La Croix : Emmanuel Macron en appelle à la solidarité budgétaire européenne face au coronavirus. Mais l’échec du sommet de jeudi 26 mars ne montre-t-il pas la persistance de la fracture entre le nord et le sud de l’Europe ?

Thierry Chopin : Le Conseil européen a montré une nouvelle fois son caractère dysfonctionnel : étalage des divisions des États membres, difficulté à prendre des décisions face à la crise… Il a en outre révélé, en effet, la réapparition d’un clivage entre le Nord et le Sud comme pendant la crise grecque. Pourtant, la situation est très différente : en 2010, la crise avait mis en évidence la défaillance de certains États membres, et il s’agissait d’une crise qui ne concernait pas tous les pays européens.

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En 2020, aucun pays n’est responsable de cette crise sanitaire mondiale qui touche tout le monde. Les oppositions actuelles entre les États et les opinions publiques qui demandent de la solidarité et ceux qui la refusent ont des conséquences très négatives, notamment la dégradation des relations entre chefs d’État et de gouvernement, ce qui ne peut produire que du ressentiment et de la rancœur. L’image est désastreuse…

L’Europe ne risque-t-elle pas de décevoir à nouveau les peuples et de mettre en jeu sa « survie » comme projet politique ?

T.C. : Si le déficit de solidarité entre les États membres de l’Union n’est pas réduit, l’ouverture européenne ne manquera pas de laisser la place au repli national voire nationaliste. Or, la « renationalisation » ne saurait apporter en elle-même la solution à des phénomènes qui dépassent manifestement les nations, comme c’est le cas de la crise sanitaire actuelle.

Ne pas prendre au sérieux l’exigence de solidarité européenne reviendrait à revenir à l’« Europe d’avant » et renouer le fil d’une histoire de divisions politiques que la construction européenne n’a pas fait disparaître mais qu’elle a su entourer de garde-fous. Répondre à cette exigence de solidarité est dans l’intérêt de tous les États membres et dans l’intérêt commun des Européens.

Que faudrait-il envoyer comme signal fort de la part de l’Europe ?

T.C. : Au-delà des réponses économiques indispensables, il est urgent d’incarner la solidarité européenne : tous les États membres devraient demander l’activation de la clause de solidarité (article 222 du Traité de l’UE), qui oblige l’UE et les pays de l’UE à agir conjointement, et de recourir aux instruments à leur disposition (y compris les moyens militaires) pour porter assistance à un pays de l’UE en cas de catastrophe naturelle ou d’origine humaine. La question est cruciale.

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Pour le dire brutalement, les Européens sont-ils prêts à montrer une solidarité suffisante pour éviter que d’autres Européens meurent ? Jusqu’où faut-il aller pour activer cette clause de solidarité ? Est-on Européen ou pas ? C’est l’identité européenne qui est en jeu.