Faire en sorte que « le gaz aille là où il est le plus nécessaire » au sein de l’Union européenne (UE). Telle est, selon la présidente de la Commission européenne, l’Allemande Ursula von der Leyen, la mission du plan d’urgence que l’institution doit présenter mercredi 20 juillet 2022. Il s’agit d’organiser la solidarité européenne dans le domaine de l’énergie « en cas de perturbation ou de coupure totale du gaz russe » : deux scénarios plus que probables et qui pourraient, une fois l’hiver venu, provoquer des bouleversements majeurs en Europe.

Que ce soit en matière migratoire ou face à la pandémie de Covid-19, les 27 États membres de l’UE ont déjà donné à voir leurs difficultés – le mot est faible – à s’entendre et à se coordonner à l’échelle du continent tout entier. Pourtant, dans l’hémicycle du Parlement européen le 6 juillet, Ursula von der Leyen l’a martelé : « Nous devons garantir la solidarité européenne. »

La présidente de la Commission « a été convaincante. Mais appliquer le principe de solidarité énergétique, c’est du ressort des États membres. Ce n’est qu’avec des États vertueux que l’on pourra s’en sortir. Et je veux croire que les pays ne vont pas être tentés de jouer solo ! », estime Christophe Grudler, eurodéputé membre du groupe Renew Europe (RE), au centre dans l’hémicycle.

La tentation de privilégier les intérêts nationaux

Le directeur du Centre énergie de l’Institut Jacques-Delors, Thomas Pellerin-Carlin, est moins optimiste. Il ne serait pas étonné de voir l’un ou l’autre pays tenter de tirer la couverture à lui. « Plus la crise sera grave et plus les tentations de privilégier les intérêts nationaux sur les enjeux électriques et gaziers seront fortes », prédit-il.

La Hongrie a d’ores et déjà annoncé qu’elle n’exporterait pas de gaz vers d’autres pays, ce qui lui a valu, le jeudi 14 juillet, des remontrances de l’exécutif européen : la commissaire responsable de l’énergie, Kadri Simson, a publié une déclaration dans laquelle elle rappelle que tous les États de l’UE doivent jouer le jeu de la solidarité. « Toute mesure qui restreint le commerce de biens, y compris des biens énergétiques, sur le marché intérieur doit être limitée à ce qui est nécessaire et strictement proportionné », explique l’Estonienne.

Les réserves européennes remplies à 62 %

À la Commission européenne, on tente de prendre les devants. Les fonctionnaires de la Direction générale de l’énergie, installée à quelques encablures de son quartier général, sont à pied d’œuvre pour tenter de cartographier les besoins des différents pays et surtout les niveaux des stocks de gaz, État par État. La moyenne au niveau européen était à 62,58 % au 14 juillet. C’est loin d’être suffisant, « d’autant que, même avec des stocks à 100 %, nous ne sommes pas certains de passer l’hiver », alerte Thomas Pellerin-Carlin. En cas de pénurie dans un État membre de l’UE, un autre pays pourrait venir à la rescousse, permettant d’éviter le « black-out ».

Cependant, personne, dans les arcanes des institutions européennes, n’attend de la Commission qu’elle propose un nouveau mécanisme de solidarité obligatoire pour les 27. Ce serait trop sensible politiquement et, d’autre part, des dispositions réglementaires existent déjà : le règlement sur la sécurité d’approvisionnement en gaz oblige déjà tous les États membres dont les réseaux gaziers sont connectés à fournir des livraisons de gaz « solidaires » en cas de crise grave.

« Mais ce mécanisme a plutôt été pensé en cas de rupture temporaire de l’approvisionnement, trois ou quatre jours peut-être à cause d’un accident ou autre, prévient Thomas Pellerin-Carlin. Il n’est pas dimensionné pour une rupture complète des approvisionnements. » Comme l’explique une source au sein de l’exécutif européen, « les livraisons sont conçues pour intervenir en dernier recours, en cas de pénurie extrême de gaz, pour assurer l’approvisionnement des ménages, des réseaux de chauffage urbain et des équipements sociaux de base du pays touché ».

« Faire preuve d’unité sera incontournable »

Il n’empêche que, par ce biais, la France pourrait éventuellement, en cas de besoin, troquer de l’électricité allemande contre du gaz tricolore. « On est dans une situation où faire preuve d’unité sera techniquement incontournable », ajoute le chercheur, qui imagine déjà les termes du débat qui risque de survenir dans les prochains mois : « La France aura-t-elle envie d’envoyer son gaz outre-Rhin pour sauver l’industrie chimique allemande ou préférera-t-elle garantir que toutes les entreprises françaises, même les non-essentielles, aient de l’électricité 24 heures sur 24 ? »

Seule certitude : l’Europe plonge dans une nouvelle phase d’incertitude, avec une crise de l’énergie qui « affecte plus fortement les pays qui n’ont pas été forcément les plus touchés par les crises antérieures », estime Nicolas Berghmans, expert énergie et climat à l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), dans un entretien accordé à la Fondation Robert-Schuman.

L’appel à la sobriété énergétique

« La crise du Covid a touché plus principalement les pays du Sud, comme d’ailleurs la crise de la dette souveraine. La crise énergétique montre l’importance de la solidarité européenne devant ces chocs asymétriques. Peut-être la prochaine crise concernera-t-elle davantage les pays nordiques ou orientaux. Si un État membre est confronté à un défi important, il aura besoin de ses alliés européens », ajoute-t-il.

La Commission européenne devrait aussi plaider pour une utilisation plus massive des énergies renouvelables, et pour plus de sobriété énergétique en Europe – même si le terme est utilisé avec des pincettes « pour ne pas donner aux Européens l’impression qu’ils devront vivre dans le noir ou avoir froid en hiver », explique une source. « Si l’on peut baisser de 30 % notre consommation d’énergie en Europe, on passera l’hiver sans problème, et ce, sans pénaliser l’industrie », souligne l’eurodéputé Christophe Grudler.

Selon le laboratoire d’idées Bruegel, plus optimiste, il suffirait que l’UE réduise sa demande d’environ 15 % – avec cependant de grands écarts entre les pays. « Certains États membres dépendent davantage du gaz que d’autres, mais l’économie de l’UE dans son ensemble serait touchée par les éventuels arrêts de livraison de gaz russe. Plus nous agissons tôt et fort, plus l’impact sera faible », estime une autre source à la Commission.

La présidence tchèque du Conseil de l’UE, qui dure jusqu’à la fin de l’année, a convoqué une réunion exceptionnelle des ministres européens de l’énergie le mardi 26 juillet. Ils « discuteront de la préparation de l’UE à l’hiver dans le secteur de l’énergie », annonce Prague. À cette date, on saura si Gazprom a décidé de reprendre ses livraisons par le gazoduc Nord Stream 1, fermé pour maintenance depuis le 11 juillet.

----------

Des mesures d’économies

Dans la communication qui doit être présentée mercredi 20 juillet 2022, la Commission européenne préconise une série de moyens pour économiser du gaz :

Limiter la climatisation à 25 °C.

Lorsque l’hiver arrivera, réduire le chauffage dans les bâtiments publics, les bureaux et les locaux commerciaux en suggérant une température de 19 °C.

Remplacer temporairement le gaz par d’autres combustibles pour la production d’électricité, notamment le charbon et l’énergie nucléaire.

Mettre en place des systèmes d’enchères dans lesquels des entreprises pourraient négocier des compensations pour leur effort de réduction de leur consommation.