« Fit For 55 » : la France sceptique sur l’extension du marché carbone aux bâtiments et aux transports

La Commission européenne se veut rassurante et a annoncé vouloir créer un fonds social social européen  pour le climat de 70 milliards d’euros destiné à soutenir les personnes les plus durement touchées par la réforme. [STEPHANIE LECOCQ/EPA]

La Commission européenne a dévoilé hier (14 juillet) son plan d’action pour le climat intitulé « Fit for 55 », dont l’objectif est d’aider l’UE à atteindre son nouvel objectif de réduire de 55% ses émissions de CO2 d’ici 2030. 

Si la France partage l’ambition de la Commission européenne « de placer l’Europe à l’avant-garde du combat climatique », elle émet néanmoins des réserves sur les conséquences sociales d’étendre le marché carbone aux secteurs du bâtiment et des transports.

Cette réforme du marché carbone « socialement risquée », selon Réseau Action Climat, pourrait faire augmenter les factures d’essence et d’énergie des ménages les plus modestes en France et en Europe. 

« La France est réservée sur la pertinence de ce dispositif et ses conséquences sur les ménages et les petites entreprises. Elle poursuivra les échanges pour s’assurer que la justice sociale et la solidarité demeurent au cœur de l’action climatique », prévient le ministère de la Transition écologique. 

Même son de cloche au Parlement européen pour le groupe PPE : « Si la proposition de création d’un Mécanisme social d’action pour le climat est louable afin que les plus précaires ne portent pas le poids de la transition écologique, la Commission européenne semble oublier que ce sont les classes moyennes qui, en France comme en Europe, feront les frais d’une augmentation des prix des carburants », commente l’eurodéputée Agnès Evren. 

Le spectre des Gilets Jaunes plane sur la réforme du marché européen du carbone

L’eurodéputé Pascal Canfin (Renew Europe) a exprimé ses craintes sur l’extension du marché du carbone aux secteurs du transport et des bâtiments lors d’une conférence organisée par EURACTIV ce vendredi matin (25 juin). L’eurodéputé dénonce une mesure « politiquement et climatiquement suicidaire ».

Gilets Jaunes

« Les citoyens payent, les pollueurs empochent », fustige La France Insoumise (LFI). Si cette phrase paraît anodine, elle résume assez bien ce que redoutent politiques et ONG françaises : le principe du pollueur/payeur, qui stipule que les coûts de pollution et dépollution doivent être pris en charge par le pollueur. En d’autres mots, un individu qui utilise une voiture à essence devra payer le prix du CO2 instauré par le marché carbone au niveau européen. 

En 2018, ce principe déclenche en France le mouvement des Gilets Jaunes, qui protestent contre la hausse des taxes sur le prix du carburant. Si depuis le mouvement a presque disparu, la réforme du marché carbone pourrait faire craindre un retour de la contestation. 

« Il y un vrai risque d’avoir une mobilisation politique dans plusieurs États de l’Union européenne, particulièrement en France, où il est possible qu’il y ait une politisation de ce sujet à neuf mois des élections présidentielles », analyse Thomas Pellerin-Carlin, directeur du centre énergie de l’Institut Jacques Delors.

« Ne faites pas l’erreur d’étendre le marché du carbone au chauffage et au carburant. Nous l’avons vécu en France, cela a donné les Gilets Jaunes », alerte l’eurodéputé Pascal Canfin. 

Selon Neil Makaroff de Réseau Action Climat, la réforme est d’autant plus injuste qu’en parallèle « l’industrie lourde sera exemptée du principe de pollueur-payeur sur le marché carbone européen jusqu’en 2035 ». 

Un « fonds social d'action climatique » pour protéger les citoyens contre la hausse du prix du carbone

Le mois prochain, la Commission proposera un ensemble de mesures visant à réduire plus rapidement les émissions de gaz à effet de serre au cours de la présente décennie.

Fonds social européen pour le climat 

De son côté,  la Commission européenne se veut rassurante et a annoncé vouloir créer un fonds social social européen  pour le climat de 70 milliards d’euros destiné à soutenir les personnes les plus durement touchées par la réforme. Les subventions serviront par exemple à l’achat de véhicules électriques, à l’installation de bornes de recharge ou encore à la rénovation des bâtiments. 

« La Commission européenne a compris l’enjeu social. C’est symboliquement très fort. C’est plus intelligent que ce que le gouvernement français a adopté en termes de taxe carbone en 2017-2018 », estime M. Pellerin-Carlin.

Ce fonds devrait être mis en place un an avant le nouveau marché carbone européen, soit en 2025. « C’est la bonne logique. D’abord on vient en aide aux gens et après on augmente les prix », ajoute-t-il. 

Mais pour l’eurodéputé Philippe Lamberts (Verts/ALE) « sa taille (du fonds social, NDLR) reste limitée et les problèmes fondamentaux pour sa création ne sont pas abordés ». Ce dernier craint des « déséquilibres sociaux », et demande « un soutien spécifique aux citoyens vulnérables et aux personnes en situation de précarité énergétique afin que le chauffage et le carburant restent abordables ».

Transports, importations, forêts : les recettes de l'UE pour sabrer ses émissions

La Commission européenne dévoile mercredi son plan de bataille pour le climat, un colossal ensemble de textes baptisé « Fit for 55 » (« Paré pour 55 ») en référence à l’objectif de l’UE de réduire ses émissions carbone de 55% d’ici 2030.

CBAM et voitures électriques 

Pour le reste, les autres propositions du paquet « Fit for 55 » semblent faire consensus. Deux mesures phares ont particulièrement retenu l’attention du gouvernement, à commencer par le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) : « Cet outil est indispensable pour assurer l’efficacité de nos politiques de lutte contre le changement climatique en permettant d’éviter les fuites de carbone », se félicite le ministère de la Transition écologique. 

Remplacer les quotas gratuits par un MACF est « extrêmement bénéfique », appuie M. Pellerin-Carlin. Le futur mécanisme d’ajustement carbone doit également permettre de définir un cadre « compatible avec les règles du commerce international et en transparence avec les pays partenaires de l’Union », précise le ministère. 

Autre avancée majeure selon la France : la réduction à zéro des émissions de CO2 des voitures neuves dans l’UE à partir de 2035. « Il apparaît nécessaire de conserver une approche technologique ouverte qui n’exclut pas les véhicules hybrides rechargeables performants et de prévoir un accompagnement pour la filière automobile », précise cependant le gouvernement. 

Début 2022, les négociations sur le futur paquet « Fit for 55 » débuteront au Parlement. Nul doute que la France surveillera de près les discussions sur l’extension du marché carbone au carburant et au chauffage. Hasard du calendrier, en janvier prochain le pays sera à la tête de la présidence du Conseil de l’UE pour six mois. 

« La France est consciente de la responsabilité qui lui incombera au premier semestre 2022 et aura à cœur de faire avancer ce dossier emblématique pendant sa présidence du Conseil de l’Union européenne.  », conclut le gouvernement. 

« Fit for 55 » : un casse-tête pour la France, à la traîne dans la production d’énergies renouvelables

Pour la France, produire de l’énergie renouvelable est un parcours semé d’embûches. En 2020, la part des énergies renouvelables dans son mix énergétique est de 19,1 %, alors que l’objectif imposé par l’objectif renouvelable de 2009 est de 23%.

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