stricte des aides d’État au niveau national et l’expansion progressive du soutien financier au niveau de l’UE. Plus précisément, nous pourrions envisager un mécanisme de contribution aux aides d’État, exigeant des États membres qu’ils allouent une partie de leurs fonds nationaux au financement d’initiatives et d’investissements paneuropéens. »

Alors que l’on s’attend depuis longtemps à ce que les plans visant à débloquer des capitaux privés pour financer de tels objectifs stratégiques — principalement en stimulant l’intégration des marchés financiers de l’Union et en détaillant une feuille de route pour relancer l’Union des marchés des capitaux — constituent la pierre angulaire du rapport de M. Letta, l’accent mis sur les plans de financement public de l’UE devrait constituer une surprise pour beaucoup.

S’il était mis en œuvre, un fonds d’investissement à l’échelle de l’UE, comme le suggère M. Letta, chercherait à contrecarrer les effets négatifs de la loi américaine sur la réduction de l’inflation introduite en 2022.

Cette législation, axée sur l’investissement public comme principal moyen de soutenir l’économie américaine, a débloqué jusqu’à 500 milliards de dollars de nouvelles dépenses et d’allègements fiscaux dans l’économie américaine, jetant ainsi les bases d’une promotion intensive des secteurs et des entreprises américaines et attirant les entreprises européennes en dehors de leur marché intérieur.

En d’autres termes, l’ébauche du rapport de M. Letta implique qu’« affiner l’approche des aides d’État facilitera la création des conditions politiques nécessaires pour libérer […] les investissements publics européens » — précisément en tant que stratégie « pour atténuer les tensions entre les nouvelles approches industrielles et le cadre du marché unique ».

Les avertissements de M. Letta interviennent alors que l’Office statistique de l’Union européenne, Eurostat, a rapporté ce lundi (15 avril) que la production industrielle en février était en baisse de 5,4 % dans l’UE par rapport à février 2023, bien que la production mensuelle ait augmenté de 0,7 % par rapport à janvier 2024.

Le mois dernier, la Confédération européenne des syndicats, qui représente 45 millions de travailleurs en Europe, a publié une étude estimant que près d’un million d’emplois dans l’industrie manufacturière ont été perdus sur le continent au cours des quatre dernières années.

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[Édité par Anne-Sophie Gayet]

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