L'Allemagne a annoncé prendre le contrôle temporaire d'une filiale allemande du géant gazier, Gazprom Germania, afin d'assurer la pérennité des approvisionnements en gaz

L'Allemagne a annoncé prendre le contrôle temporaire d'une filiale allemande du géant gazier, Gazprom Germania, afin d'assurer la pérennité des approvisionnements en gaz

afp.com/John MACDOUGALL

Arrêter de financer la guerre menée par Vladimir Poutine via l'achat de son pétrole et de son gaz, stopper la crise des énergies fossiles entamée depuis l'automne et la flambée des prix tout en sauvegardant les objectifs climatiques du pacte vert européen. Depuis plusieurs mois, une bonne partie des fonctionnaires européens que compte Bruxelles planche sur cette équation à plusieurs inconnues. Ce mercredi, la patronne de la Commission européenne Ursula von der Leyen a présenté le résultat de ce travail. Un plan baptisé RePowerEU qui doit permettre à l'Europe de conquérir une indépendance énergétique dont elle souffre aujourd'hui cruellement.

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Thomas Pellerin-Carlin, directeur du centre énergie de l'Institut Jacques-Delors, qui suit lui aussi depuis plusieurs semaines les travaux menés par l'exécutif européen, en décrypte les principaux enseignements.

L'Express : Trois mois après le début du conflit, et alors que l'Union européenne continue de financer la guerre en Ukraine via ses achats d'hydrocarbures russes, diriez-vous que Bruxelles s'est hissé à la hauteur de l'enjeu avec ce nouveau plan ?

Thomas Pellerin-Carlin : "De par son ampleur, ce plan est historique. L'objectif politique est très clair, il s'agit de se passer très rapidement des hydrocarbures russes, et de le faire d'une manière qui n'entrave pas le projet européen y compris dans sa dimension climatique. Ce qui est nouveau dans ce qui a été annoncé aujourd'hui, c'est l'importance donnée aux économies d'énergie. Depuis le début de la crise des énergies fossiles en septembre, puis le début de la deuxième invasion de l'Ukraine par Vladimir Poutine, la priorité des décideurs européens était de subventionner la consommation d'énergies fossiles, et de faire croire qu'on pourrait remplacer tout le pétrole et du gaz russe par du pétrole et du gaz qui n'en sont pas. C'était une erreur. Le fait de replacer les économies d'énergie comme pilier de la stratégie européenne, (l'Europe veut passer de 9% à 13% de réduction de consommation d'ici à 2030, NDLR), d'évoquer les changements de comportements individuels sur le court terme, qui peuvent nous permettre de baisser de 5% la consommation, c'est très positif.

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C'est la mesure qui ne coûte pas cher et qui répond à l'objectif de préserver notre indépendance. Peut-être que l'Europe aurait pu aller plus loin sur l'objectif des 5%. Après la catastrophe de Fukushima au Japon, les plans de réduction de la demande ont permis de réduire la consommation électrique de 15%, ce qui prouve qu'on peut aller encore plus loin. Mais en légitimant un mode d'action qui ne l'était plus depuis les années 1970, en parlant de sobriété énergétique de façon claire, l'Europe a fait un pas en avant très important.

Au-delà des économies d'énergie, le plan européen vise à massifier les énergies renouvelables, porter leur part dans le mix énergétique de 40 à 45% d'ici 2030. Cette accélération est-elle crédible, notamment eu égard aux difficultés que l'on rencontre dans certains pays sur le volet administratif ?

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Sur les renouvelables, il y avait un plan solaire qui était déjà prévu, mais il a changé d'ampleur. L'idée de massifier les panneaux solaires (photovoltaïque ou thermique) sur les toits des bâtiments européens est une évidence. On aurait dû le faire depuis les années 1970. Ce qui est intéressant et dont on parle moins, c'est l'accent mis sur les chauffe-eau solaires. C'est une source facilement déployable qui remplace directement des chaudières à gaz ou à pétrole, donc des énergies fossiles. L'avantage sur ces modèles, c'est que l'industrie est européenne et non pas chinoise. Pour répondre sur la crédibilité du plan et le volet administratif, c'est compliqué de faire une réponse générale car les rythmes dépendent des technologies et des pays. La logique de l'Europe, c'est de garder les bonnes pratiques issues de l'épisode des vaccins contre le Covid et de le déployer sur les EnR. A savoir réduire les délais et les procédures tout en s'assurant qu'on ne fasse pas n'importe quoi. Après cela dépendra évidemment des administrations nationales. La France ne brille pas à ce niveau.

En massifiant le développement des énergies renouvelables, ne va-t-on pas troquer la dépendance à la Russie à une dépendance envers un pays comme la Chine, qui fournit l'Europe avec ses panneaux solaires ?

A court terme, c'est évident qu'augmenter la part du solaire va faire augmenter les importations chinoises. C'est inévitable. Mais entre le photovoltaïque chinois ou le gaz russe, le choix est vite fait. Les premiers ne sont pas nos adversaires immédiats, ils ne bombardent pas l'Ukraine et ne sont pas responsables d'avoir mis 10 millions de déplacés sur les routes. Par ailleurs, il y a une différence de l'ordre de la physique qui est fondamentale. Si Vladimir Poutine coupe le robinet du gaz, notre économie s'en ressent immédiatement. Une fois installés, les panneaux solaires fonctionnent eux très bien pendant quelques décennies, donc si la Chine venait à baisser ses exportations, ce qu'elle n'a aucune raison de faire pour le moment, l'impact ne se ferait pas sentir de façon brutale sur la sécurité d'approvisionnement énergétique ou même les prix de l'électricité.

Le dernier grand volet vise à la diversification des approvisionnements en gaz. La solution visant à troquer le gaz russe contre le gaz qui viendra des États-Unis, de l'Égypte ou encore du Qatar ne vous inquiète-t-elle pas ? Autant sur le plan climatique que d'indépendance stratégique ?

La diversification doit être l'option de dernier ressort. Aujourd'hui, nous importons 25% de notre énergie de la Russie, il faut que cela tombe à 0 le plus vite possible. Dans un monde idéal, on remplacerait intégralement ces hydrocarbures grâce aux renouvelables et à l'effort des peuples et des élites. Mais il faudrait que presque tout le monde accepte de se chauffer à 16 degrés l'hiver, et rogne sur d'autres consommations notamment en arrêtant de porter des cravates qui amènent à surclimatiser les bureaux l'été. A la japonaise. Collectivement, nous n'avons pas encore opté pour ce choix-là, donc il faudra bien des fossiles et notamment du gaz pour boucler la boucle. Sur les Etats-Unis, il me semble que les relations que nous avons avec Joe Biden nous mettent à l'abri au moins jusqu'à 2024. On verra si Trump est réélu, le dialogue pourrait changer. Je crois aussi que l'Europe a une carte à jouer avec l'Algérie. C'est un grand producteur de gaz, mais qui en consomme aussi énormément localement pour produire son électricité. Dans un territoire avec un tel potentiel, c'est du gâchis. Il faut qu'on les aide à déployer massivement les panneaux solaires.

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Ce sont autant d'électrons qui chasseraient ceux produits avec du gaz, ce qui permettrait d'augmenter la capacité d'exportation vers l'Europe, via des infrastructures en plus déjà existantes. Attention toutefois à ne pas se faire d'idée. Sur le gaz, on entre dans une nouvelle ère, celle d'une matière première qu'on va désormais payer très cher. Historiquement, il y avait trois prix différents sur le gaz, le bas prix américain, le moyen prix européen, et le prix élevé asiatique. La crise actuelle va aligner le prix européen sur le prix asiatique, puisque l'Europe va progressivement devenir quasi intégralement dépendante pour son gaz du GNL produit ailleurs dans le monde. Dans le meilleur scenario, le prix du gaz consommé en Europe va être au moins deux fois plus élevé que ce qu'on a connu dans les années 2010, et par ailleurs beaucoup plus dépendant d'événements conjoncturels au niveau mondial, comme c'est le cas aujourd'hui pour le GNL.

Bruxelles veut imposer un embargo sur les produits pétroliers à la Russie, mais les négociations achoppent pour le moment entre les Vingt-sept. Ce projet est-il déjà enterré ?

Pour le moment, c'est Viktor Orbán qui bloque. Même la République tchèque, pour qui l'oléoduc de Drujba venant de Russie est stratégique, a donné son accord, à condition qu''il y ait une égalité de traitement entre Etats membres. Ce qui est normal. Les Tchèques savent de quoi Poutine est capable depuis les attaques de 2014 à Vrbetice qui ont fait deux morts. Ils sont prêts à payer un prix économique pour préserver la paix et la liberté en Europe. Viktor Orbán n'est pas sur cette ligne.

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Dans le rapport de force qu'il nous impose, est-ce qu'on cherche à l'acheter en lui créant des exceptions, ou alors on s'en tient à une ligne ferme, et on invoque l'article 7 pour le priver de son droit de vote ? Ce dernier peut être activé en cas de violation avérée de l'Etat de droit dans le pays, ce qui est le cas en Hongrie. Jusqu'ici, la Pologne a empêché ce vote, en soutenant son allié. Mais face au péril russe, Varsovie sera sans doute plus sensible aux arguments de l'Union européenne.

La dernière communication de la Commission insiste moins sur le volet social et la façon dont on limite l'impact de cette crise pour les plus précaires. C'est un point que vous regrettez ?

Clairement, ce n'était pas la priorité aujourd'hui. Ce à quoi on assiste au niveau national depuis l'automne, c'est la plus grande campagne de subvention des énergies fossiles de l'histoire de l'Union européenne. En France, comme en Italie, en Espagne ou en Suède, on aide massivement à l'achat des carburants avec des remises de 12 à 30 centimes sur le litre d'essence. De surcroît on arrose tout le monde alors qu'il faudrait au contraire mieux cibler les dispositifs vers les plus précaires.

Aujourd'hui, l'Etat Français donne plus d'argent au cadre supérieur qui gagne 6.000 euros par mois et roule dans un véhicule de 2 tonnes, qu'à un jeune actif qui roule en citadine dans le milieu rural et peine à joindre les deux bouts. C'est un gâchis d'argent, qui n'aide en rien ni le climat, ni l'économie, car à la fin, vous n'avez pas un capital créé comme pour la rénovation des bâtiments ou autre. Il faut que les gouvernements aient le courage de sortir de cette vision court-termiste qui nous emmène tous dans le mur.

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