Partager
Politique

Europe : Le "Frexit" caché de Le Pen, Zemmour et Mélenchon

Nombre de propositions phares des trois candidats se révèlent incompatibles avec les traités européens. Pour ne plus avoir à défendre la sortie de l’Union européenne, très impopulaire chez les Français, chacun fait mine de croire qu’il pourra imposer son programme coûte que coûte.

3 réactions
Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon

Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon

(c) AFP
Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon
Europe : Le "Frexit" caché de Le Pen, Zemmour et Mélenchon
Laurent Fargues
00:00 / 00:00

En privé, Marine Le Pen le reconnaît sans ambages. Son échec à la dernière présidentielle provient largement de sa proposition de "Frexit". "C’est ainsi que j’interprète le résultat de 2017, nous confiait-elle au printemps 2021. Les Français attendent de moi un programme qui entre dans le cadre contraint de l’Union européenne." Les enquêtes d’opinion le confirment. Selon un récent sondage Viavoice, 63% des Français souhaitent que la France reste dans l’Union européenne et 66% tiennent à la monnaie unique. Le sentiment proeuropéen progresse même chez les électeurs du Rassemblement national (RN) et de La France insoumise (LFI).

De quoi expliquer les positions d’équilibristes de la candidate du RN comme d’Eric Zemmour et Jean-Luc Mélenchon sur l’Europe. S’agissant de la monnaie unique, les trois opèrent une forme de grand écart. "L’euro est un boulet pour la France, mais en sortir n’est plus une priorité", affirmait Marine Le Pen dès 2019. Le 18 janvier, elle a justifié sa récente conversion à la monnaie unique par l’assouplissement de la politique monétaire de la Banque centrale européenne -le fameux quantitative easing- qui remonte pourtant officiellement à 2015 et avait même démarré dès 2008.

Ligne fluctuante sur l'euro

"L’euro a appauvri la France, c’était une mauvaise idée, mais en sortir serait pire", avance de son côté l’ex-chroniqueur du Figaro. Tandis que le leader des Insoumis critique une "monnaie surévaluée, qui nous a déclassés", sans pour autant soutenir le retour au franc. "Nous n’avons aucun intérêt au chaos économique et politique qui résulterait d’une position agressive de la France", a précisé Jean-Luc Mélenchon dans Le Monde, le 18 janvier, tout en rejetant les règles du pacte de stabilité budgétaire.

En pleine campagne présidentielle, aucun ne se hasarde à placer l’euro au cœur du débat. "Stratégiquement, Marine Le Pen, Eric Zemmour et Jean-Luc Mélenchon ont intérêt à entretenir un certain flou pour ménager leur électorat eurosceptique et conquérir des voix chez les Français attachés à l’euro, observe Gilles Ivaldi, politologue au CNRS. Sans compter que leur ligne fluctuante sur une question aussi cruciale que la monnaie du pays pourrait leur être reprochée."

Risque d'une condamnation de la France

Vis-à-vis de l’Union européenne, les trois candidats jouent aussi les contorsionnistes. Il y a cinq ans, la candidate du RN déclarait que "70% de son projet ne pourrait pas être mis en œuvre" si la France restait dans l’UE, et le leader des Insoumis brandissait un "plan B" qui mettrait en pièces les traités européens. Quant au polémiste, il estimait que "si on veut une France vraiment indépendante, il faut sortir de l’empire euro-allemand" (sic). Les trois ont renoncé à ces projets radicaux, dans leurs discours du moins. S’ils continuent de dénoncer "les diktats des eurocrates de Bruxelles", ils se gardent bien d’évoquer ouvertement un "Frexit".

Dans le détail pourtant, nombre de leurs propositions phares se révèlent incompatibles avec l’Union européenne. Marine Le Pen et Eric Zemmour prônent une diminution drastique de l’immigration familiale et du droit d’asile, ainsi que la suppression des prestations sociales aux étrangers, sans prendre en compte la jurisprudence européenne. "Si de telles mesures étaient adoptées, analyse Antoine Lyon-Caen, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, la France risquerait une double condamnation de la Cour de Justice de l’UE et de la Cour européenne des droits de l’Homme." De même, l’objectif de Jean-Luc Mélenchon d’annuler la dette française détenue par la Banque centrale européenne en la transformant en "dettes perpétuelles à taux nul" exigerait un accord des autres pays européens, qui a peu de chances de voir le jour.

Un "Frexit" qui ne dit pas son nom

Qu’importe, les trois candidats populistes se targuent, une fois élus, d’appliquer leur programme coûte que coûte. Le leader de LFI met en avant le mécanisme de l’"opt-out" pour faire croire qu’il pourra respecter les traités à la carte. Marine Le Pen assure que "les décisions internationales contraires à un principe constitutionnel resteront simplement inappliquées" et prévoit déjà d’inscrire "la priorité nationale" dans la Constitution. Tandis qu’Eric Zemmour promet de multiplier "les bras de fer avec les institutions européennes".

Des arguments peu convaincants aux yeux des spécialistes des relations internationales. "Les trois semblent croire qu’ils gagneront forcément le rapport de force qu’ils engageront avec l’Union européenne, relève Jérôme Héricourt, professeur à l’Université de Lille. Mais il y a fort à parier au contraire que les autres pays européens refuseront que la France, l’un des Etats fondateurs de l’Union, s’exonère d’une partie des traités et que la Commission engagera une procédure d’infraction."

Avec de possibles sanctions à la clé. Plusieurs fois condamnées pour le manque d’indépendance de leur système judiciaire, la Pologne et la Hongrie ont ainsi été privées des milliards du plan de relance européen en 2021. "Ne plus appliquer les traités et les arrêts de la Cour de Luxembourg, cela signifie à terme quitter l’Union européenne", résume Eulalia Rubio, experte à l’institut Jacques-Delors. Un "Frexit" qui ne dit pas son nom.

3 réactions 3 réactions

Centre de préférence
de vos alertes infos

Vos préférences ont bien été enregistrées.

Si vous souhaitez modifier vos centres d'intérêt, vous pouvez à tout moment cliquer sur le lien Notifications, présent en pied de toutes les pages du site.

Vous vous êtes inscrit pour recevoir l’actualité en direct, qu’est-ce qui vous intéresse?

Je souhaite TOUT savoir de l’actualité et je veux recevoir chaque alerte

Je souhaite recevoir uniquement les alertes infos parmi les thématiques suivantes :

Entreprise
Politique
Économie
Automobile
Monde
Je ne souhaite plus recevoir de notifications