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Société

Gaz : 5 questions sur le projet de terminal méthanier au Havre, qui inquiète les défenseurs de l’environnement

La loi pouvoir d’achat entérine et accélère le lancement du projet de terminal méthanier flottant au Havre. Une installation destinée à sécuriser les approvisionnements en gaz, face au risque de pénurie cet hiver, mais qui plombe les objectifs climatiques de la France.

Aude Le Gentil , Mis à jour le
Le tanker « Flex Volunteer », qui transporte du gaz naturel liquéfié (GNL), quitte le terminal méthanier de Montoir-de-Bretagne, près de Saint-Nazaire, en avril.
Le tanker « Flex Volunteer », qui transporte du gaz naturel liquéfié (GNL), quitte le terminal méthanier de Montoir-de-Bretagne, près de Saint-Nazaire, en avril. © Sébastien Salom-Gomis/AFP

Pour la députée écologiste Delphine Batho, il s’agit d’une « décision suicidaire ». « Une spirale climaticide », selon l’Insoumise Aurélie Trouvé. La ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, défend plutôt « une installation non pérenne, prévue pour passer un cap ». Entériné par la loi sur le pouvoir d’achat , définitivement votée mercredi, le projet de terminal méthanier flottant au Havre a donné lieu à des échanges tendus à l’Assemblée nationale et inquiète les défenseurs de l’environnement. Voici ce qu’il faut savoir.

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1 - Qu’est-ce qu’un terminal méthanier ?

Un terminal méthanier est une infrastructure qui permet de regazéifier du gaz naturel liquéfié, ou GNL, avant de l’injecter dans le réseau. Le GNL, c’est du gaz naturel à l’état liquide par refroidissement à moins 162 degrés. Ce processus permet de transporter de grandes quantités de gaz par voie maritime. Actuellement, la France compte quatre terminaux méthaniers : deux à Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône), un à Montoir-de-Bretagne (Loire-Atlantique) et un à Dunkerque (Nord).

2 - En quoi consiste le projet ?

L’infrastructure prévue au Havre sera le premier terminal méthanier flottant en France. Le 29 juillet, la préfecture de Seine-Maritime a annoncé qu’elle avait retenu le projet porté par TotalEnergies. Le groupe français va rapatrier quai Bougainville l’un de ses deux FSRU (« unité flottante de regazéification »), une sorte de navire-citerne. Concrètement, les tankers viendront s’amarrer au flanc du terminal flottant, où le GNL sera transbordé et regazéifié.

Ce navire, le Cape Ann, « permettra d’injecter jusqu’à 5 milliards de mètres cube de gaz naturel (environ 60 % du gaz russe importé par la France en 2021) par an dans le réseau national », indiquait le communiqué de la préfecture. Le gaz viendra « possiblement de Norvège, d’Algérie, du Qatar, des États-Unis, du Nigéria, d’Angola ou encore d’Égypte ». Selon la préfecture de Seine-Maritime, le terminal flottant du Havre pourra injecter « environ 10 % de la consommation annuelle [de gaz] française ».

Des travaux doivent débuter à l’automne – notamment la construction d’un tuyau de raccordement de 3,5 kilomètres sous le canal du Havre –, pour une mise en service en septembre 2023. Cette infrastructure est censée être « provisoire », et a « vocation à être démonté[e] lorsque les tensions en matière d’approvisionnement auront été surmontées ». À l’Assemblée, un amendement socialiste a limité la durée d’exploitation de ce terminal flottant à 5 ans. Pour la prolonger, il faudra une nouvelle loi.

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3 - Pourquoi installer un nouveau terminal ?

Depuis le début de la guerre en Ukraine et les sanctions prises par les Occidentaux contre la Russie, Moscou a fortement diminué ses livraisons de gaz en Europe. En France, le robinet est coupé depuis juin. De quoi menacer l’approvisionnement du pays, où 17 % du gaz consommé est importé de Russie. D’autant que le réseau d’électricité est lui aussi soumis à de fortes tensions. Dans l’exposé des motifs de la loi, l’exécutif estime que ce terminal flottant sera « une solution pour renforcer rapidement les capacités d’importation de gaz naturel et rétablir un système gazier permettant d’assurer l’approvisionnement des consommateurs français ».

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« Actuellement, la France consomme environ 40 milliards de m3 de gaz par an, décrypte Phuc-Vinh Nguyn, chercheur en politiques française et européenne de l’énergie à l’Institut Jacques-Delors. Les quatre terminaux méthaniers dont on dispose peuvent regazéifier l’équivalent de 35 milliards de m3. Avec nos terminaux existants, combinées aux infrastructures qui nous permettent d’importer de Norvège ou d’Algérie, on a donc de quoi couvrir notre consommation sur une année. »

Alors pourquoi installer cette structure flottante ? Pour faciliter le remplissage des stocks et la diversification des approvisionnements. « L’hypothèse de travail sur laquelle semble se baser Agnès Pannier-Runacher est de se dire que, pour remplir nos stocks en prévision de l’hiver 2023-2024, on ne pourra plus s’appuyer sur le gaz russe, décode le chercheur. Il faudra trouver des alternatives et ce terminal méthanier peut être l’une d’entre elles. » 

4 - Pourquoi fait-il débat ?

Ce nouveau terminal a fait tiquer dans l’hémicycle parce qu’il s’agit d’un « cavalier législatif », un article sans lien direct avec le sujet de la loi, c’est-à-dire le pouvoir d’achat. Autre point de crispation : pour accélérer le projet, les articles 13 et 14 prévoient des dérogations au droit de l’environnement.

Ce sont surtout les conséquences environnementales qui préoccupent. Car importer du gaz naturel de Russie par pipeline et faire venir du GNL par bateau, ce n’est pas la même chose. Liquéfier, acheminer puis regazéifier du GNL implique des émissions de gaz à effet de serre supplémentaires. Selon une note du cabinet de conseil Carbone 4, spécialisé dans la décarbonation, sur la phase dite d’amont, c’est-à-dire de production et de transport, l’importation de gaz sous forme liquide émet 2,5 fois plus de gaz à effet de serre que sous forme gazeuse.

Tous les GNL ne se valent pas non plus. Selon les infrastructures du pays d’origine, le mode d’extraction et la distance parcourue en bateau, la facture pour la planète diffère. Les craintes se concentrent sur le GNL américain, dont les exportations vers l’Europe ont doublé au premier semestre. Il s’agit souvent de gaz de schiste obtenu par fracturation hydraulique. Une méthode très émettrice, qui pollue les nappes phréatiques et les sols, exige une grande consommation d’eau et rejette du méthane. Toujours selon Carbone 4, l’empreinte « amont » du gaz naturel américain est deux fois plus élevée que celle du gaz russe.

Malgré son caractère provisoire, certains voient également dans cette infrastructure une forme de fuite en avant, qui crée de nouvelles dépendances et décourage les efforts de sobriété et de décarbonation. C’est ce que les experts appellent des « verrouillages ». « Les mesures de diversification de l’approvisionnement doivent se concentrer sur une utilisation différente des capacités existantes pour ne pas engager d’investissements supplémentaires, par exemple dans des terminaux méthaniers », écrivent ainsi des chercheurs de l’Institut du développement durable et des relations internationales, dans une note parue en mars.

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On parle de mal-adaptation quand une solution aggrave le problème qu’elle est supposée résoudre

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« Le rapport du Giec rappelle que si l’on fait fonctionner les seules infrastructures liées aux énergies fossiles sur leur cycle de vie habituel, on épuise déjà notre budget carbone résiduel pour atteindre 1,5 degré, complète la géographe Magali Reghezza-Zitt, membre du Haut-Conseil pour le Climat. Pour le dire autrement, il faut cesser de construire de nouvelles infrastructures et arrêter certaines existantes avant la date prévue. »

Pour cette spécialiste de l’adaptation au changement climatique, ce projet présente un risque de « mal-adaptation », qui résulte « de l’impréparation de notre pays ». Le terminal méthanier apporte un remède à une urgence de court terme mais alimente une autre urgence : le réchauffement climatique. « On parle de mal-adaptation quand une solution aggrave le problème qu’elle est supposée résoudre, explique Magali Reghezza-Zitt. Ici, on a une réponse à la crise énergétique qui ne va pas dans le sens de la transition énergétique. »

5 - Peut-on s’en passer ?

« Très clairement, on pourrait faire autrement, répond Phuc-Vinh Nguyen. D’une part, la France a les capacités de regazéification pour subvenir à ses besoins. D’autre part, on peut avoir une réduction de la demande de gaz, avec notamment une politique de sobriété. » Mais cette alternative exige la mise en place de plans ambitieux pour rénover les bâtiments et déployer les énergies renouvelables dès l’hiver 2023.

Lire aussi - Écogestes, baisse de tension, délestages… Ce que peut faire la France en cas de pénurie d’énergie cet hiver

Autre bémol : « Dans une logique de solidarité européenne, il y aurait plus d’intérêt à l’installer en Bulgarie, par exemple, où la dépendance au gaz russe est très forte », note-t-il. On ne compte en effet qu’une quarantaine de terminaux flottants dans le monde. « Vouloir remplir les stocks au maximum, en partant du principe qu’on ne pourra plus compter sur le gaz de Vladimir Poutine, c’est un très bon diagnostic, conclut Phuc-Vinh Nguyen. Est-ce le bon remède ? On peut émettre des doutes. »

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