Faut-il abandonner la realpolitik pour une diplomatie morale ?

La Première-ministre finlandaise Sanna Marin et le Président Ukrainien Volodymyr Zelensky à Kiev, le 26 mai 2022 ©AFP - Ukrainian presidential press service
La Première-ministre finlandaise Sanna Marin et le Président Ukrainien Volodymyr Zelensky à Kiev, le 26 mai 2022 ©AFP - Ukrainian presidential press service
La Première-ministre finlandaise Sanna Marin et le Président Ukrainien Volodymyr Zelensky à Kiev, le 26 mai 2022 ©AFP - Ukrainian presidential press service
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Le 1er mars, Emmanuel Macron a entamé une tournée en Afrique, en continuité avec une forme de realpolitik, pratiquée dès l’accueil de Vladimir Poutine à Versailles en 2017. Alors que V. Zelensky ou S. Marin défendent une diplomatie morale, quels principes doivent guider la politique internationale ?

Avec
  • Cyrille Bret Géopoliticien, maître de conférences à Sciences Po Paris, chercheur associé à l’institut Jacques Delors
  • Serge Sur Professeur émérite de droit public à l’Université Panthéon-Assas, rédacteur en chef de la revue "Questions internationales".
  • Emilija Pundziute-Gallois Docteure en science politique de l'Université Vytautas Magnus de Kaunas, en Lituanie, ancienne diplomate

Depuis le début de la guerre en Ukraine, les États de l’Union européenne ont eu du mal à parler d’une seule voix face à l’agression russe. Les plus petits états voisins de l’Ukraine (les pays baltes ou la République tchèque) ont ainsi exhorté les autres à avoir une attitude plus ferme vis à vis de Moscou, plaidant pour une politique que certains ont qualifié de « Néo-idéalisme ». Une politique qui concilierait les intérêts de l’Europe sans sacrifier à la morale des droits de l’homme et permettrait ainsi de promouvoir un espace démocratique moins cynique face aux puissances autoritaires. Cette politique a été explicitée par le chercheur allemand Benjamin Tallis dans un article du site « Le Grand continent ».

Mais est-ce simplement réaliste de mettre en œuvre une telle politique quand les narco États se multiplient ? Faut-il abandonner les valeurs universelles plaidées par un pays comme la France pour leur préférer les valeurs démocratiques ? La répétitions de ces mêmes valeurs démocratiques suffit-elle à améliorer les relations diplomatiques ?

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Pour en débattre, Emmanuel Laurentin reçoit Cyrille Bret, philosophe et géopoliticien, spécialiste de la Russie et de l’Europe orientale, chercheur associé à l’Institut Jacques Delors ; Emilija Pundziute-Gallois, docteure en science politique de l'Université Vytautas Magnus de Kaunas, en Lituanie, ancienne diplomate ; Serge Sur, professeur émérite de droit public à l’Université Panthéon-Assas, rédacteur en chef de la revue « Questions internationales ».

La guerre en Ukraine dans la diplomatie européenne

« Ce que défendent les Etats baltes, c’est un ordre international basé sur les règles et la justice » explique Emilija Pundziute-Gallois, « le seul ordre dans lequel ces petits pays puissent exister ». Elle reconnaît que réalisme et idéalisme continueront à structurer les relations internationales, mais « considérer les éléments de justice, de respect de l’humanité, c’est important et, à long terme, ça sert l’intérêt national ». « Ces Etats sont des Etats pasteurs » poursuit Serge Sur, « ils font la politique de leurs intérêts : ils sont les donneurs de leçons, ceux qui rappellent les valeurs ». Il prend l’exemple de l’Ukraine pour montrer que cette approche est toutefois limitée : « la signature de l’accord d’association avec l’Union européenne n’a pas été conditionnée au respect des droits de l’homme, des valeurs démocratiques […] alors que c’est un des pays les plus condamnés par la Cour européenne, et les plus corrompus ».

La diplomatie morale et l’intérêt national

Pour Serge Sur, « le rôle de la diplomatie est d’éviter la guerre, de trouver des compromis, des accords qui peuvent laisser la morale de côté : l’intérêt de la paix l’emporte sur tout ». Il n’existe pas de valeurs universelles selon lui, raison pour laquelle il appelle à « se méfier du démon du bien » en s’interrogeant : « faut-il faire la guerre au nom des valeurs morales ? ». Il reprend l’exemple ukrainien : « nous concourrons actuellement à la légitime défense de l’Ukraine par un appui politique, humanitaire et militaire. Si on va au-delà et qu’on devient belligérant au nom d’une diplomatie morale, on laisse la parole aux armées ? ». Cyrille Bret rappelle que « l’intérêt national a aussi sa légitimité dans les relations internationales » : pour lui, « la première responsabilité d’un diplomate est d’assurer des relations qui protègent sa propre communauté nationale ».

La diplomatie entre l’idéalisme absolu et le cynisme noir

« La morale n’est qu’une des considérations des diplomaties » constate Cyrille Bret, « en général c’est l’efficacité et l’intérêt des Etats qui sont la boussole la plus sûre ». Il alerte sur la distinction entre valeurs démocratiques et valeurs morales : les premières existent « pour faire cohabiter des sujets » tandis que les secondes cherchent « à rendre meilleur les uns et les autres ». Emilija Pundziute-Gallois marque son désaccord : « cette distinction n’est pas naturelle : quand on parle des valeurs morales dans le discours politique, on a surtout en tête le respect pour la personne humaine, les droits fondamentaux, et la démocratie est le régime dans lequel ces droits sont le mieux respectés ». Si la diplomatie navigue entre tous ces critères selon Serge Sur, il observe « une gangsterisation du monde, aussi bien publique que privée ». Pour lui, « tout le monde y a contribué, l’Occident a donné le mauvais exemple avec l’Irak. Heureusement, la France ne s’y est pas engagée, c’est elle qui défendait la position morale dans ce cas, et c’est elle qui a subi le french-bashing».

Pour aller plus loin

  • L'émission se penche sur les enjeux mis en lumière par Benjamin Tallis dans l'article qu'il a publié dans Le Grand Continent :  L'ère du néo-idéalisme.

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