LES PLUS LUS
Publicité
International

Environnement : « Punir ne marche pas », selon le vice-président de la Commission européenne

EXCLUSIF. Le chef du Pacte vert européen, Frans Timmermans, fait part de ses réflexions à la veille de la Journée internationale de l’Environnement. Il souhaite que la COP28 de Dubaï, à l’automne, permette de convaincre les retardataires plutôt que de les stigmatiser.

François Clemenceau , Mis à jour le
Frans Timmermans, le 16 mars 2023.
Frans Timmermans, le 16 mars 2023. Anadolu Agency via AFP / © Dursun Aydemir / ANADOLU AGENCY

L’ancien chef de la diplomatie néerlandaise et commissaire européen au Climat ne veut pas qu’on oublie qu’il est aussi socialiste. En intervenant vendredi à Paris dans un colloque organisé par l’Institut Jacques Delors, il a mis en avant les principes qui doivent conduire la mise en place du pacte vert de l’Europe : aider les citoyens de l’Union à comprendre l’urgence de changer de comportement, et convaincre les pays pauvres ou les plus polluants à s’adapter à la transition énergétique sans exclusion, ni menaces ou paternalisme.

Publicité
La suite après cette publicité

A la veille de la Journée internationale de l’Environnement, n’est-il pas temps de dire à l’opinion que sauver la planète est un combat de chaque jour ?
Oui, mais il faut quand même utiliser ces journées pour bien faire comprendre que nous faisons face à une crise du climat qui se double d’un écocide. Le sens de l’urgence que nous avons pour le climat, nous ne l’avons pas encore pour la nature alors que les deux sont étroitement liées. Je reviens d’Inde où il y a quatre ans on nous disait que ce n’était pas à nous de leur demander de réduire leurs émissions de carbone car ils étaient en pleine phase de développement. Aujourd’hui, on entend là-bas un autre discours qui consiste à dire qu’ils ont les mêmes défis que nous avec la sécheresse, les incendies et les inondations et qu’il faut affronter ces défis ensemble. Il faut convaincre nos concitoyens que la crise climatique n’est ni de droite ni de gauche et qu’elle ne doit pas faire l’objet de surenchère politicienne.

Si nous Européens, dictons aux Africains ou aux pays émergents ce qu’ils doivent faire, ce sera inaudible et contre-productif.

Les grandes ONG écologistes nous disent qu’on est globalement très en retard par rapport aux objectifs de la COP21 dont on fera le bilan à l’automne lors de la COP 28…
C’est vrai qu’on n’a pas fait assez et, en même temps, on a fait bien plus que ce que l’on croyait possible il y a quelques années. Par exemple, dans la transition énergétique, on va beaucoup plus vite que prévu. La Chine vient ainsi annoncer qu’elle avait mis en place en quatre mois seulement cette année 40 Gigawatts d’énergie solaire. Même ambition en Inde et en Indonésie avec d’ambitieux programmes d’échanges de quotas d’émissions. Les Américains, avancent aussi à toute vitesse dans leur transition écologique. On ne fait pas suffisamment la pédagogie du coût de la non-transition.

Il faut dire que si l’on n’avance pas suffisamment vite et fort vers une économie décarbonée, tout retard nous coûtera infiniment plus cher que si l’on s’y engageait résolument. Regardez l’Italie et les inondations du mois dernier, six mois de pluie en quelques heures et des milliards de dégâts. Tous ceux qui nous proposent de revenir en arrière se font des illusions. Nous sommes fiers de nos ancêtres, de ce qu’ils ont fait après la deuxième guerre mondiale, et maintenant nous devons être de bons ancêtres pour nos petits-enfants. C’est le devoir moral de notre génération.

Vous participerez ce mardi à un symposium de décideurs politiques et économiques sur les énergies vertes. Que dites-vous à ces chefs d’entreprise qui se disent verts mais se décarbonent trop lentement ? 
La plupart des entreprises ont compris que le monde avait changé et que nous étions en pleine révolution industrielle. Il faut être clair. Si certaines industries ne sont pas capables de se réinventer, elles n’auront pas d’avenir. Cela étant dit, je conçois qu’il faille des moyens financiers publics pour aider les entreprises qui veulent faire cette transition mais qui n’en ont pas forcément les moyens. Autrement dit, rien ne sert de continuer à investir dans les industries polluantes d’hier.

La suite après cette publicité

2022 a été la première année où les investissements dans les énergies renouvelables ont dépassé ceux dans les énergies fossiles. On a besoin d’acier vert, de pompes à chaleur, d’éoliennes, d’électrolyseurs. Nous ne pouvons pas dépendre totalement des Chinois pour nos panneaux solaires. Il y aura de meilleurs emplois et davantage de bénéfices dans l’économie numérique et circulaire de demain que dans celle d’hier. J’ai rencontré récemment des mineurs de charbon en Pologne reconvertis dans l’installation de panneaux solaires. Ils m’ont dit que si leur salaire était moins bon, leur confort de vie était meilleur et qu’ils n’avaient plus peur pour leur santé.  

Comment peut-on dire que l’on va consommer moins d’énergie carbonée mais plus de plastique alors que les deux sont si intimement liés comme on l’a vu avec les débuts difficiles de la conférence internationale à ce sujet cette semaine à Paris ? 
Je suis tout de même satisfait de voir qu’il y a davantage de pays aujourd’hui qu’hier dans cette négociation internationale sur le plastique. Mais il faut se rendre compte que le plastique, qui est plus léger que l’acier, est partout. Pas seulement dans les pailles, les gobelets et les emballages mais aussi dans le matériel médical des hôpitaux, dans les voitures et les panneaux solaires. Ce virage ne peut donc être aussi radical qu’on l’envisage. Nous sommes en train de préparer la législation européenne qui va s’attaquer à la réutilisation du plastique dans la nouvelle économie circulaire de la réparation et du recyclage.

Je crois aussi dans l’effet « Bruxelles », que lorsqu’une législation ou une réglementation est adoptée au niveau européen, elle finit par influer sur les décisions prises par d’autres pays. Ce sera probablement aussi le cas avec notre mécanisme d’ajustement carbone aux frontières qui rentrera en vigueur, après sa période de transition, en 2026 mais qui fonctionne déjà. Si la Chine ou l’Inde mettent en place aujourd’hui un système d’échange des quotas de carbone, c’est pour éviter demain de voir leurs produits taxés en entrant sur le marché de l’UE.  

Vous allez rencontrer mercredi Sultan Ahmed al Jaber, le président émirien de la COP 28. Des parlementaires européens et américains demandent qu’il soit remplacé car il incarne l’industrie du pétrole de son pays. Qu’en pensez-vous ? 
Je suis en contact très régulièrement avec lui. Qui peut imaginer que notre transition énergétique se fera du jour au lendemain ? Le monde du pétrole et du gaz n’est pas encore fini. Et le changement auquel nous aspirons ne se fera pas sans ces acteurs des pays pétroliers. Cela ne nous aide en rien de les diaboliser. Quand je vois BP qui s’engage et promet d’agir avant de reculer, je suis déçu. Mais quand je vois Exxon faire enfin des ouvertures ou Total-Energies s’engager avec courage dans les énergies renouvelables, je me dis que cela va dans le bon sens et qu’il faut les encourager. Nous aurons encore besoin un certain temps de ces énergies fossiles.

Il faut augmenter le plus possible la place des renouvelables dans le mix énergétique mondial. Et al Jaber est d’accord sur un tel objectif pour la COP28. 600 millions d’Africains n’ont pas accès à l’électricité mais pourraient en trouver directement grâce aux énergies renouvelables sans passer par le pétrole ou le gaz. Il faudra aussi continuer à réduire notre consommation. Les Européens ont fait cet effort l’an dernier –moins 18%-, et pas uniquement à cause de la guerre en Ukraine. Ils ne l’ont pas forcément fait pour le climat mais pour réduire leur facture. Il faut aider avec des fonds publics les usagers qui veulent faire cet effort.  

Al Jaber propose aussi d’investir massivement dans la captation du carbone pour réduire les émissions. Qu’en pensez-vous ? 
Capturer le carbone ne va pas nous emmener à la neutralité climatique. C’est impossible. Mais cela peut aider. Les Saoudiens m’ont également confié que c’était leur souhait à partir de 2030 et que cela coûterait 100 dollars par tonne. Or aujourd’hui, les échanges de quotas de carbone se font au prix d’environ 100 euros à la tonne. On n’a pas le temps ni les techniques pour dire que la technologie va permettre de continuer à utiliser du pétrole et du gaz comme auparavant. Je crois plutôt que le monde va se tourner massivement vers les énergies renouvelables qui seront de moins en moins chères à produire, et certainement dès aujourd’hui moins chères que les investissements dans la technologie de décarbonation du pétrole et du gaz.  

En fait, à vous entendre, vous n’êtes pas très favorable à l’écologie punitive… 
Il faut se rendre compte que si nous Européens, dictons aux Africains ou aux pays émergents, ce qu’ils doivent faire parce que c’est pour leur bien et celui de la planète, ce sera non seulement inaudible mais aussi contre-productif. Il faut prendre en compte les intérêts de chaque acteur et de chaque pays. Il faut dialoguer positivement. Punir, ça ne marche pas. D’ici vingt à trente ans, un enfant sur dix dans le monde sera né au Nigéria. Il faut compter avec cet aspect du changement de la planète aussi.  

Et chez nous, en Occident, mieux vaut convaincre que sanctionner ? 
En tant que socialiste, je vous dis que la question du climat est la question sociale la plus difficile de ma génération. Il faut éviter que cette thématique devienne une partie de la guerre culturelle entre la droite et la gauche, entre les habitants de Paris ou des grandes villes et ceux des zones rurales et démontrer que cette transition ne vaut que si elle est inclusive et fonctionne pour tous. Il faut repenser la redistribution dans ce changement radical que connaît le monde et éviter que cette nouvelle révolution industrielle crée un nouveau prolétariat. On a les moyens, le savoir-faire, et je dirais aussi la volonté politique pour éviter ce piège.

Comment faites-vous pour convaincre la Russie, en guerre, que son modèle économique fondé sur les hydrocarbures n’est pas viable pour sauver la planète ? 
Avant la guerre, malgré tous les contentieux que nous avions avec la Russie, la coopération dans le domaine du climat fonctionnait. Certains conseillers de Poutine lui disaient que le permafrost disparaissait, que les forêts brûlaient et qu’il fallait trouver des solutions pour lutter contre ce phénomène. D’autres lui disaient que combattre le réchauffement ferait mal à l’industrie du pétrole et du gaz et lui conseillaient de ne pas chercher à s’engager aux côtés des Européens dans ce combat.

Mais la guerre a tout changé. Ils ont tout investi dans leurs services de sécurité et leur défense. Cela doit être décevant de voir que cela ne les aide pas à gagner une guerre. Ils voient que l’Europe a entamé sa transition énergétique et qu’eux sont de plus en plus soumis à la Chine. Pour la stabilité de notre continent, c’est un développement tragique, une blessure qu’ils se sont infligés à eux-mêmes. S’ils ne font pas d’effort pour nous rejoindre dans notre combat contre le réchauffement climatique, les Chinois les y obligeront quand ils n’auront plus besoin de leur pétrole et de leur gaz comme aujourd’hui. Oui, après la guerre, les Russes devront réinventer leur économie. Cela prendra du temps, celui d’une génération.  

Faut-il se préparer en Europe à une victoire républicaine en 2024 aux Etats-Unis qui remettrait en cause tout le travail de Joe Biden en faveur du climat ? 
Je pense que ni les républicains ni les démocrates ne remettront en cause le Inflation Reduction Act. L’économie américaine en a tellement profité que ce serait un suicide politique pour le prochain président d’y retoucher. J’admire Biden pour avoir conçu ce plan de façon bipartisane sans avoir mis en avant qu’il s’agissait en grande partie d’un plan inédit en faveur du climat et de l’environnement.

Même Donald Trump, lorsqu’il était président, n’a pas empêché l’industrie américaine, les Etats fédérés et les grandes villes de poursuivre leurs transitions pour réduire la pollution et verdir l’économie. Ce mouvement aux Etats-Unis est irréversible. Sauf s’il est pris en otage par une guerre idéologique politicienne, c’est toujours un risque. Aux Etats-Unis mais en Europe également. 

Contenus sponsorisés

Sur le même sujet
Bâtiment de la CEDH à Strasbourg.
Société

Antisémitisme : la France condamnée par la CEDH

Myriam A. a été confrontée à des menaces de mort, de viol et d’attaques verbales visant sa religion. Malgré le refus initial de la France de reconnaître le caractère antisémite de l’affaire, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a statué en sa faveur.

Publicité